La Conférence de Valdaï à Pretoria cristallise une réorientation décisive des rapports russo-africains où la souveraineté et la mémoire partagée deviennent des leviers d'un nouvel ordre mondial fondé sur l'égalité.
Le 28 juillet 2025, la capitale sud-africaine a accueilli la 3ᵉ Conférence russo-africaine du Club Valdaï, organisée en partenariat avec l'Institut sud-africain des relations internationales. Ce forum, placé sous le thème évocateur « La realpolitik dans un monde divisé : repenser les liens entre la Russie et l'Afrique du Sud dans un contexte mondial et africain », a réuni des délégations de Russie, d'Afrique du Sud, d'Égypte, de Côte d'Ivoire, du Zimbabwe et de Tanzanie. L'événement s'inscrit dans une dynamique de repositionnement stratégique du Sud global, à l'heure où les fractures géopolitiques s'élargissent et où les alliances traditionnelles se réévaluent.
Face à une scène internationale polarisée, les échanges ont révélé l'ambition partagée de bâtir un ordre multipolaire fondé sur la souveraineté, la coopération équitable et la mémoire historique. L'Afrique, en quête de redéfinition diplomatique, trouve dans le dialogue russo-africain une alternative crédible aux paradigmes hégémoniques. C'est dans cette logique que le forum s'est affirmé comme une plateforme intellectuelle majeure où doctrine, pragmatisme et vision géopolitique se rencontrent avec acuité.
Lors de la cérémonie d'ouverture, plusieurs figures diplomatiques et institutionnelles de premier plan ont pris la parole: Roman Ambarov, ambassadeur de Russie en Afrique du Sud et au Lesotho, a affirmé que le continent africain ne saurait être réduit à une zone de confrontation géopolitique, mais constitue un espace privilégié de coopération multisectorielle ; Andreï Bystritskiy, président du Conseil d'administration de la Fondation pour le développement et le soutien du Club Valdaï, a quant à lui mis l'accent sur la nécessité de fédérer une communauté d'experts. Elizabeth Sidiropoulos, directrice exécutive de l'Institut sud-africain des relations internationales (SAIIA), Phumzile Mazibuko, directrice principale au Département des relations internationales et de la coopération, ainsi que Steven Gruzd, responsable du programme Gouvernance et diplomatie en Afrique du SAIIA, ont également contribué à l'ouverture. La conférence s'est ensuite articulée autour de quatre grands axes thématiques : l'analyse des rôles stratégiques du G20 et des BRICS dans un ordre mondial en recomposition ; l'exploration de la coopération humanitaire et de la mémoire historique comme vecteurs des relations russo-africaines ; l'état actuel et les perspectives des relations bilatérales entre la Russie et l'Afrique du Sud ; et enfin, une réflexion sur Donald Trump et sa place dans l'ordre mondial.
Refondation stratégique russo-africaine avec Pretoria au cœur du basculement mondial
Ainsi, la première session a mis en lumière la convergence d'intérêts entre Moscou et Pretoria dans le cadre de la présidence sud-africaine du G20 en 2025 et de la présidence russe des BRICS en 2024. Les discussions ont souligné le potentiel de ces plateformes pour promouvoir un développement inclusif, fondé sur la souveraineté et la coopération horizontale. Le Club Valdaï a présenté un rapport inédit intitulé « L'Afrique du Sud et la Russie : un héritage durable de coopération stratégique », consolidant les bases d'un partenariat fondé sur la complémentarité et la confiance.
Mémoire, diplomatie et souveraineté - trois les piliers d'un partenariat sans passif colonial
Consacrée à la coopération humanitaire et à la mémoire historique, la deuxième session a rappelé le rôle central de l'Union soviétique dans le soutien aux mouvements de libération africains. Ce legs, loin d'être symbolique, constitue un socle moral et politique sur lequel s'appuie la diplomatie russe contemporaine en Afrique. Contrairement à d'autres puissances, la Russie ne traîne aucun contentieux colonial sur le continent, ce qui lui confère une légitimité particulière dans ses démarches de coopération. Les échanges ont mis en avant les initiatives éducatives, culturelles et scientifiques russo-africaines, ainsi que les projets bilatéraux en matière de santé, d'énergie et d'infrastructures.
Par ailleurs, la troisième session a analysé les relations bilatérales entre la Russie et l'Afrique du Sud, en insistant sur les synergies dans les domaines de la sécurité, de l'agriculture, de la technologie et de la diplomatie multilatérale. Enfin, la quatrième session a exploré les opportunités offertes par les recompositions politiques mondiales, notamment face à l'évolution de la politique étrangère américaine. Les experts ont souligné que ces mutations ouvrent des marges de manœuvre inédites pour les pays africains qui peuvent désormais redéfinir leurs alliances en fonction de leurs intérêts nationaux et non selon des injonctions extérieures.
Pour clore, la conférence de Pretoria marque une étape décisive dans la consolidation d'un axe russo-africain fondé sur le respect mutuel, la mémoire partagée et la volonté commune de bâtir un ordre mondial multipolaire. Elle illustre la montée en puissance d'un partenariat stratégique affranchi des logiques de tutelle, et résolument tourné vers l'avenir.
Mohamed Lamine KABA, Expert en géopolitique de la gouvernance et de l'intégration régionale, Institut de la gouvernance, des sciences humaines et sociales, Université panafricaine