02/08/2025 reseauinternational.net  32min #286091

 Chronique d'une trahison : Gaza et la fin des droits de l'homme (2023-2025)

«Chronique d'une trahison : Gaza et la fin des droits de l'homme (2023-2025)»

par Azzedine Kaamil

L'or noir, le sang et le silence doré : Complicité active des monarchies du Golfe dans le génocide de Gaza (2023-2025)

Ce second volet prolonge l'analyse entamée dans «Chronique d'une trahison : Gaza et la fin des droits de l'homme (2023-2025)», centré sur la faillite morale et politique des puissances occidentales face au génocide en cours. Après avoir documenté l'effondrement des principes humanitaires invoqués par l'Occident collectif, ce nouvel article explore un autre pan de la complicité internationale : celui des régimes arabes, en particulier les monarchies du Golfe.

Il convient ici de clarifier le point de départ critique du premier volet. J'ai parlé «d'illusion d'un progrès moral de l'Occident», car je ne partage pas les présupposés philosophiques ou politiques de cette matrice issue du Siècle des Lumières, dont l'imposture et la faillite morale originelles (Terreur de 1793), n'ont pourtant pas empêché l'universalisation apparente de ses principes, notamment à travers la Déclaration universelle des droits de l'homme adoptée par l'ONU en 1948. Ces principes, pourtant dits «universels», échouent systématiquement à l'épreuve des faits.

Cependant, j'ai choisi de m'appuyer sur ce cadre, non par adhésion, mais comme levier critique. Prendre l'Occident au mot, c'était ouvrir une enquête : confronter ses prétentions morales à ses pratiques réelles, et révéler l'écart entre les idéaux proclamés et la réalité coloniale, raciste et sélective qu'ils servent à couvrir.

Comme dit un proverbe du Maghreb : «Si tu tiens ton voleur, suis-le jusqu'à sa maison.» En suivant le voleur des droits jusqu'aux palais occidentaux, j'ai voulu éclairer les fondements idéologiques d'un mensonge institutionnalisé. Dans ce second texte, l'enquête se poursuit : jusqu'aux palais du Golfe, où s'échangent le silence, le sang et l'or noir.

Car les monarchies arabes, loin d'être de simples spectatrices, ont activement participé, non par neutralité, mais par complicité stratégique, leurs alliances sécuritaires et leur abandon du peuple palestinien - au génocide de Gaza.

Cette double enquête révèle une convergence structurelle : les trahisons du monde occidental et celles des monarchies du Golfe, bien que fondées sur des références apparemment opposées - Droits de l'homme pour les uns, Charia pour les autres - relèvent d'une même logique de domination et d'hypocrisie institutionnalisée.

Du côté occidental, les droits de l'homme relèvent d'un paradigme hérité du protestantisme anglo-saxon, où la grâce n'est pas universelle mais méritée : les puissants sont les élus, les autres les réprouvés. Derrière l'universalité proclamée se cache une inégalité fondatrice, où l'homme n'a de droits qu'en proportion de sa richesse, de sa puissance ou de son alignement stratégique. La Déclaration de 1948, loin d'émanciper, reproduit cette logique sous une façade morale.

Du côté des monarchies du Golfe, le wahhabisme joue un rôle analogue. Présenté comme un islam rigoriste, il se révèle, dans les faits, une idéologie d'ordre plus que de justice, de contrôle plus que de compassion. Cette version «protestante» de l'islam sacralise le pouvoir politique, justifie la concentration autoritaire, et détourne la religion de ses finalités spirituelles et éthiques pour en faire un instrument d'intérêt matériel.

Dans les deux cas, les textes - Déclaration ou Révélation - sont vidés de leur substance au profit d'élites qui les instrumentalisent. Ce n'est pas la nature des sources qui protège les peuples, mais la sincérité de ceux qui les incarnent. À Gaza, les masques sont tombés.

Aimé Césaire l'avait dit sans détour : «les droits de l'homme, ce sont d'abord les droits de l'homme blanc » Plus précisément, ceux des élites anglo-saxonnes protestantes et fortunées, les WASP, pour qui la puissance tient lieu de légitimité. Derrière l'universalité proclamée se cache un privilège racial et géopolitique, où les corps «sans valeur» - ceux des Palestiniens, des colonisés, des rejetés - ne sont jamais inclus dans la communauté de l'humain.

Quant à l'Islam, ce n'est pas la religion qui a trahi, mais ceux qui prétendent la représenter tout en la défigurant. Le wahhabisme n'est pas l'Islam : c'en est l'inversion au service du pouvoir, une orthodoxie formelle protégeant les trônes, mais niant la justice.

L'Islam véritable ne pactise ni avec l'oppression ni avec le silence face au sang versé.

Ce qui s'est révélé à Gaza dépasse la géopolitique : c'est le dévoilement d'un monde où trônes et dogmes se mettent au service d'un même ordre injuste. Les crimes deviennent supportables, pourvu qu'ils soient enveloppés de droit ou drapés de piété.

Mais l'Histoire, ne pardonne ni la duplicité des puissants, ni l'oubli des principes.

Azzedine KAAMIL

*

Introduction

Alors que les regards du monde se tournaient vers l'Occident, dénonçant à juste titre l'hypocrisie de ses principes et la faillite morale de ses institutions face à Gaza, un autre silence, plus discret mais tout aussi accablant, persistait : celui des monarchies arabes, et en particulier des régimes du Golfe.

Depuis 2023, ces puissances pétrolières - Arabie saoudite, Émirats arabes unis, Qatar, Bahreïn et leurs satellites - se sont retranchées derrière un langage feutré : condamnations symboliques, appels à la désescalade, aides humanitaires soigneusement calibrées. Mais derrière cette façade de neutralité, leurs choix diplomatiques, économiques et sécuritaires ont pesé lourd dans la balance du crime. Loin d'être des acteurs périphériques ou impuissants, ces régimes ont participé activement à la mise à mort de Gaza - par leur inaction calculée, leurs alliances stratégiques avec l'Entité israélienne, leur collaboration sécuritaire avec les États-Unis, et leur refus obstiné de rompre avec le statu quo.

La cause palestinienne, jadis au cœur du discours panarabe, a été méthodiquement reléguée. D'abord subordonnée aux logiques de modernisation économique, puis sacrifiée sur l'autel des intérêts dynastiques. À Riyad comme à Abou Dhabi, à Doha comme à Manama, la Palestine n'est plus qu'un souvenir encombrant - un vestige d'un temps où la question arabe faisait encore sens.

Ce texte se donne pour objectif de démontrer une réalité trop souvent tue : la complicité active des monarchies du Golfe dans le processus génocidaire en cours à Gaza. Non par passivité ou impuissance, mais avec participation concrète à un ordre régional structuré autour de trois piliers :

  • «la normalisation avec l'Entité israélienne,»
  • «la dépendance sécuritaire envers les États-Unis,»
  • «la neutralisation de toute dynamique de solidarité populaire avec la Palestine : ce n'est pas un effacement passif, c'est un alignement stratégique.»
  • Il faut désormais en nommer les responsables, en dévoiler les mécanismes, et en tirer toutes les conséquences.»

Préambule - Les roitelets du reniement

Il y a des silences qui tuent. Il y a des trahisons qui ne s'oublient pas. Et il y a des peuples qui, même écrasés, retiennent les noms de ceux qui les ont livrés.

Depuis le 7 octobre 2023, le monde arabe observe, sidéré ou résigné, un crime d'une ampleur historique : un génocide méthodique, perpétré à huis clos contre le peuple palestinien de Gaza, sous la protection assumée du camp occidental.

Mais au cœur même de cette tragédie, un autre scandale moral se déploie : la complicité active des monarchies du Golfe.

Ces roitelets aux trônes dorés ne sont pas de simples spectateurs silencieux, ils ont fourni, directement ou non, les conditions politiques, logistiques, économiques et symboliques de l'anéantissement de Gaza. Bien avant que les bombes ne tombent, ils avaient déjà abandonné la cause palestinienne. Ils ont troqué la solidarité historique contre des partenariats stratégiques, des contrats d'armement, des salons feutrés de diplomatie d'affaires.

Et quand, le 7 octobre, la résistance Palestinienne est revenue - brutale, inattendue - ils ont aussitôt choisi le camp du bourreau.

Ce n'est pas seulement leur silence qui accuse - c'est leur participation. Bases militaires américaines sur leur sol utilisées pour réarmer l'Entité, flux financiers soutenant les chaînes logistiques de guerre, contrôle des médias, répression de toute expression de soutien populaire à la Palestine : leur complicité ne se proclame pas, elle s'organise. Et dans ce jeu cynique, les capitales du Golfe se sont posées en gestionnaires du statu quo, en alliés objectifs d'un pouvoir colonial en plein acte de destruction massive.

Cette réalité n'est pas neuve. Depuis deux décennies, les convergences stratégiques entre Tel-Aviv et Riyad, Abou Dhabi, Manama ou Doha se sont approfondies. Ce rapprochement, jadis souterrain, s'est matérialisé au grand jour avec les Accords d'Abraham, qui ont entériné la fin de la centralité palestinienne dans le discours arabe officiel. Le mirage de la modernisation économique, de la stabilité autoritaire, de la neutralité diplomatique a remplacé le langage de la libération, de la dignité, de la résistance.

Mais Gaza est venue troubler cette illusion. Gaza rappelle que l'histoire n'est pas finie, que les peuples ont de la mémoire, que la Palestine n'est pas une variable d'ajustement géopolitique. En livrant les clés du monde arabe à l'Entité israélienne, les régimes du Golfe ne signent pas seulement un accord de sécurité ou d'investissement : ils sacrifièrent l'une des dernières causes fédératrices du monde arabe sur l'autel du profit et de la survie dynastique.

Ce texte est un acte de contre-mémoire. Il documente, nomme et dénonce la complicité structurelle de ces régimes dans le génocide en cours. Il oppose à la diplomatie de l'amnésie la rigueur de l'archive.

Car ce que les peuples arabes n'oublieront pas, les rois du silence ne pourront jamais le justifier.

1 - Le Golfe et l'Entité israélienne : des noces longtemps dissimulées

1.1 - De l'hostilité proclamée à l'entente clandestine

Pendant des décennies, les monarchies arabes ont prétendu incarner la fidélité à la cause Palestinienne. Les sommets arabes résonnaient des formules creuses sur « les droits légitimes du peuple Palestinien », tandis que les drapeaux palestiniens flottaient dans les rues à chaque intifada. Pourtant, derrière cette façade d'unité arabe, se tissait une convergence d'intérêts avec l'Entité israélienne, fondée sur une priorité partagée : contenir l'influence iranienne dans la région.

Dès les années 1990, des contacts officieux se multiplient entre les services de renseignement du Golfe et ceux de Tel-Aviv. Les craintes liées à la révolution iranienne de 1979, à la montée du Hezbollah et à l'instabilité régionale favorisent une logique de coopération sécuritaire souterraine. Des réunions ont lieu discrètement à Amman, à Chypre, à Genève.

Le discours anti-sioniste devient un outil de politique intérieure, pendant que les appareils d'État se rapprochent en coulisses. Cette posture duale, enflant les discours de soutien tout en poursuivant des rapprochements secrets, permettait aux régimes de conserver leur légitimité interne, en instrumentalisant la cause Palestinienne comme exutoire symbolique des frustrations populaires.

1.2 - Les Accords d'Abraham : officialisation d'une trahison

L'année 2020 marque un tournant. Sous l'impulsion de l'administration Trump, les Émirats arabes unis, Bahreïn, puis le Maroc et le Soudan signent les Accords d'Abraham, normalisant leurs relations avec l'Entité israélienne. Si l'Arabie saoudite ne signe pas formellement, elle ouvre son espace aérien, soutient l'initiative en sous-main et accélère ses liens avec Tel-Aviv à travers des canaux discrets. Le Qatar, tout en conservant une posture ambiguë via le soutien financier à Gaza, intensifie ses rapports économiques avec l'écosystème technologique israélien.

Ces accords ne sont pas de simples traités diplomatiques : ce sont des actes de rupture symbolique avec la centralité palestinienne. La cause Palestinienne n'est plus perçue comme un pivot du nationalisme arabe, mais comme un fardeau gênant pour les ambitions de « modernisation » des monarchies. Le projet néolibéral, fondé sur les villes vitrines (Neom, Lusail, Expo City), les événements globaux (Coupe du Monde, G20, COP), et l'attractivité du capital étranger, exige une levée du tabou israélien. La Palestine devient invisible. Et si des voix dissonantes subsistent au sein des populations du Golfe, elles sont vite étouffées par la répression ou le dévoiement du débat.

1.3 - Géopolitique de l'ennemi commun : l'axe anti-iranien

La principale matrice de rapprochement entre les monarchies et l'Entité est la stratégie d'encerclement de l'Iran. Cette convergence se déploie sur plusieurs plans :

  • Militaire, avec des exercices conjoints, un partage de renseignements (notamment sur les milices chiites en Irak, Syrie, Liban, Yémen), et une coordination via le CENTCOM américain.
  • Technologique, avec l'intégration des systèmes de surveillance israéliens dans les infrastructures sécuritaires du Golf (caméras, biométrie, drones, cybersécurité).
  • Énergétique et maritime, avec des projets communs de protection des routes du pétrole et du gaz, et la création de corridors stratégiques (pipeline Éilat-Ashkelon, ports jumeaux, zones franches).

L'Entité occupante n'est plus vu comme une anomalie coloniale, Elle est désormais considérée comme un partenaire fiable, expérimenté dans la gestion de la dissidence, la sécurisation des frontières, et la gouvernance autoritaire.

Cette redéfinition de l'ennemi permet un déplacement calculé : en remplaçant l'Entité israélienne par l'Iran comme menace centrale, les régimes arabes ont dépolitisé la question Palestinienne tout en légitimant de nouveaux pactes répressifs.

1.4 - Coopération sécuritaire et répression domestique

La «normalisation» ne s'arrête pas aux chancelleries. Elle se diffuse dans les appareils de sécurité internes :

  • Des cadres du Golfe se forment dans les écoles militaires israéliennes ou américaines supervisées par des Israéliens.
  • Des logiciels de surveillance israéliens (Pegasus, Candiru) sont utilisés pour traquer les opposants, les journalistes, les défenseurs de la cause Palestinienne.
  • Des unités anti-terroristes du Golfe échangent leurs doctrines avec le Shin Bet et Tsahal dans une logique de contre-insurrection urbaine.

La technologie israélienne testée sur la population Palestinienne est ensuite exportée vers les régimes du Golfe, transformant la Palestine en laboratoire sécuritaire. Ce capitalisme du contrôle devient le socle commun de l'alliance. Ainsi, les drones utilisés pour surveiller Gaza se retrouvent à survoler les manifestations à Manama, et les outils de reconnaissance faciale nés à Tel-Aviv sont déployés à Riyad.

Conclusion intermédiaire :
Ce premier chapitre révèle que la complicité des monarchies du Golfe avec l'Entité israélienne ne s'est pas improvisée après le 7 octobre 2023. Elle s'inscrit dans une logique de convergence stratégique, sécuritaire et idéologique vieille de plusieurs décennies. Le génocide de Gaza n'a pas eu lieu malgré cette alliance - cette alliance : c'est elle qui l'a rendue possible. Le forum IDEX 2019 à Abou Dhabi, où les technologies israéliennes ont été présentées aux monarchies du Golfe sans désapprobation officielle, en fut un prélude clair.

2 - Silence stratégique et soutien actif

2.1 - Sidération officielle, alignement assumé

Le 7 octobre 2023, lorsque les brigades de la résistance Palestinienne franchissent la barrière frontalière du sud de la Palestine occupée, les monarchies du Golfe adoptent aussitôt une posture de prudence diplomatique. Aucune déclaration de soutien, aucune dénonciation claire de l'agression coloniale imminente. Les communiqués appellent à «la désescalade», se lamentent sur «les pertes humaines des deux côtés» et appellent au «retour à la stabilité régionale».

Mais cette fausse neutralité masque mal une réalité désormais incontestable : les régimes du Golfe choisissent immédiatement leur camp - celui de l'Entité israélienne. Leur silence n'est pas de la prudence : c'est un outil tactique pour masquer leur soutien actif. L'objectif n'est pas d'éviter le conflit, mais de préserver un ordre géopolitique régional fondé sur la collaboration avec Tel-Aviv, la protection du capital occidental, et la répression de toute solidarité populaire avec Gaza.

Les monarchies du Golfe, tout en proclamant leur neutralité, mettent à disposition leurs infrastructures stratégiques pour le ravitaillement logistique de missions américaines en soutien au régime de Tel-Aviv. Ces soutiens ne sont pas circonstanciels : ils s'inscrivent dans une stratégie de long terme visant à faire du Conseil de Coopération du Golfe un partenaire clé de la profondeur stratégique israélo-occidentale.

2.2 - L'absence calculée de rupture

Aucun de ces régimes n'a rappelé son ambassadeur, gelé un accord commercial, ou suspendu une coopération sécuritaire depuis le début du génocide. Ce contraste est saisissant si l'on compare avec les réactions arabes lors de l'Intifada de septembre 2000, de février 2005 ou de la guerre contre Gaza en 2008-2009, où plusieurs États avaient au moins gelé temporairement leurs liens avec Israël. La logique est claire : maintenir les apparences de distance sans remettre en cause les structures d'intérêt. Ce double langage, entre indignation verbale et continuité matérielle, participe à l'anesthésie morale de l'opinion arabe et à la normalisation de l'horreur.

Conclusion intermédiaire :

Le silence des monarchies du Golfe n'est ni passif ni innocent. Il est stratégique, construit, et activement mobilisé pour soutenir une architecture régionale fondée sur la domination et l'effacement de la cause Palestinienne. Il produit aussi un effet corrosif sur les opinions publiques arabes, partagées entre indignation étouffée, résignation forcée et désillusion face à des élites qui ont déserté la mémoire collective. Loin d'être des États neutres, ces régimes sont devenus des relais de stabilité pour un ordre injuste.

3 - Propagande, médias et narratif contrôlé

3.1 - Le Golfe et le récit sous contrôle : entre dissimulation et diversion

L'un des aspects les plus insidieux de la complicité des monarchies dans le génocide de Gaza ne réside pas seulement dans leur silence diplomatique ou leur soutien logistique. Il s'incarne aussi dans la gestion minutieuse du narratif, à travers les médias d'État, les organes satellitaires, les réseaux sociaux et les dispositifs de censure. Car contrôler le récit, c'est participer à la guerre.

Les régimes du Golfe ont déployé depuis des années des stratégies de formatage médiatique visant à :

  • effacer la centralité de la Palestine dans l'imaginaire arabe,
  • reléguer la résistance à une position marginale, radicalisée ou illégitime,
  • et valoriser un récit de stabilité, de prospérité, de modernisation, tourné vers le futur et non vers la mémoire des peuples.

Dans ce cadre, l'embrasement de Gaza devient une gêne à contenir, un bruit de fond à minimiser, une anomalie à expliquer... jamais une injustice à combattre.

3.2 - Al-Jazeera, l'ambiguïté calculée du Qatar

Le cas d'Al-Jazeera, souvent perçue à l'extérieur comme une voix singulière du monde arabe, mérite d'être analysé avec lucidité. La chaîne a certes produit, depuis le 7 octobre, une couverture extensive de la guerre sur Gaza, avec des reportages percutants, des correspondants courageux tels que Wael Dahdouh, dont le fils et d'autres proches ont été tués à Gaza pendant qu'il couvrait les bombardements, et une dénonciation constante des crimes israéliens. Mais cette posture s'inscrit dans un double jeu stratégique de l'émirat Qatari :

  • En interne, Al-Jazeera ne critique jamais l'attitude du régime Qatari, ni ses liens directs avec les États-Unis et l'Entité israélienne. La chaîne participe donc à une dissociation entre « la tragédie montrée » et « les responsabilités tues ».
  • Sur le plan régional, le Qatar utilise Al-Jazeera comme outil d'influence douce pour se repositionner comme médiateur incontournable, sans jamais remettre en cause les règles du jeu imposées par l'axe Washington-Tel Aviv.
  • En termes de contrôle social, Al-Jazeera fonctionne comme une soupape : elle permet aux colères populaires arabes de s'exprimer... tout en les enfermant dans un cadre discursif balisé, évitant toute mise en cause directe des monarchies ou des accords de normalisation.

En somme, le Qatar instrumentalise la souffrance gazaouie pour se poser comme « partenaire humanitaire », tout en servant l'ordre régional qu'il prétend critiquer.

3.3 - Censure, surveillance et répression des voix pro-palestiniennes

Dans le reste du Golfe, le contrôle du récit passe par des moyens plus brutaux : censure, criminalisation, surveillance numérique, répression directe.

  • Toute expression publique de soutien à la Palestine (drapeaux, messages sur les réseaux, manifestations, rassemblements religieux) est strictement interdite ou sévèrement encadrée aux Émirats, en Arabie saoudite, au Bahreïn ou au Koweït.
  • Des citoyens ont été arrêtés, licenciés, ou assignés à résidence pour avoir affiché leur solidarité. Dans certains cas, même des messages privés sur WhatsApp ou X (ex-Twitter) ont été utilisés comme éléments à charge.
  • Des influenceurs proches des cercles du pouvoir ont été mobilisés pour dénoncer toute sympathie avec le Hamas, comme qualifier la résistance Palestinienne d'« extrémisme religieux », et accuser les critiques de l'inaction du Golfe de « semer le chaos ».

Cette stratégie vise un objectif clair : déraciner Gaza de la conscience populaire, dissocier la Palestine du sentiment d'identité arabe, briser tout potentiel de contagion morale ou politique.

3.4 - La peur d'un «printemps Palestinien»

Derrière cette répression, une peur profonde hante les régimes du Golfe : celle d'un retour du feu révolutionnaire, cette fois ravivé non par la Tunisie ou l'Égypte, mais par la résistance Palestinienne elle-même.

Car le 7 octobre a opéré, malgré la répression, un choc symbolique massif : il a réactivé l'idée que l'ordre établi peut être défié, que des puissances militaires peuvent vaciller, que la résignation n'est pas une fatalité. Pour les peuples du Golfe - jeunes, informés, sous surveillance -, Gaza n'est pas seulement un champ de ruines : elle est devenue une métaphore d'insoumission.

C'est cette menace - celle d'un « printemps Palestinien » - que les roitelets du Golfe s'emploient à neutraliser : par la peur, par la propagande, par la censure.

Conclusion intermédiaire :

Le contrôle du narratif est une forme de guerre. En censurant, manipulant et instrumentalisant l'image de Gaza, les monarchies du Golfe participent à l'effacement d'un peuple. Elles ne bombardent pas, mais elles camouflent, anesthésient, redirigent. Ce chapitre révèle que la complicité passe aussi par les écrans - et que le mensonge est une arme du pouvoir.

4 - L'économie du génocide : pétrole, logistique, start-up et capitalisme du désastre

4.1 - Pacte sécuritaire : Émirats arabes unis

Les Émirats arabes unis incarnent sans doute la forme la plus aboutie de la collaboration stratégique avec l'Entité israélienne. Dès les Accords d'Abraham de 2020, Abu Dhabi n'a pas seulement normalisé ses relations : il a accéléré une convergence structurelle mêlant intérêts économiques, technologiques et sécuritaires, au point de ne plus se soucier de l'image de soumission projetée au monde arabe.

Cette abdication morale s'est manifestée avec une clarté glaçante peu après le 7 octobre 2023, alors même que les massacres de civils palestiniens s'intensifiaient à Gaza. Tandis que l'opinion publique arabe était en état de sidération et de colère, Mohammed ben Zayed recevait en grande pompe le président israélien Isaac Herzog lors du Forum économique émirati-israélien du 12 octobre à Abou Dhabi.

or, La veille, Herzog avait visité une base militaire dans le sud d'Israël, où il dédicaçait des obus destinés à être tirés sur Gaza - acte symbolique de participation directe au massacre de femmes et d'enfants. une scène diffusée par plusieurs agences internationales, symbole assumé d'un massacre en cours. Ce geste n'a pas dissuadé les Émirats. Au contraire, ils ont offert à Israël un soutien logistique décisif : un couloir terrestre destiné à contourner le blocus maritime Yéménite imposé par Ansarallah, en soutien à Gaza.

La proposition émiratie : Un pont terrestre.

Le tracé est simple : déchargement à Jebel Ali, transit routier via l'Arabie saoudite, passage par la Jordanie, puis livraison finale dans les territoires occupés.

Autrement dit, tandis que la Résistance tente de perturber l'approvisionnement israélien - notamment par des attaques de drones et de missiles contre des cargos en mer Rouge - les Émirats proposent une voie de contournement clé en main, parfaitement alignée sur les intérêts de l'occupant, annulant de fait l'effet de la solidarité armée de la Résistance.

À cela s'ajoutent :

  • l'accueil d'entreprises israéliennes de surveillance (Elbit Systems, Cellebrite) dans les zones franches de Dubaï et Abou Dhabi ;
  • la promotion conjointe de technologies testées sur les Palestiniens lors des salons IDEX et UMEX ;
  • une coopération soutenue en renseignement, cybersécurité et commerce bilatéral.

Les Émirats ne prétendent plus à la neutralité. Ils assument pleinement leur alignement. Cette posture, malgré son éclat, n'a suscité aucune réaction publique significative : l'espace politique y est strictement contrôlé, et toute voix dissidente réduite au silence. Leur rôle ne se limite pas à la logistique : il inscrit le Golfe dans la profondeur stratégique israélienne.

4.2 - Arabie saoudite : la normalisation par les faits

Riyad n'a pas formellement signé les Accords d'Abraham, mais elle en applique une constance zélée. L'alignement saoudien sur les intérêts de l'Entité sioniste s'opère sans déclaration solennelle ni rupture spectaculaire, mais à travers une série d'actes concrets : ouverture de l'espace aérien, coopération sécuritaire, corridors logistiques, investissements croisés.

Ce processus s'est cristallisé lors du voyage de Donald Trump à Riyad les 13 et 14 mai 2025. Dans une séquence diplomatique saisissante par son déséquilibre, le président américain est accueilli avec une pompe excessive : escorte aérienne, dîner d'État à Diriyah, un luxueux déploiement d'une hospitalité ostentatoire.

Mais le ton de Trump est froid, presque méprisant. Il n'évoque pas une seule fois la situation à Gaza, alors que les massacres y atteignent un paroxysme. Pas un mot pour les civils tués, aucune condamnation, aucun geste symbolique. À la place, Trump exige et obtient deux engagements majeurs :

  • une commande d'armement record de 142 milliards de dollars (missiles, drones, avions de transport, satellites) ;
  • une promesse d'investissement saoudien de 600 milliards de dollars aux États-Unis, avec l'objectif explicite d'atteindre le seuil symbolique du trillion de dollars.

Il est frappant de constater que la monarchie saoudienne n'a même pas tenté de conditionner ses engagements à un cessez-le-feu, ou d'évoquer publiquement le sort des Palestiniens. La Palestine, effacée du protocole, disparaît aussi de l'agenda diplomatique saoudien.

Ce choix révèle un basculement stratégique. Loin du panarabisme des années 1970 ou de la rhétorique islamique du début des années 2000, le régime actuel privilégie les contrats, la survie dynastique et l'ancrage dans un axe Washington-Tel-Aviv. Le wahhabisme, naguère mobilisé pour légitimer la centralité de la cause Palestinienne, est désormais mobilisé pour sanctifier la realpolitik. Gaza n'existe plus dans cette équation - ni comme drame humain, ni comme enjeu politique, ni comme cause morale.

4.3 - Qatar : l'ambiguïté organisée

Le Qatar incarne une ambiguïté devenue structurelle. Promoteur d'Al-Jazeera et soutien affiché de la cause palestinienne, Doha est aussi le banquier discret du statu quo. Il finance les salaires à Gaza avec l'aval de l'Entité israélienne, injecte des millions pour éviter l'effondrement humanitaire, tout en ménageant ses relations avec Tel Aviv et Washington.

On assiste ainsi à un paradoxe : l'Entité israélienne autorise un État du Golfe à financer un groupe qu'elle combat, parce que ce financement permet en réalité de maintenir sous contrôle une enclave qu'elle assiège sans en assumer les conséquences.

Ce paradoxe s'explique par une logique stratégique profonde. Depuis que l'Entité a procédé au retrait militaire unilatéral de Gaza en 2005, elle a conservé un contrôle absolu sur l'espace aérien, maritime, les frontières, les infrastructures et la population - tout en se déclarant non responsable ;
Or, en droit international, la puissance occupante est responsable du bien-être de la population civile sous son autorité effective.

Israël aurait donc dû assurer lui-même les besoins fondamentaux des plus de deux millions de Gazaouis - à moins qu'un tiers n'assume cette fonction à sa place.

C'est ce rôle que joue le Qatar, en finançant la survie minimale de Gaza : salaires, carburant, aide sociale. Le tout validé en amont par l'occupant.

Ce mécanisme permet à l'Entité israélienne de :

  • se délester du coût humanitaire,
  • éviter un effondrement social incontrôlable,
  • et maintenir l'enfermement avec une façade de gestion internationale.

Le Qatar paie, le Hamas administre, Israël contrôle.
Ainsi, le financement Qatari ne renforce pas la souveraineté Palestinienne, il pérennise une gestion sous tutelle d'un ghetto à ciel ouvert, à la fois rentable et politiquement stable pour les parties dominantes. Mais cela ne s'arrête pas là, puisque depuis plus de 15 ans, Doha finance indirectement les élections politiques israéliennes, y compris pour des partis d'extrême droite comme ceux de Netanyahu ou Ayelet Shaked une suprémaciste connue depuis 2014 pour ses appels réguliers au massacre.

4.4 - Logistique du siège : corridors terrestres, Jordanie et Égypte

Le blocus de Gaza repose sur des mécanismes logistiques invisibles mais efficaces, dont la Jordanie et l'Égypte sont les pivots essentiels.

La Jordanie du roi Abdallah II agit comme corridor discret pour le commerce israélo-golfien. Le régime coopère étroitement avec Tel-Aviv, tout en prétendant préserver les lieux saints de Jérusalem, sans jamais les défendre concrètement. Sa neutralité proclamée masque une collaboration sécuritaire permanente.

L'Égypte contrôle le verrou sud de Gaza. Le terminal de Rafah est resté fermé lors des pires phases du génocide. Le Caire a érigé des murs de sable, creusé des tranchées, et bloqué l'aide humanitaire. Le régime d'Abdel Fattah al-Sissi agit comme geôlier régional, consolidant sa position diplomatique au prix du sacrifice palestinien.

4.5 - Capitalisme du désastre : reconstruction post-génocide, start-up du contrôle

L'économie du génocide ne s'arrête pas aux armes : elle se prolonge dans la reconstruction planifiée. Des fonds humanitaires sous supervision israélo-américaine sont envisagés. Des entreprises de BTP du Golfe préparent déjà leur entrée sur un territoire reconstruit... sans souveraineté Palestinienne.

Le partenariat Golfe-Israël repose sur un axe techno-autoritaire : pétrodollars contre savoir-faire en contrôle de populations. Gaza devient un laboratoire sécuritaire, et la Palestine, un marché secondaire d'exportation des modèles de répression urbaine.

Conclusion intermédiaire

Le génocide de Gaza ne se résume pas à un crime militaire : c'est une opération géoéconomique, une stratégie d'encerclement, un projet de contrôle. Les monarchies du Golfe ne sont pas de simples spectateurs : elles sont partenaires, architectes, bénéficiaires.

5 - Complicités régionales élargies : Turquie, Azerbaïdjan, Égypte, Jordanie

5.1 - Turquie : indignation tonitruante, collaboration méthodique

Depuis le 7 octobre, Recep Tayyip Erdogan mêle grands discours enflammés et coopération discrète avec Israël. Il condamne violemment les actions israéliennes et tolère les manifestations pro-Gaza sur son sol, tout en maintenant des échanges économiques soutenus, ayant dépassé les 7,5 milliards de dollars en 2023. Aucun embargo ni rupture diplomatique n'ont été annoncés.

La Turquie continue d'exporter vers Israël matériaux, pièces industrielles et équipements, tandis que ses ports comme Mersin et ses infrastructures aériennes demeurent pleinement opérationnels. Si la coopération militaire avec Israël a ralenti depuis 2010, elle reste néanmoins active, notamment en matière de drones, de renseignement et de logistique.

Erdogan incarne une politique d'ambivalence géopolitique : il instrumentalise le conflit de Gaza pour renforcer sa posture islamo-nationaliste intérieure, tout en préservant ses alliances stratégiques régionales. Cette ambivalence est d'autant plus marquée que la Turquie entretient une alliance étroite avec l'Azerbaïdjan d'Ilham Aliyev, lui-même partenaire clé d'Israël dans la région. Ensemble, Ankara et Bakou forment un front commun qui équilibre la rhétorique publique avec des coopérations pragmatiques, contribuant à la complexité géopolitique du conflit.

Ainsi, Erdogan joue le rôle de comédien suprême du cynisme régional, affichant indignation et solidarité apparentes tout en cultivant des relations stratégiques pragmatiques avec Israël et son allié azéri.

5.2 - Azerbaïdjan : l'allié invisible d'Israël dans le Caucase

L'Azerbaïdjan : acteur discret, relais stratégique

L'Azerbaïdjan, sous le contrôle du clan Aliyev, est devenu un acteur actif dans la guerre régionale. Ce régime autoritaire fournit près de 40% du pétrole consommé par Israël, accueille des drones et du renseignement israéliens, et sert de base logistique dans des opérations visant l'Iran.

Le 13 juin 2025, des frappes israéliennes ont touché la région de Tabriz, depuis la frontière azerbaïdjanaise et la mer Caspienne, marquant une escalade nette.

Bakou joue un jeu géopolitique dangereux autour du corridor dit de Zanguezour, qui traverse la province arménienne de Syunik. Un corridor existe déjà dans cette région, reliant l'Arménie à l'Iran et à la Russie, voie essentielle pour Erevan. Mais l'Azerbaïdjan réclame un corridor terrestre extraterritorial permettant de relier directement son territoire principal à son enclave du Nakhitchevan en passant par l'Arménie, ce que rejette fermement l'Arménie, qui y voit une atteinte à sa souveraineté. Ce différend illustre un alignement stratégique de Bakou sur Tel-Aviv et Washington, aux dépens des intérêts russes et iraniens.

Concernant Gaza, aucune condamnation, aucun geste humanitaire. Le silence de Bakou reflète l'ampleur de sa complicité logistique.

5.3 - Égypte et Jordanie : verrous géopolitiques et effondrement moral

Égypte : gardienne du blocus, garante du silence

L'Égypte du maréchal Al-Sissi joue un rôle central dans le dispositif de siège de Gaza. Elle contrôle le terminal de Rafah, seul point de passage vers l'Égypte pour les habitants de l'enclave assiégée.

Depuis le 7 octobre 2023, ce terminal est resté quasiment fermé, bloquant le passage des blessés, des médicaments, de l'aide humanitaire et des journalistes. Le silence du Caire est assourdissant, d'autant que l'armée égyptienne coordonne étroitement avec Israël les flux autorisés. Sous couvert de sécurité nationale, l'Égypte participe de facto au blocus.

En juin 2025, une caravane humanitaire internationale - composée de milliers de militants venus de plus de 80 pays - a tenté de rejoindre le terminal de Rafah pour dénoncer le siège. Mais la marche fut rapidement brisée : plus de 200 activistes ont été interpellés dès leur arrivée au Caire, leurs passeports confisqués, certains battus, d'autres expulsés sans procédure. Dans les rues menant à Suez ou Al-Arich, les forces de sécurité ont instauré des barrages, fouillant, dispersant et arrêtant les participants, dont plusieurs ont rapporté avoir été enchaînés et frappés. Le convoi terrestre parallèle, parti depuis la Tunisie, n'a même pas pu franchir la Libye orientale, stoppé à Syrte sous pression égyptienne. Aucun militant n'a pu approcher Rafah. La répression brutale d'un mouvement pacifique révèle les priorités du régime : la peur d'un débordement islamiste, la dépendance à l'aide militaire américaine et une loyauté implicite à la stratégie israélienne ont réduit l'Égypte au rôle de vigile tacite d'un drame humanitaire majeur.

Jordanie : garant désavoué des lieux saints

La monarchie Hachémite jouit d'un certain prestige historique, fondée sur sa descendance prophétique et son ancienneté dynastique. Mais face à Gaza et Jérusalem, elle a échoué sur tous les fronts. Bien qu'elle soit officiellement la garante des lieux saints musulmans de Jérusalem (Al-Qods), la Jordanie n'a rien pu empêcher, ni les profanations, ni les politiques de judaïsation forcée.

Elle reste un maillon essentiel dans le dispositif israélo-occidental : coopération sécuritaire, pont logistique du commerce émirati vers Israël, répression interne de la solidarité Palestinienne. Le régime jordanien survit par compromis, mais ce compromis devient chaque jour plus insoutenable.

Conclusion intermédiaire ;

Un précédent sans équivoque : la Syrie, ou l'échec programmé de la soumission

Ce tableau des complicités régionales serait incomplet sans rappeler un précédent emblématique : la Syrie. Car l'histoire récente nous enseigne que même la soumission la plus spectaculaire ne protège pas de la dislocation. L'exemple syrien éclaire d'un jour cru ce qui pourrait bien attendre les régimes arabes ayant fait le choix de la trahison.

Aucun alignement arabe, aussi zélé soit-il, n'a jamais suffi à satisfaire durablement la mentalité stratégique de l'Entité israélienne. Le cas syrien l'illustre avec une clarté brutale.

Pendant plus d'une décennie, les propagandes occidentales ont martelé que le nœud du problème résidait dans le «régime Assad». Puis, à la faveur d'un long processus d'effondrement militaire et institutionnel consécutif aux sanctions illégales dites «Loi Caésar», le pouvoir syrien s'est désintégré. Le 8 décembre 2024, une offensive éclair menée par le groupe terroriste Hayat Tahrir al-Sham (ex-Jabhat al-Nosra) a conduit à la chute de Damas. Le président Bachar al-Assad, contraint de fuir, s'est exilé en Russie.

Mais ce qui suivit fut encore plus révélateur. Dans une mise en scène soigneusement orchestrée, le chef historique de Jabhat al-Nosra, Abou Mohammad al-Joulani, entreprit une transformation spectaculaire. Rebaptisé Ahmed al‑Sharaa, il troqua la kalachnikov pour le costume-cravate. Devenu figure centrale du « régime de transition », il fut nommé président de la Syrie le 29 janvier 2025 par une coalition soutenue par les chancelleries occidentales.

Ce même printemps, il entama une tournée de légitimation : reçu à l'Élysée le 8 mai, accueilli à Riyad par Donald Trump le 14 mai, il y déclara publiquement «souhaiter les meilleurs rapports de bon voisinage avec l'État d'Israël» - comme si sa trajectoire n'avait pas été marquée par des appels au djihad.

Or, cette volte-face apparente n'est pas une rupture, mais la continuité d'une alliance informelle déjà ancienne. Pendant près d'une décennie, Jabhat al-Nosra a bénéficié d'un soutien direct de l'Entité israélienne dans le sud de la Syrie : distribution d'armes, soins médicaux, assistance logistique. En juin 2014, Benyamin Netanyahou s'était même rendu sur la frontière syrienne pour rencontrer des combattants blessés, soignés dans un hôpital militaire israélien.

Et pourtant, rien n'a changé pour la Syrie. Le pays demeure occupé, fragmenté, bombardé, méprisé. La soumission - même spectaculaire - n'a pas suffi. Ni la chute d'Assad, ni la conversion médiatique d'un ex-djihadiste en « dirigeant modéré » n'ont restauré l'intégrité territoriale ni la souveraineté nationale.

Transition vers la conclusion

Ce précédent, aussi cynique que limpide, annonce peut-être ce qui attend les monarchies du Golfe, désormais pleinement engagées dans une politique de collaboration assumée avec l'Entité israélienne.
Elles croient peut-être, comme la Syrie hier, que pactiser avec l'oppresseur leur épargnera l'humiliation.
Mais l'histoire est catégorique : la soumission n'achète ni le respect, ni la sécurité - seulement la disgrâce.

L'exemple syrien n'est pas une anomalie, mais une préfiguration. Il éclaire d'un jour cru ce qui attend ceux qui pactisent avec l'oppresseur. L'histoire est formelle : aucun régime du Proche-Orient n'a jamais été jugé assez docile pour être épargné. La soumission n'est pas un bouclier, mais une cible.

Le précédent syrien offre un miroir impitoyable aux illusions de stabilité achetée. Ce qui suit n'est pas un simple détour historique, mais un avertissement politique.

Conclusion - La foi des opprimés, contre l'hypocrisie des puissants

Il y a, dans la résistance du peuple palestinien, quelque chose de plus profond que le simple courage politique ou la légitime aspiration à la liberté : il y a une foi inébranlable qui traverse les épreuves comme un feu sacré.

Depuis plus de soixante-dix-sept ans, depuis la création de l'Entité sioniste - et même bien avant, dès les débuts du mandat britannique -, la Palestine endure un calvaire collectif fait d'expulsions, de massacres, de blocus et d'humiliations. Et pourtant, Gaza prie. Et pourtant, Naplouse veille. Et pourtant, Hébron persévère.

C'est cette foi Chrétienne et Musulmane, cette colonne invisible, qui explique l'endurance d'un peuple brisé sans jamais être vaincu.

Quel contraste, alors, avec ses voisins. Ces régimes richissimes qui se proclament les gardiens d'une religion qu'ils trahissent chaque jour.

Ces monarchies qui se veulent les dépositaires zélés de l'islam, rigoristes dans le formalisme mais incapables du moindre devoir religieux, humain ou moral. Elles n'ont pas seulement failli à la fraternité ; elles ont vendu leur silence et leur collaboration, préférant les affaires, la sécurité, et les honneurs mondains à la justice et au devoir sacré de solidarité.Le peuple palestinien, debout sous les bombes, renvoie à ses voisins le reflet de leur imposture. Et dans cette inversion tragique, c'est bien la victime qui sauve l'honneur de la foi, tandis que les puissants l'ont souillée.

Devant Dieu et devant les hommes, ces monarques sans foi ni loi, et sans noblesse, sont marqués à jamais du sceau de l'infamie.

Que Dieu ne leur pardonne pas, car ils savent ce qu'ils font.

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 Chronique d'une trahison

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