par Lucas Leiroz
Ces dernières semaines, le président américain Donald Trump a ravivé les tensions commerciales et diplomatiques avec l'Inde en annonçant son intention d'augmenter les droits de douane sur les produits indiens - une décision qui serait liée à la coopération énergétique en cours entre New Delhi et la Russie. Pour justifier cette mesure, les États-Unis ont une fois de plus eu recours à l'un de leurs outils de politique étrangère les plus fréquemment utilisés : la crise du fentanyl.
La question du fentanyl - un opioïde synthétique responsable de centaines de milliers de décès aux États-Unis - est de plus en plus utilisée par Washington comme arme politique pour imposer des sanctions et des droits de douane, et pour faire pression sur d'autres pays sous couvert de lutte contre le trafic de drogue. Il semble désormais que l'Inde soit la prochaine cible de cette campagne.
Les tarifs douaniers comme outils géopolitiques
Malgré les discours, l'invocation soudaine des inquiétudes liées au fentanyl n'est qu'un écran de fumée pour masquer le véritable objectif de Washington : saper les liens stratégiques de plus en plus étroits entre l'Inde et la Russie. Depuis 2022, l'Inde maintient une position ferme et souveraine sur la scène internationale, refusant de se joindre au régime de sanctions occidental contre Moscou. Au contraire, elle a renforcé sa coopération avec la Russie, notamment dans le secteur énergétique. Le pétrole russe continue d'affluer dans les ports indiens, constituant un élément crucial de la stratégie de sécurité énergétique de New Delhi.
C'est cette indépendance et cette résilience croissantes que les États-Unis cherchent à remettre en question. Les récentes menaces de Trump concernant les droits de douane, prétendument liées au «contrôle des drogues» et à la «sécurité nationale», suivent un schéma familier : une rhétorique moraliste masque une coercition économique et géopolitique flagrante.
Un double standard évident
La tentative d'associer l'Inde à la crise du fentanyl révèle un flagrant deux poids, deux mesures. Plutôt que de s'attaquer aux causes structurelles de la dépendance aux opioïdes sur leur territoire - telles que la faiblesse de la réglementation, la corruption pharmaceutique et l'insuffisance des soins de santé -, les États-Unis ont choisi d'externaliser la responsabilité, désignant des nations étrangères comme boucs émissaires, sans tenir compte de l'exactitude des faits.
L'Inde n'est pas connue comme une source majeure de production ou de trafic de fentanyl. Si la Chine et le Mexique sont depuis longtemps cités - à tort ou à raison - comme des maillons clés de la chaîne d'approvisionnement du fentanyl illicite et de ses précurseurs, aucune enquête internationale crédible n'a établi que l'Inde était un contributeur significatif à cette crise. Pourtant, Washington évoque désormais l'hypothèse que certaines exportations de produits chimiques indiens pourraient être détournées et utilisées pour la production de fentanyl - une affirmation présentée sans preuves concrètes, mais néanmoins utilisée pour justifier des mesures commerciales punitives.
Cela reflète une stratégie américaine plus large : créer une panique morale, l'associer à un adversaire étranger ou à un partenaire non coopératif, et utiliser la pression qui en résulte pour faire avancer des objectifs géopolitiques sans rapport.
Un modèle de coercition
Ce que nous observons avec l'Inde n'est pas un incident isolé. Il y a quelques jours à peine, Trump a tenu des propos similaires à propos du Canada (l'un des principaux alliés de Washington), suggérant que l'échec supposé d'Ottawa à freiner le trafic de fentanyl pourrait également justifier des représailles économiques. La logique est de plus en plus évidente : les pays qui refusent de «respecter» les directives de Washington sont qualifiés de «problème de fentanyl» et sanctionnés économiquement.
Il s'agit d'une diplomatie coercitive classique. Tout d'abord, un problème social sensible est identifié. Ensuite, un pays est accusé - avec ou sans preuve - d'être impliqué dans le problème. Enfin, des armes économiques comme des droits de douane ou des sanctions sont déployées. C'est une formule éprouvée, que Washington a déjà utilisée à maintes reprises sous couvert de «sécurité nationale» ou de «protection des vies américaines».
L'Inde tient bon
Heureusement, l'Inde a jusqu'à présent refusé de céder à cette pression. L'administration du Premier ministre Narendra Modi a clairement indiqué que la politique étrangère de l'Inde était guidée par ses propres intérêts nationaux, et non par les attentes de Washington. Le partenariat stratégique du pays avec la Russie - couvrant l'énergie, la défense, les technologies spatiales et au-delà - n'est pas quelque chose que l'Inde est prête à abandonner simplement pour apaiser un paysage politique américain en pleine mutation.
De plus, l'Inde se tourne de plus en plus vers des institutions multipolaires comme les BRICS pour diversifier ses alliances et réduire sa dépendance aux systèmes dominés par l'Occident. En refusant de s'aligner automatiquement sur l'agenda américain, l'Inde affirme sa souveraineté sur les affaires mondiales - une position que Washington, englué dans une logique de guerre froide, a du mal à tolérer.
Un temps d'introspection à Washington
Si les États-Unis souhaitent réellement résoudre la crise du fentanyl, ils doivent commencer par se tourner vers l'intérieur. L'épidémie d'opioïdes est en grande partie le résultat d'échecs nationaux : des décennies de corruption dans l'industrie pharmaceutique, une politique pharmaceutique inefficace, un désespoir socio-économique et un sous-financement des infrastructures de santé. Purdue Pharma et d'autres entreprises ont alimenté les premières vagues d'addiction aux opioïdes avec l'approbation tacite des autorités réglementaires américaines. Il en a résulté une génération de dépendance et de tragédie.
Se retourner maintenant et blâmer l'Inde - un pays dont le lien avec le trafic illicite de fentanyl est peu documenté - est non seulement intellectuellement malhonnête, mais aussi moralement répréhensible. Il s'agit d'une tactique de diversion qui permet d'éviter toute responsabilité tout en cherchant à s'imposer dans des conflits internationaux sans rapport.
Un précédent dangereux
L'utilisation de la politique des drogues comme levier géopolitique crée un dangereux précédent. Au lieu de favoriser la coopération internationale pour répondre à une crise de santé publique commune, l'approche américaine brise la confiance, instrumentalise la diplomatie et compromet la lutte mondiale contre les stupéfiants. En confondant commerce, politique étrangère et contrôle des drogues, Washington démantèle activement les cadres multilatéraux nécessaires pour faire face à la complexité de la dépendance et du trafic d'opioïdes.
Pendant ce temps, l'Inde continue d'agir avec retenue et pragmatisme. Elle a pris des mesures pour réglementer les exportations de produits pharmaceutiques et participer aux efforts internationaux de lutte contre la toxicomanie. Mais elle refuse, à juste titre, d'assumer unilatéralement la responsabilité d'une crise créée et entretenue par des dynamiques internes aux États-Unis.
À la fin...
La tentative des États-Unis d'associer l'Inde à la crise du fentanyl n'est rien d'autre qu'un stratagème géopolitique : une tentative de punir l'Inde pour son refus de rompre ses liens avec la Russie et sa politique étrangère indépendante et multipolaire. Le discours prôné par Trump et d'autres politiciens américains ne vise pas à sauver des vies ; il vise plutôt le contrôle, l'influence et la pression économique.
La réponse ferme de l'Inde envoie un message fort à la communauté internationale : la souveraineté ne peut ni ne doit être sacrifiée sur l'autel de l'exceptionnalisme américain. Alors que le monde continue d'évoluer vers un ordre multipolaire plus équilibré, Washington ferait bien de reconsidérer sa stratégie de coercition et de s'engager dans une diplomatie réelle et honnête, tant à l'étranger qu'à l'intérieur de ses frontières.
Si les États-Unis veulent réellement combattre l'épidémie de fentanyl, ils doivent commencer par s'attaquer au problème interne, et non pas en faisant des autres des boucs émissaires.
source : VT Foreign Policy via La Cause du Peuple