16/08/2025 ssofidelis.substack.com  10min #287461

Psychopathocratie 3.0

Par  Juan Cole, le 16 août 2025

Cet essai a été publié pour la première fois en janvier 2017. Il semble encore plus prémonitoire aujourd'hui, huit ans et demi plus tard. À l'époque, je n'aurais jamais imaginé que Trump ferait appel à des disciples psychopathes comme Elon Musk et Peter Thiel pour détruire l'aide américaine et, potentiellement, tuer  14 millions de personnes, soit plus que le nombre de morts de la Première Guerre mondiale. Je n'aurais jamais pu imaginer que l'ensemble de l'Institut national de la santé et des Centres pour le contrôle et la prévention des maladies, avec son réseau de collaborateurs universitaires  de type R1, serait si gravement affecté, et que de précieuses recherches sur les traitements contre le cancer et d'autres avancées seraient anéanties. Je n'aurais pas pu imaginer que le ministère de la Santé serait pris en otage par des antivax, responsables de la mort d'enfants atteints de maladies que l'on croyait éradiquées. J'ai sous-estimé la pression publique capable de pousser le Congrès à s'opposer à la psychopathocratie - certains de ses membres sont eux-mêmes atteints de cette maladie, tandis que d'autres ont peur (et ont été physiquement menacés, ainsi que leurs familles), et que beaucoup ont été simplement soudoyés. Cette dernière question n'a pas non plus été suffisamment abordée. En effet, cette psychopathocratie est celle des ploutocrates, et elle ne se perpétue que parce qu'ils peuvent acheter les politiciens et les transformer en marionnettes. Ils y parviennent si bien, notamment parce que le coefficient de Gini aux États-Unis est désormais tel que la richesse est principalement concentrée entre quelques individus. James Madison a doté les États-Unis d'un système de pouvoirs et de contre-pouvoirs, estimant qu'il y aurait toujours des adversaires plus ou moins égaux sur tous les sujets. Il ne pouvait pas prévoir que  trois familles posséderaient toutes les ressources de 50 % de la population restante. Je n'aurais pas cru possible qu'après le désastre du premier mandat de Trump, le public américain le réélise et qu'il inflige au pays encore plus de dégâts. Nous assistons à un effondrement systémique d'une ampleur sans précédent depuis les années 1850. Cela n'augure rien de bon et l'issue est incertaine. Même si les Démocrates parviennent à revenir au pouvoir, le nouvel Establishment risque de leur résister, et les jeunes Républicains s'entraînent déjà au pas de l'oie en vue de leur avènement futur.

Ann Arbor - Nous vivons aujourd'hui l'aube d'une nouvelle forme de gouvernement, inimaginable pour Aristote, qui ne connaissait que la monarchie, l'aristocratie et la démocratie. Nous nous orientons vers une psychopathocratie, qui présente des similitudes avec les régimes dégénérés que dénonçait Aristote (il craignait que la monarchie ne se transforme en despotisme, l'aristocratie en oligarchie et la démocratie en démagogie). La psychopathocratie est le règne de personnes dépourvues de la capacité fondamentale d'empathie, c'est-à-dire de la capacité de ressentir la souffrance d'autrui ou de se sentir coupables de lui nuire.

La psychopathocratie ne se limite pas simplement à une mauvaise politique. Nous pouvons tous être en désaccord sur l'orientation du gouvernement ou sur certaines initiatives. Souvent, ceux qui soutiennent une politique qui nuit à autrui n'en comprennent pas les conséquences ou pensent qu'elle permet d'éviter un préjudice plus important. Il serait faux de dire que tous les hauts responsables politiques sont des psychopathes indifférents au mal qu'ils infligent aux gens. Les hauts responsables politiques ont aussi mis en place des programmes comme la Sécurité sociale qui ont sorti des millions de personnes âgées de la pauvreté ces dernières décennies. Et ils l'ont fait parce qu'ils avaient à cœur le bien-être de la population.

 Environ 1 % de la population est composée de psychopathes de naissance. L'absence de prise de conscience, l'incapacité à compatir à la douleur d'autrui ou à éprouver des remords peuvent être des traits innés. Dans un tiers des cas, ils peuvent être détectés par IRM. On estime par ailleurs que 5 % du reste de la population développent une absence d'empathie à la suite de lésions cérébrales, de traumatismes ou d'autres types de blessures physiques ou psychologiques.

En outre, environ 12 % de la population présenterait une grande vulnérabilité à la manipulation par des psychopathes, qui peuvent leur faire adopter un comportement ou des idées psychopathiques. Ces 18 % de la population sont extrêmement dangereux. Ils ne disposent d'aucun mécanisme de rétroaction pour gérer leur détresse émotionnelle ou physique. Ils n'hésiteraient pas à renverser quelqu'un et à s'enfuir sans appeler les secours pour porter secours à la victime.

Les psychopathes au pouvoir sont dangereux en raison de leur incapacité à ressentir la souffrance d'autrui. George W. Bush et Dick Cheney ont déclenché une série d'événements responsables de la mort de centaines de milliers d'Irakiens et du déplacement de 4 millions de personnes sur les 30 millions que compte l'Irak, faisant d'eux des sans-abri. Sans parler des 4 486 soldats américains tués et des 500 000 blessés sur le plan physique ou psychologique. Ils ont également déclenché une série d'événements ayant permis la création d'une organisation terroriste, Daech (État islamique), qui contrôle aujourd'hui 40 % du territoire irakien. Mais si vous leur demandez s'ils regrettent leurs actes, ils diront que non. Et je pense qu'ils sont sincères. Ils sont incapables d'éprouver de l'empathie pour les victimes qu'ils ont contribué à engendrer.

Les politiciens prêts à priver la population de soins de santé pour réduire les impôts des milliardaires, à obliger les femmes à porter les enfants de leurs violeurs, à torturer des prisonniers sans défense, à brûler des combustibles fossiles pour le profit en menaçant la planète, à bombarder ou à atomiser des millions de non-combattants pour neutraliser quelques guérilleros, sont clairement des psychopathes.

Les psychopathes ne sont pas nécessairement des criminels ou des individus violents, même si on en trouve quatre fois plus en prison que dans la population globale. Tous les tueurs en série sont des psychopathes. Les fraudeurs comme Bernie Madoff sont des psychopathes.

Les PDG de grandes entreprises et les hommes politiques de premier plan sont également surreprésentés parmi les psychopathes.

 Robert Hare a élaboré une liste de 20 critères permettant de diagnostiquer cette pathologie, qui ne correspond toutefois pas exactement à la définition du DSM-V, le manuel de diagnostic et de statistique des troubles mentaux publié par l'Association américaine de psychiatrie. Hare a mené certaines de ses recherches en prison, ce qui explique que sa liste soit quelque peu biaisée en faveur des activités criminelles.

Il n'est pas nécessaire d'être psychologue pour se rendre compte que Donald J. Trump et plusieurs membres de son administration présentent des signes évidents de psychopathie. La présence de psychopathes à la Maison Blanche n'est pas en soi inédite. Richard Nixon, menteur pathologique qui a en réalité  fait dérailler les négociations de paix de 1968 avec le Vietnam pour empêcher son rival Hubert Humphrey de marquer des points auprès des électeurs, en est un exemple évident. D'innombrables soldats américains et paysans vietnamiens sont morts pour que Nixon accède à la présidence.

Le plus remarquable chez Trump et ses acolytes, c'est que leur haine est brute et concerne un large spectre. Ils détestent les Mexicains, les Noirs, les musulmans, les libéraux blancs (qualifiés de "N-lovers" par les néonazis) et même certains Juifs. En d'autres termes, ils semblent détester la majorité absolue de la population américaine.

La psychopathie de Trump se manifeste par une estime démesurée de lui-même, un besoin constant de provoquer le public pour se stimuler, un charme superficiel, son penchant pour le mensonge, son incapacité à ressentir remords ou culpabilité, sa superficialité émotionnelle, un comportement promiscue et l'absence de contrôle de ses pulsions. Ses agressions sexuelles en série, son recours à la faillite pour échapper à ses créanciers et son penchant pour les affaires douteuses, comme les casinos qui escroquent leurs clients (de nombreux jeux sont truqués en faveur de la maison, avec des taux allant de 11 % à 20 %), sont autant de signes qui ne trompent pas. Trump est plus discipliné et plus déterminé dans sa carrière que la plupart des psychopathes, mais il semble présenter sinon les caractéristiques classiques de ce trouble. Il souffre également d'un problème distinct mais connexe : le syndrome de la personnalité narcissique.

Ceux qui entourent Trump, qui parlent en son nom à la télévision ou sont chargés de le conseiller sur des questions telles que la sécurité nationale, l'environnement ou la neutralité du Net présentent également des signes évidents de psychopathie. Or, seuls 3 millions d'Américains environ sont nés psychopathes. L'idée qu'un nombre aussi important d'entre eux accède au pouvoir à Washington est donc assez inquiétante. Sans oublier qu'environ 38 millions d'Américains sont si vulnérables sur les plans éthique et émotionnel de sorte qu'ils se laissent facilement influencer par des psychopathes. Autrement dit, s'ils sont invités à passer à tabac des membres de minorités, ils le feront sans hésiter.

Sachant qu'environ un tiers des psychopathes  peuvent désormais être diagnostiqués grâce à une IRM révélant des anomalies cérébrales, il serait peut-être souhaitable que les candidats à des postes à responsabilités dans les entreprises et le gouvernement soient soumis à un scanner. Selon Psychcentral,

"une étude a révélé que les délinquants psychopathes, ou psychopathes de sang-froid, présentent un volume de matière grise significativement réduit dans le cortex préfrontal rostral antérieur et les lobes temporaux par rapport aux délinquants psychopathes impulsifs et aux non-délinquants en bonne santé".

En attendant que de tels examens soient opérationnels, il est préférable de considérer que toute personne qui se comporte comme un psychopathe en est un.

Il est impossible de raisonner un psychopathe, de le faire rougir de honte ou de faire appel à ses bons sentiments. Il est inutile de lui écrire des lettres ouvertes. Les méthodes habituelles pour traiter les politiciens qui développent des idées extravagantes dans leur quête de soutiens électoraux et financiers ne fonctionnent pas.

La seule solution revient à reconnaître leur trouble de la personnalité et de prendre des mesures pour se protéger et protéger les autres. Il faut mettre fin aux incitations à la violence contre les minorités. Quand les universités sont incitées à traduire des professeurs en justice, nous devons nous y opposer. Quand ils commencent à faire résonner les tambours de guerre, nous devons tout faire pour y échapper...

Traduit par  Spirit of Free Speech

*  Juan Cole est le fondateur et rédacteur en chef d'Informed Comment. Il est professeur d'histoire à l'université du Michigan, où il occupe la chaire Richard P. Mitchell. Il est l'auteur de nombreux ouvrages, dont  Muhammad: Prophet of Peace amid the Clash of Empires (Mahomet : prophète de paix au cœur du choc des empires) et  The Rubaiyat of Omar Khayyam (Le Rubaiyat d'Omar Khayyam). Suivez-le sur Twitter  @jricole ou sur la  page Facebook d'Informed Comment.

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