En politique, l'argent prend une place de plus en plus importante, à l'image des élections américaines de 2024 qui auront coûté plus de deux milliards de dollars en frais de campagne. De fait, loin des idéaux démocratique où les idées priment, un petit parti sans budget n'a en réalité aucune chance de l'emporter, tant le poids des lobbies et des médias de milliardaires reste prépondérant. Un véritable problème institutionnel qu'il est crucial d'exposer.
Il s'agit d'une cruelle réalité, mais sans financements massifs, il est aujourd'hui devenu impossible d'accéder au pouvoir dans la plupart des régimes dits « représentatifs » du monde.
Dans ce système, les puissances de l'argent donnent le tempo du débat public et font tout pour maintenir un statu quo qui va dans le sens de leurs intérêts économiques et idéologiques. Il serait pourtant envisageable de s'attaquer à ce problème en mettant en place quelques dispositifs de contrôles démocratiques.
Un système sous perfusion
Les sommes levées pour les campagnes électorales aux États-Unis représentent sans doute le plus grand symbole de systèmes politiques malades où l'argent a balayé toute possibilité démocratique. Le dernier scrutin dans le pays de l'oncle Sam a ainsi de nouveau battu des records, puisque Kamala Harris et Donald Trump ont respectivement reçu 1,65 et 1,09 milliard de dollars pour leur campagne.
Cette situation économique explique d'ailleurs en grande partie pourquoi aucun autre parti que les deux mastodontes (Républicains et Démocrates) n'arrive véritablement à émerger outre-Atlantique.
« En France, depuis 1995, le candidat qui a emporté les élections présidentielles disposait toujours du plus gros budget »
En France, ce point précis n'a pas encore atteint une telle démesure, mais le système n'en reste pas moins verrouillé par un problème de même nature. Depuis 1995, le candidat qui a emporté les élections présidentielles disposait toujours du plus gros budget (sauf en 2012, où François Hollande n'avait que le second). À l'inverse, les postulants aux petits financements végètent bien souvent en queue de peloton.
Il ne faut cependant pas non plus simplifier la situation au point d'affirmer qu'il s'agirait du seul critère ; on a également vu certains candidats avec un soutien pécuniaire important avoir des résultats désastreux comme Benoît Hamon en 2017 ou Valérie Pécresse et Anne Hidalgo en 2022. D'autres ont parfois réussi à faire de jolies percées en comparaison de leurs faibles moyens, comme Olivier Besancenot en 2007 ou Jean Lassalle en 2022, sans pour autant s'approcher du second tour.
L'emprise immense des médias
Malgré tout, au-delà des campagnes électorales, les puissances de l'argent disposent d'autres leviers pour influer sur les résultats des scrutins. Le plus redoutable d'entre eux reste sans aucun doute celui des médias de masse.
De fait, ce n'est pas pour rien si la grande majorité d'entre eux a été rachetée par des milliardaires. Pour les plus aisés, peser sur l'opinion demeure une absolue nécessité. En faisant triompher un candidat dont les idées iraient dans le sens de leurs intérêts, ils sont ainsi sûrs de voir leurs affaires prospérer.
À ce titre, la campagne électorale de 2017 représente sans doute le meilleur exemple. En effet, à l'époque, le parti pris était quasi unanime pour Emmanuel Macron. Un phénomène qui expliquait d'ailleurs pourquoi un quasi-inconnu du grand public avait réussi à atteindre le poste suprême en seulement quelques mois.
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Les lobbies aux manettes
En plus des scrutins, les sociétés du monde entier sont également sous l'influence de puissants lobbies privés. Avec le même rôle que les médias, ces derniers pèsent de tous leurs poids sur les citoyens, mais surtout au sein des milieux politiques.
« pour un unique député européen, il existerait dix lobbyistes ».
Ainsi, les grandes entreprises investissent des fortunes sur des individus dont la seule charge est de faire pression sur les élus. Au parlement européen, où de nombreuses normes sont mises en place, ce phénomène est particulièrement présent. Selon une étude, plus de 5800 lobbies ont dépensé près d'un milliard d'euros dans ce but. On estime dès lors que pour un unique député européen, il existerait dix lobbyistes.
L'extrême droite elle aussi dans la danse
Que les grandes fortunes défendent leurs finances en œuvrant à ce que le camp du libéralisme triomphe toujours des élections apparaît comme une absolue évidence. Mais leur volonté d'imposer leurs propres règles ne se limite pas nécessairement à l'économie.
C'est ainsi que les milliardaires Vincent Bolloré et Pierre-Edouard Stérin, tous deux catholiques intégristes, s'emploient également depuis plusieurs années à faire infuser leurs idées d'extrême droite dans la société. Une façon de concilier leurs intérêts pécuniaires avec leurs convictions philosophiques. Aux États-Unis, Elon Musk a œuvré de la même manière auprès de Donald Trump, en particulier grâce au réseau Twitter qu'il a racheté et rebaptisé X.
Un système pyramidal antidémocratique
Avec cette situation, on ne peut décemment pas espérer la mise en place d'une véritable démocratie qui présupposerait une information libre et plurielle et des moyens d'expression équitables pour tous. De fait, nos institutions ont tout d'une ploutocratie.
À l'opposé, tout citoyen ou parti politique qui défendrait des idées à l'inverse des intérêts de la classe économique ne pourra pas compter sur le soutien des grandes fortunes ni des médias qu'elles détiennent. Pour avoir une chance d'accéder au pouvoir, ce type de mouvement devrait se structurer collectivement et parvenir à contrer la diabolisation souvent exercée par les éditorialistes des grandes chaînes TV. Un phénomène qui peut par exemple expliquer pourquoi la révolte des Gilets Jaunes n'a pas réussi à faire tomber la Macronie.
Les sommes nécessaires pour mener des campagnes électorales efficaces obligent d'ailleurs bien souvent les partis à emprunter de l'argent à des banques privées. Or, en étant contraints de procéder ainsi, les candidats remettent leur sort entre les mains de la finance envers qui ils peuvent se sentir redevables, ce qui peut poser des soucis d'indépendance.
De même, le fait qu'une banque puisse refuser de prêter des fonds à un parti soit parce qu'elle ne souhaite pas être associée à son image, soit parce que sa ligne politique va à l'encontre des ses intérêts, peut aussi se révéler extrêmement problématique.
La difficulté du système électoral
Pour s'extraire de cette situation, il conviendrait sans doute de modifier profondément les institutions en s'émancipant en premier lieu du système électoral actuel, véritable poison antidémocratique.
Devoir convaincre les citoyens de remettre leur pouvoir entre les mains d'élus coûtera nécessairement des sommes d'argent colossales. Il existe certes des financements publics pour les campagnes, mais ils maintiennent en grande partie l'ordre établi puisqu'ils dépendent des résultats des formations en lice.
Les partis sous influence
Le fait que les partis politiques soient autant dépendants de leurs résultats d'un point de vue financier représente déjà un immense problème concernant la sincérité de leur comportement et du scrutin. Certains aspireront ainsi à sauver leur appareil ou leur poste plutôt que défendre le bien commun.
La professionnalisation des politiciens est d'ailleurs elle aussi une question épineuse de ce point de vue. Un élu qui cherche à conserver sa place n'agira sans doute pas de la même façon que quelqu'un qui serait limité à un seul mandat. De même, les indemnités et les avantages économiques très importants des gouvernants ont de quoi attirer des membres de la bourgeoisie vers ces positions.
En abaissant ces revenus, on aurait pourtant des élus plus proches du peuple d'un point de vue financier. Un procédé qui impliquerait cependant de raffermir de manière drastique la lutte contre la corruption, notamment en augmentant la transparence et les processus de contrôle.
La démocratie comme antidote ?
En définitive, ce sont bien des mécanismes démocratiques qui pourraient permettre de se libérer des forces de l'argent.
Le tirage au sort représenterait par exemple une solution intéressante. En confisquant le pouvoir aux élus et en le confiant à des citoyens qui n'auront mené aucune campagne, l'aspect pécuniaire aura nécessairement beaucoup moins d'influence. Lorsque l'on est choisi par le hasard, il est par ailleurs plus probable que l'on ne soit pas en quête d'un poste pour de mauvaises raisons, et notamment financières.
Évidemment, pour en arriver à un système efficace de ce point de vue, il faudrait également mieux sensibiliser l'ensemble de la population à la vie politique, mettre à terre les lobbies et surtout sortir les médias du monopole des milliardaires en imposant un réel pluralisme (la réduction du temps de travail serait aussi un prérequis pour donner aux gens les moyens de redevenir citoyens impliqués).
Des solutions qui nécessiteraient sans doute que l'État investisse dans des organismes de contrôle et que les citoyens puissent avoir leur mot à dire ( RIC, conventions citoyennes, etc.) afin d'alléger la puissance des représentants. Un moindre mal pour s'écarter définitivement de ce modèle de financement qui empêche l'avènement d'une véritable démocratie.
- Simon Verdière
Image d'entête @ Z dead____artist/Unsplash