Gustavo Veiga
AFP
Le directeur du magazine Correo del Alba donne son avis sur la situation politique et sociale actuelle en Bolivie. Né au Chili, il vit à La Paz depuis onze ans. Professeur d'histoire et de géographie, titulaire d'un master en études latino-américaines de l'Université de La Havane, il est également l'auteur de l'ouvrage « La gauche chilienne à l'époque d'Allende et de l'Unité Populaire ». Cet entretien a été réalisé avant le premier tour des élections présidentielles en Bolivie. Mais Javier Larraín prédisait déjà une possible victoire de deux candidats de droite, qui s'est confirmée. Il affirme sans détour ce que personne dans le camp progressiste ne voudrait entendre : une possible fin du cycle du MAS après deux décennies de gouvernement. Il en explique les raisons dans cet entretien avec Derribando Muros.
Sommes-nous face à une défaite électorale du Mouvement vers le Socialisme (MAS), comme le suggèrent les sondages ?
Il existe une réelle possibilité que la droite l'emporte et que deux candidats de cette mouvance accèdent au second tour 1. L'ordre importe peu, qu'il s'agisse de Doria Medina ou de Tuto Quiroga. Reste à savoir si Andrónico Rodríguez (MAS) parviendra à obtenir suffisamment de voix pour se frayer un chemin entre les deux et constituer une alternative. Pourquoi dis-je cela ? Parce que si les deux candidats de droite se qualifient pour le second tour et que deux autres candidats de droite, comme Manfred Reyes, le maire de Cochabamba, et Rodrigo Paz (c'est lui qui a gagné au premier tour), le fils de Jaime Paz Zamora, terminent quatrième ou cinquième, ils obtiendront les deux tiers du Sénat et de la Chambre des représentants. Jusqu'à présent, les chiffres sont les mêmes, et pour moi, c'est la fin d'un cycle.
Quand situez-vous le début de cette crise du MAS ?
Je crois que le processus de décomposition du MAS était en cours depuis un certain temps. Depuis 2013-2014, et si l'on se souvient qu'en 2019, il avait obtenu le plus faible score de son histoire avec Evo, 47 %, et avait perdu un référendum dont il avait ignoré le résultat, alors ce déclin est bel et bien réel. La victoire d'Arce a permis un bond de 55 % en 2020, mais son implosion rapide et la division au sein du MAS ont généré d'énormes troubles sociaux.
À quoi attribuez-vous la division au sein du MAS ? Aux égos du président Luis Arce et d'Evo Morales ? À des divergences politiques légitimes ? Aux trahisons d'un programme ?
L'aspect le plus profond du projet politique du MAS était le fameux Agenda d'Octobre, qu'il a concrétisé avec l'arrivée au pouvoir d'Evo Morales. Il prévoyait la refondation du pays, la création d'une Assemblée constituante et le développement du secteur des hydrocarbures. Tout cela s'est déroulé en 2011 et 2012, et s'est poursuivi sur cette lancée jusqu'en 2014. Mais le dernier gouvernement de Morales était plutôt technocratique, sans récit, sans horizon. Le mot d'ordre était l'industrialisation, le slogan était l'industrialisation, mais il n'y avait rien qui mobilisait, qui avait une dimension mystique, et cela a provoqué des dissensions internes qui n'ont jamais été bien canalisées en raison du caractère de la politique bolivienne, très caudilliste, très messianique, et même en raison d'erreurs telles que le refus d'accepter le résultat du référendum du 21 février 2016..
Et quelle a été l'influence du coup d'État de novembre 2019 contre Evo Morales ?
Pour moi, ce fut la cerise sur le gâteau lorsque les dirigeants du MAS ont commencé à quitter le pays, laissant les militants ici seuls et désemparés. J'étais là. Il n'y avait personne. Un tweet est arrivé deux jours plus tard. Les choses se sont accumulées et tout a remis en question, du leadership d'Evo Morales jusqu'à la légitimité d'autres membres du cabinet. C'est comme ça que tout a explosé.
Comment les égos d'Arce et de Morales se sont-ils exprimés ?
Evo est arrivé avec cette marche massive depuis l'Argentine, et ils sont redevenus des héros. Ici, en Bolivie, le MAS est fortement imprégné de péronisme, et ils ont dit : Arce au gouvernement et Evo au pouvoir. Mais la première impasse est survenue lorsqu'Evo a tenté de nommer les ministres du gouvernement d'Arce, et Arce a refusé. « Les ministres sont de la responsabilité du président, et c'est moi qui les nomme », a-t-il répondu. Cela a déclenché une série de conflits qui se sont intensifiés, et je pense que cela est lié à leurs égos.
Y a-t-il des nuances entre les candidats de droite, si l'on considère les deux actuellement en première et deuxième position : Tuto Quiroga et Samuel Doria Medina ?
Je vois Doria Medina comme un homme d'affaires plus pragmatique, à l'instar de Piñera Uno (ancien président droitier du Chili), qui saura coexister avec les acteurs sociaux et qui sera un peu plus ouvert au dialogue. Tuto Quiroga est le plus à droite et le plus réactionnaire.
Que pensez-vous d'Andrónico Rodríguez et de son éloignement d'Evo, qui a retiré son soutien à sa candidature ?
Andrónico est un leader cocalero qui a fait toute sa carrière dans le Trópico de Cochabamba, il était secrétaire d'une fédération et le dauphin d'Evo. Au cours des cinq dernières années, il a été président du Sénat et opposant à Arce. Jusqu'en janvier ou février dernier, il était contre le gouvernement. En d'autres termes, il n'a jamais été proche du MAS au pouvoir, car il faisait partie du noyau dur d'Evo. Où cela s'est-il brisé ? Avec sa candidature.
Que pensez-vous du vote digne ou du vote nul proposé par l'ancien président Morales ? 2
Je pense que c'est une absurdité. Le sénateur Leonardo Loza parle de trois millions de votes. Je n'y crois pas. Quand ils ont dit aux gens de démissionner du MAS, pas plus d'un pour cent du million de militants n'a démissionné. Quand on leur a demandé de quitter la fonction publique ou leurs postes dans les ambassades, ils n'ont pas démissionné. Je ne pense pas qu'ils aient ces 3 millions de voix. Ce vote nul dans la situation actuelle est un vote réactionnaire, un vote de droite, car la droite va être surreprésentée. Ce qui comptera à la fin de la journée, ce sont les votes valablement exprimés.
Nous parlons de Morales, mais pas tellement d'Arce. Quelles erreurs attribuez-vous au président dans cette crise du MAS ?
Il n'a pas bien géré la division du MAS lorsqu'elle a commencé. L'un de ceux qui a tenté d'appeler à l'unité ou de trouver une formule de coexistence était Álvaro García Linera, qui pensait que l'un était le leader politique et l'autre, le leader historique des mouvements sociaux. Comme ces différences n'ont pas été bien gérées, une partie importante de l'action d'Arce s'est concentrée sur la destruction de la figure de Morales, s'engageant dans une guerre qui l'a conduit à ne plus comprendre, à un certain moment, la situation politique, la réarticulation et la bonne gestion du gouvernement.
Javier Larraín est né au Chili mais vit en Bolivie depuis onze ans. Professeur d'histoire et de géographie, titulaire d'un master en études latino-américaines de l'Université de La Havane, il dirige le magazine Correo del Alba, une publication qui publie des chroniques de son compatriote, le sociologue Marcos Roitman, de l'écrivain uruguayen Raúl Zibechi, ancien ministre d'Evo Morales, José Pimentel, et du politologue argentin Atilio Borón. En Bolivie, en 2020, il a publié l'ouvrage « La gauche chilienne à l'époque d'Allende et de l'Unité Populaire : stratégies et tactiques politiques ».
Source originale: Le blog de Gustavo Veiga
Traduit de l'espagnol par Investig'Action
Notes
1 Entretien réalisé avant le premier tour des élections en Bolivie. Et le scénario s'est confirmé. Deux candidats de droite s'affrontent pour le second tour. (NDLR)
2 Evo Morales avait encouragé ses partisans au vote nul pour protester contre son exclusion du scrutin. (NDLR)