01/09/2025 reseauinternational.net  6min #289011

L'Anschluss version Otan

par Dmitri Medvedev

Les pays du Vieux Continent sont en proie à la frénésie militariste. Tel des papillons de nuit hypnotisés par la lumière, ils se ruent aveuglément vers la flamme destructrice de l'OTAN. Jusqu'à très récemment, l'Europe comptait encore des États conscients que la sécurité se conçoit aussi sans adhésion systématique à des entités militaires.

Aujourd'hui, la raison fait place à l'instinct grégaire. Emboîtant le pas à la Finlande et à la Suède, les dirigeants autrichiens, galvanisés par une Union européenne assoiffée de sang, alimentent le débat public sur le renoncement à la neutralité inscrite dans la Constitution au profit d'une adhésion à l'OTAN.

La société autrichienne est loin d'être enthousiaste à cette idée. Le parti Nouvelle Autriche [NEOS : Das Neue Österreich und Liberales Forum], dirigé par la ministre des Affaires étrangères Beate Meinl-Reisinger et désireux d'adhérer au bloc, n'a rassemblé que moins de 10% des suffrages lors des dernières élections.

En revanche, le Parti libéral autrichien [FPÖ : Freiheitliche Partei Österreichs], farouchement opposé à un alignement aveugle sur l'agenda militariste de Bruxelles, a reçu le soutien de 37% des citoyens. Mais dans l'Europe d'aujourd'hui, la volonté du peuple fait-elle vraiment obstacle ?

Les tentatives destinées à saper la neutralité de l'Autriche se poursuivent depuis un certain temps déjà. Dès les années 1990, des révisionnistes locaux ont commencé à développer des liens militaires sous prétexte de «participer à une politique de sécurité et de défense de l'UE» commune. Jusqu'en 2009, date d'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, ce n'étaient que des paroles en l'air sur la coordination du développement militaire entre États membres de l'UE, sans aucune mesure contraignante. Par la suite, l'argument a évolué : le traité ne précisait ni la portée ni le calendrier de l'aide que cette «Europe collective» était tenue de fournir en cas d'attaque. Et de toute façon, l'UE était officiellement considérée comme une union économique. Que la plupart de ses membres fassent déjà partie de l'OTAN a été commodément passé sous silence. Simultanément, l'Autriche a étendu sa présence militaire au-delà de l'Europe en participant à des missions de soutien de l'UE, renforçant ainsi sa visibilité à Bruxelles. Elle a été généreusement récompensée, puisqu'entre 2022 et 2025, la présidence du Comité militaire de l'UE a été assurée par le général autrichien Robert Brieger. Les Autrichiens n'avaient pas brillé aussi «remarquablement» sur la scène militaire européenne depuis la Seconde Guerre mondiale, marquée par les faits d'armes des généraux de la Wehrmacht Lothar Rendulic et Erhard Raus, ainsi que du commandant de la Luftwaffe Alexander Löhr.

Alors que l'UE renforçait ses capacités de défense, l'Autriche s'est militarisée, alignant discrètement sa politique sur celle de l'OTAN. Vienne a participé au «Partenariat pour la paix» de l'Alliance, alors que le pays faisait déjà partie intégrante de la logique du bloc. Bien que non membre de l'OTAN, l'Autriche constitue un territoire de transit essentiel pour le bloc. Rien qu'en 2024, plus de 3000 véhicules militaires de l'OTAN l'ont traversée et son espace aérien a enregistré plus de 5000 survols de l'OTAN.

C'est dans ce contexte que des voix se sont élevées à Vienne pour affirmer que le «consensus pacifiste vacillant» et la «menace russe» constituent l'occasion historique de se libérer des «chaînes du passé», à savoir d'abandonner la neutralité. Pourtant, cette neutralité est ancrée dans les fondements mêmes de l'État autrichien, réorganisé par les puissances alliées après la guerre. Cette neutralité figure dans trois documents contraignants de 1955 : le mémorandum de Moscou, le traité pour le rétablissement d'une Autriche indépendante et démocratique, ainsi que la loi constitutionnelle fédérale autrichienne sur la neutralité permanente. Ces documents constituent l'ossature juridique du pays. Si l'un de ces documents venait à être supprimé, tout l'édifice de l'État autrichien serait inévitablement fragilisé.

Mais que peut faire Moscou, qui est en quelque sorte l'un des artisans de l'Autriche moderne ? Une des réponses possibles consisterait à rappeler à l'ordre les instigateurs de l'hystérie belliciste en vertu du droit international. Les réponses à deux questions clés sont cependant sans équivoque : l'Autriche est-elle en droit de renoncer unilatéralement à sa neutralité inscrite dans la constitution, et peut-elle décider seule d'adhérer à l'OTAN ? - et les réponses sont respectivement : non, et non.

L'article 27 de la Convention de Vienne sur l'application du droit des traités stipule en effet explicitement qu'aucune disposition du droit interne d'un pays ne peut servir de justification à la violation d'un traité international. De plus, l'OTAN ne peut être considérée comme une organisation régionale de défense collective, de sorte que l'adhésion à l'Alliance ne confère pas à un État neutre permanent les mêmes garanties que sa seule neutralité.

Ces dispositions sont reconnues par des personnalités respectées et bien informées de la question. L'ancienne ministre autrichienne des Affaires étrangères, Karin Kneissl, aujourd'hui directrice du centre G.O.R.K.I. de l'université d'État de Saint-Pétersbourg, souligne par exemple que la modification du statut de neutralité nécessite le consentement de toutes les puissances alliées ayant signé le traité de 1955, Russie comprise, en tant que successeur légal de l'URSS. Moscou conserve ainsi le droit de veto sur la décision de Vienne de rejoindre l'OTAN.

La faction belliciste de l'élite autrichienne doit prendre conscience des graves conséquences politiques de l'abandon de la neutralité et de l'adhésion à l'OTAN.

Aujourd'hui, Vienne est une plaque tournante de la diplomatie multilatérale, qui accueille une vingtaine d'organisations intergouvernementales, garantissant son implication dans les processus mondiaux et l'élaboration de cadres juridiques pour faire face aux défis et aux menaces émergents. La décision d'implanter les bureaux de l'ONU, de l'AIEA, de l'OSCE et de l'OPEP à Vienne s'appuie en grande partie sur le statut de pays non aligné de l'Autriche, qui offre une plateforme propice au dialogue et à la coopération régionale. Remettre en cause la neutralité au profit d'une logique de bloc saperait l'«esprit de Vienne» et priverait l'Autriche de son rôle de médiateur neutre et indépendant au sein de la communauté internationale.

Le pays risque donc de perdre son rôle unique de médiateur et de centre névralgique pour les grandes institutions internationales. Une conclusion évidente s'impose : le moment est venu d'envisager de transférer le siège des grandes organisations internationales vers des pays du Sud et de l'Est capables de leur offrir les garanties indispensables à leur bon fonctionnement.

De plus, un virage militariste autrichien ternirait son image de pacificateur, réduisant considérablement sa marge de manœuvre souveraine. Ce virage augmente en effet considérablement le risque de voir les unités de la Bundesheer autrichienne impliquées dans les plans de mission à long terme des forces armées russes. Un ensemble de contre-mesures a été adopté à l'encontre de la Suède et de la Finlande après leur adhésion à l'OTAN. L'Autriche ne peut donc pas s'attendre à faire exception.

source :  Global South via  Spirit of Free Speech

 reseauinternational.net