06/09/2025 legrandsoir.info  59min #289658

Malcolm X, une destinée brisée

Christian EYSCHEN

Si la mort en général et surtout par assassinat est toujours un drame, celui qui frappa, le 21 février 1965 à Harlem, Malcolm Little devenu Malcolm X, puis Al-Hâjj Mâlik al-Shabbaz, est plus qu'un drame, c'est une horreur absolue, car il frappa un militant qui évoluait sans cesse vers sa gauche : le Mouvement ouvrier. Qui sait jusqu'où il aurait pu aller ? Son assassinat fût un crime contre l'Humanité combattante qui cherche l'émancipation intégrale. Martin Luther King après son assassinat déclarera que « ce meurtre est une grande tragédie et que cela prive le monde d'un grand leader potentiel. » L'idée de ce travail m'est venue en réfléchissant sur une question qui me préoccupe depuis longtemps : pourquoi les Noirs ont-ils adopté la religion de leurs maîtres, de leurs bourreaux et pourquoi l'ont-ils surtout gardé pour la plupart ? La vie de Malcolm X et son œuvre sans cesse renouvelée, changeante et progressive m'a apporté un grand nombre de réponses à cela.

« Que savent-ils de l'Angleterre ceux qui ne connaissent que l'Angleterre » (Rudyard Kipling). Cela sera repris par le révolutionnaire noir CLR James à propos du cricket.

J'avais commencé cette réflexion dans des articles pour la rubrique « Musique » pour la Raison et pour l'Idée libre, sur John Mayall et Allman Brothers Band que je vous livre ci-dessous.

Chercher l'idée derrière le mot

Il y a peut-être aussi une réflexion à avoir sur la dichotomie entre ce qu'exprime la musique, comment elle permet à des musiciens de génie de « monter à l'assaut du ciel » par leurs talents et le contenu réel des paroles des morceaux de blues. Si le blues permet et oblige de longs moments de rifles de guitare et/ou d'autres instruments entre deux phrases, cela ne veut-il pas dire que les paroles et la musique sont deux mondes qui se côtoient sans se reconnaitre et s'identifier ?

Ce qui est fondamental, c'est la musique et non les paroles, c'est pourquoi le fait que « je ne jaspine pas une broquille de roastbeef » n'a strictement aucune importance. Quand on lit les paroles aujourd'hui, en règle générale, cela ne vole pas haut, c'est d'une rare indigence. Tout le monde n'est pas Jim Morrison des Doors.

Allons plus loin dans la réflexion. J'ai toujours été intrigué, le mot est faible, par le fait que les esclaves aient adopté la religion de leurs maîtres qui les opprimaient. Pour moi, c'est un non-sens absolu. Si on combat les maitres pour son émancipation intégrale, alors on rejette tout leur fatras idéologique qui justifie l'oppression que l'on subit. Mais tel n'est pas le cas, au contraire.

On peut penser dans un premier temps, que l'appropriation du culte des maîtres est la volonté de marquer une certaine égalité avec eux, en tout cas de la revendiquer. Mais on sait que malgré une religion commune, on ne se mélange pas entre Noirs et Blancs. Et que cette revendication de l'égalité commence où elle finit et vice-versa.

Mais ne serions-nous pas alors dans le domaine du monde des apparences, de la coupure épistémologique pour parler comme les gens distingués et cultureux à souhait ? Il y aurait une apparence (la religion) qui serait les paroles et une réalité (la musique) bien plus profonde et réelle, la vraie nature des choses. Ce qui serait important, serait alors la musique qui exprime la misère, la tristesse et la révolte et les paroles qui sont là pour camoufler, habiller, travestir ; en fait, faire passer la pilule du réel. En quelque sorte, la personnification de ce que disait Auguste Comte, « le pays légal et le pays réel », expression galvaudée par Charles Maurras.

Ce qui pourrait expliquer que la contradiction oxymoresque entre les paroles et la musique, entre la religion commune et la réalité oppressive, finit par exploser. Ce ne sont pas les paroles qui justifient la musique (d'où émergent quelques experts fabuleux), c'est le contraire. Les paroles sont le support pour travestir, la musique est le fond de la motivation réelle.

Autre parallèle à faire. Cela expliquerait, par exemple, que Malcolm X va utiliser l'islam comme un autre véhicule que le christianisme. L'habit religieux continue à coller à la peau, mais il y a une recherche de se dépouiller de ses oripeaux, pourtant on garde l'habitude de se vêtir de vêtements religieux (cela protège d'une certaine manière, parce qu'il n'y a pas une rupture complète avec l'ancien état de fait), camisole de l'oppression pas totalement vaincue dans sa tête. Là aussi, il faut faire la distinction entre le support et la motivation réelle.

La conclusion que l'on pourrait tirer de cette analyse du blues à l'aune de John Mayall est que la question sociale ne peut être effacée et disparaitre, qu'elle apparait sous bien des formes différentes, car « elle creuse bien la Vieille Taupe ».

Comment ne pas donner raison à Karl Marx et sa célèbre formule sur « l'opium du peuple » qui exprime parfaitement la contradiction entre l'apparence et la réalité en matière religieuse : « Le fondement de la critique irréligieuse est : c'est l'homme qui fait la religion, ce n'est pas la religion qui fait l'homme. Certes, la religion est la conscience de soi et le sentiment de soi qu'a l'homme qui ne s'est pas encore trouvé lui-même, ou bien s'est déjà reperdu. Mais l'homme, ce n'est pas un être abstrait blotti quelque part hors du monde. L'homme, c'est le monde de l'homme, l'État, la société.

Cet État, cette société produisent la religion, conscience inversée du monde, parce qu'ils sont eux-mêmes un monde à l'envers. La religion est la théorie générale de ce monde, sa somme encyclopédique, sa logique sous forme populaire, son point d'honneur spiritualiste, son enthousiasme, sa sanction morale, son complément solennel, sa consolation et sa justification universelles. Elle est la réalisation fantastique de l'être humain, parce que l'être humain ne possède pas de vraie réalité. Lutter contre la religion c'est donc indirectement lutter contre ce monde-là, dont la religion est l'arôme spirituel.

La détresse religieuse est, pour une part, l'expression de la détresse réelle et, pour une autre, la protestation contre la détresse réelle. La religion est le soupir de la créature opprimée, l'âme d'un monde sans cœur, comme elle est l'esprit de conditions sociales d'où l'esprit est exclu. Elle est l'opium du peuple. L'abolition de la religion en tant que bonheur illusoire du peuple est l'exigence que formule son bonheur réel. Exiger qu'il renonce aux illusions sur sa situation c'est exiger qu'il renonce à une situation qui a besoin d'illusions. La critique de la religion est donc en germe la critique de cette vallée de larmes dont la religion est l'auréole. »

Sa première vie

Malcolm X est né Malcolm Little. Son nom venait du propriétaire d'esclaves qui profita de la déportation d'Afrique aux Amériques de millions de Noirs enchaînés, battus, violées, emprisonnés, destinés à être soumis à un esclavage sans pareil. Quand Malcolm se converti à l'Islam, il choisit X comme nom pour indiquer clairement qu'il n'avait pas d'identité, car elle lui avait été volée. Il prendra ensuite un nom arabe, parce qu'à la face du monde « Arabe » cela veut dire « Musulman » pour bien marquer sa nouvelle identité qu'il s'était construite, un peu comme Corto Maltese qui s'était gravée une nouvelle ligne de vie au poignard dans la main, car l'ancienne ne lui convenait pas.

Certains Noirs, pour rompre avec le Christianisme de leurs oppresseurs, avaient aussi choisi de se convertir au judaïsme. Rompre avec le christianisme devenait un acte de libération. Il y eut aussi des Noirs athées, mais du fait de « l'obscur conformiste théiste » aux EU (dixit George Breitman, cela ne fut que très minoritaire. Aux Antilles, la rupture avec le christianisme se fera, sous-jacente, par le vaudou qui a joué un très grand rôle dans la révolte des esclaves.

Il est né le 19 mai 1925 à Omaha, Nebraska (EU) et mort assassiné le 21 février à New-York (EU). Son père, Earl était un Noir dont les aïeux avaient été déportés d'Afrique et sa mère Louise une Noire mulâtre, produit du viol de sa mère par un Blanc. Quatre de ses oncles furent tués par des Blancs, dont un fut lynché. Il vécut sans cesse dans un univers de violence. Son père a eu 3 enfants d'un premier mariage le nouveau couple en eu 7, Malcolm étant le 4eme. Il était très lié à ses sœurs et frères, mêmes celles et ceux nés de la première union. Ainsi, il ira vivre un certain temps à Boston chez sa demi-sœur Ella, issue du premier mariage de son père et ils seront toujours très proches.

Anne de Biran sur Radio-France fait cette présentation du début de sa vie, avant son engagement dans le combat politique et religieux : « Adeptes des préceptes de Marcus Garvey qui prône le retour en Afrique, (Il va constituer en 1816 l'American Colonization Society qui va aboutir à la création du Libéria, pays africain destiné au retour des esclaves noirs, et ce avec le soutien de Thomas Jefferson), ses parents sont la cible du Klu Klux Klan. La maison familiale est incendiée. Le corps de son père, Earl Little, conducteur de tramway, est retrouvé coupé en deux sur des rails. Sa mère, Louise Little, sombre dans la misère et perd la raison. Malcolm et ses cinq frères et sœurs sont placés. (Il se battra pour avoir la garde de ses frères et sœurs, mais cela lui sera refusé par l'aide sociale de la ville).

Élève brillant, le jeune homme rêve d'une carrière d'avocat. Il lui est suggéré de devenir charpentier. (Sa fille, dans son roman Comment je suis devenu Malcolm X, rapporte ce qu'un enseignant lui aurait dit textuellement : Même si tu es excellent en classe, une fois franchies ces portes, tu es juste un Nègre.) Frustré, le jeune homme en colère déménage à Boston, puis New-York où il survit de trafics et de magouilles. Drogue, proxénétisme, cambriolage le mènent en prison à l'âge de 21 ans. Autodidacte, lecteur compulsif, le futur Malcolm X y recopie le dictionnaire : "Si je n'étais pas dehors tous les jours à me battre contre l'homme blanc, je pourrais passer le reste de ma vie à lire juste pour satisfaire ma curiosité", écrit-il dans son autobiographie.

Entre vols et cambriolages, il est aussi cireur de chaussures dans des salles de bal où il rencontrera des musiciens extraordinaires comme Count Basie, Lionel Hampton, Duke Ellington. La musique aura toujours une place importante chez lui. A la fin de son service, il dansait comme un diable, améliorant sans cesse son style. Il y rencontrera et séduira même une « Blanche », ce qui sera une circonstance aggravante dans sa condamnation à la prison, car « on ne mélange pas les Blanches avec les Noirs ».

« Malcolm X, lui, est marqué à jamais par le cauchemar, titre du premier chapitre de son autobiographie, que constitue sa jeunesse. Il prônera longtemps un séparatisme radical entre les deux communautés et n'acceptera jamais de Blancs dans les organisations politiques qu'il créera.

Malcolm Little s'est converti à l'islam en prison, au sein de la Nation of Islam, une organisation créée dans les années 1930. Prophète autoproclamé et homme d'affaires avisé, son fondateur, Elijah Muhammad, s'appuie sur une certaine mythologie. La Nation of Islam réclame la séparation stricte des Noirs et des Blancs, et encourage un circuit économique afro-américain autonome : boutiques, associations, services sociaux, qui court-circuitent le système capitaliste américain. » (Au plus fort de son acmé, Nation of Islam va compter 70 000 membres.

En 1961, il y aura une alliance de fait avec le Ku Klux Klan et le parti nazi américain, car les uns et les autres se confortaient mutuellement dans la volonté de vivre séparés. Un peu comme les sionistes en Allemagne où Hitler les autorisait à défiler en uniforme, car les deux parties voulaient la même chose : les départs des Juifs de l'Europe. Dans sa rupture avec Elijah Muhammad qui soutenait l'État d'Israël, Malcolm X va abandonner toute déférence au sionisme pour devenir un soutien inconditionnel au Peuple palestinien.

Il analysera aussi que la majorité des Juifs américains dans le Nord faisaient partie des plus grands ségrégationnistes et que, dans Harlem, ils étaient souvent les propriétaires des biens interdits aux Noirs et qu'ils ne se servaient nullement de leur influence pour soulager et défendre les Noirs, bien au contraire, ils profitaient largement de leur exploitation et de leur oppression.

« Sa force est de redonner à toutes sortes de marginaux - délinquants, alcooliques, prostituées - une dignité par l'observance à l'islam. Malcolm X en est devenu le héraut charismatique. Comme le rappelle le rappeur Disiz sur France-Inter, celui qui était surnommé "Satan" en prison devient un symbole de rédemption, inspirant pour les membres de sa communauté les plus endurcis. »

Cette conversion est le point de bascule vers une trajectoire religieuse et militante d'envergure qui force le respect. L'engagement de Malcolm X est d'abord un engagement politique sur fond de religion et non l'inverse. C'est la condition désastreuse et révoltante des Noirs aux États-Unis qui l'amène à se révolter pour agir politiquement pour changer le cours des choses. Pour cela, sa première rupture est celle d'avec la religion de ses parents : le christianisme qui prône la soumission et qui est celle des bourreaux du Peuple noir. C'est lui qui amènera Cassius Clay à se convertir à l'islam, prenant alors le nom de Muhammad Ali.

Il ne se réfugie pas dans la religion comme un moyen de consolation, mais comme un instrument de sa révolte, c'est d'abord et avant tout un combat politique qu'il mène. C'est cet aspect que je vais traiter dans la suite de ce travail. Pour connaitre la vie de Malcolm X rien ne vaudra jamais sa fabuleuse autobiographie qui vous transporte littéralement. Une de ses filles (il en aura 6 avec sa femme Betty Shabbaz, née Sanders, naitra sept mois après son assassinat) en fera d'ailleurs un roman Comment je suis devenu Malcolm X sur cette première partie la vie de Malcolm Little, avant le point de bascule, qui met très bien en scène cette « tranche de vie ».

Contre la religion des Blancs

Dans ses sermons dans les Temples de Nation of Islam, il amplifie sa rupture avec la religion des maîtres : « Alors que toutes les religions du monde parlaient à leurs fidèles d'un dieu auquel ils pouvaient s'identifier, qui partageait au moins avec eux des ressemblances physiques, le maitre d'esclaves a injecté sa religion chrétienne dans ce « Nègre ». Il lui a appris à adorer un dieu étranger, qui avait les mêmes cheveux blonds, la même peau pâle et les mêmes yeux bleus que lui.

Cette religion a enseigné aux « Nègres » qu'être noir est une malédiction. Elle lui a appris à haïr tout ce qui est noir, y compris lui-même. Que tout ce qui est blanc est bon, admirable, respectable et digne d'être aimé. Ce « Nègre » s'est ainsi mis à croire que le degré de pollution de son teint par la blancheur du maitre était une marque de supériorité.

La religion chrétienne de cet homme blanc continuait de tromper et de laver le cerveau de ce « Nègre » afin qu'il tende systématiquement l'autre joue, qu'il fasse semblant de sourire, qu'il récure, qu'il s'incline, qu'il reste humble, qu'il chante et prie, et qu'il accepte les miettes que l'homme blanc lui laissait ; qu'il attende que les choses lui tombent du ciel, qu'il aspire au paradis dans l'autre monde puisqu'ici, sur terre, c'était l'homme blanc propriétaire d'esclaves qui jouissait de son paradis. »

« Maître Fard (le véritable fondateur de Nation of Islam qui « investira » ensuite Elijah Muhammad pour poursuivre sa mission) enseignait que si l'enfer était sur terre, le diable y était lui aussi - la race blanche ayant été créée à partir de l'homme originel noir six mille ans auparavant, afin d'établir un enfer sur terre pour les six mille ans à venir.... Comme le disait l'Honorable Elijah Muhammad : notre ennemi, c'est l'homme blanc !...

Quand vous avez identifié votre ennemi, il ne peut plus vous laver le cerveau ni vous rouler dans la farine. Cet ennemi qui vous dit de vénérer le même Dieu chrétien que lui en vous racontant qu'il est le Dieu de tous les hommes !

Avant même que la bombe atomique ne soit larguée, ici même aux États-Unis, cent mille loyaux citoyens américano-japonais, naturalisés ou nés sur le sol des EU, ont été parqués dans des camps, derrière des barbelés. En revanche, combien d'Étasuniens naturalisés d'origine allemande ont-ils été parqués ainsi ? Aucun, ils étaient blancs ! »

Plus tard, après sa rupture avec la Nation of Islam, il poursuivra sa réflexion : « L'homme noir américain était psychiquement malade dans son acceptation docile de la culture de l'homme blanc. Il était spirituellement malade parce qu'il avait enduré pendant des siècles la religion chrétienne de l'homme blanc, qui exigeait de l'homme noir qu'il ne s'attende à aucune fraternité véritable, mais qu'il endure la cruauté du « chrétien blanc ». Elle a rendu sa pensée floue nébuleuse, confuse. Elle lui a appris à penser que s'il n'avait pas de chaussures et rien à manger, il aurait « des chaussures, du lait, du miel et du poisson frit » au paradis. »

Le pèlerinage à la Mecque

Tariq Ramadan fera un « digest » de l'autobiographie avec respect pour l'homme et le récit de sa vie. L'apport le plus important du Prédicateur musulman de Genève est en fait le titre de son livre De l'exclusivisme noir à la spiritualité universelle, titre qui est assez juste si l'on estime, comme moi, que la « spiritualité » ne s'identifie pas totalement à l'aspect religieux qu'il peut avoir pour certains. L'Islam a été l'outil, à la fois, pour se débarrasser de la « mentalité nègre » pour passer à la « mentalité noire » et pour se débarrasser du fardeau des chaines du Christianisme qui liait à jamais les esclaves et leurs descendants à leurs maîtres blancs.

Tariq Ramadan indique que la religion majoritaire chez les Afro-Américains est le baptisme qui s'inscrit dans la confession chrétienne évangélique. La conversion à l'Islam constituait donc une vraie rupture avec son milieu d'origine. La part réelle des musulmans dans les esclaves déportés d'Afrique vers l'Amérique se montait à 8%. Au début du XXe siècle, il n'en restait quasiment plus rien.

Et aussi pour s'ouvrir au monde, on sait l'importance du pèlerinage à La Mecque (du 12 mars au 21 mai 1964) qui lui fit découvrir des « Blancs » semblables à lui-même. Et on lui manifesta un très grand respect. Paradoxe, oh paradoxe ! C'est La Mecque qui lui fit séparer publiquement son combat politique de son engagement religieux. Il dira plus tard « Nous ne mélangeons pas notre religion et notre politique. Nous gardons notre religion dans notre mosquée. »

L'impact de la pensée de l'action de Malcolm X fut très important, et cela dure encore aujourd'hui, ce fut un militant exceptionnel de la défense de la Cause noire, au point que, depuis 1979, la journée du 19 mai, le « Malcolm Day » est un jour férié dans certains États nord-américains. Il était en train de devenir un leader noir de grande envergure sur le plan international et qui commençait à représenter la communauté noire sur tous les continents à travers le monde.

Il défendait la Cause noire et les Noirs dans tous les aspects : « Sans éducation, on ne va nulle part dans ce monde... L'éducation est le passeport pour le futur, car demain appartient à ceux qui s'y préparent aujourd'hui ». Tant qu'il pensait pouvoir s'en sortir dans le monde des Blancs, il fut un excellent élève, jusqu'à ce que yeux soient désilés par un professeur : « tu es fait pour être un charpentier, pas un avocat », alors que c'était son aspiration. Il sombrera dans la violence et le crime après, les portes du Savoir pour Pouvoir lui étant de fait fermées. Il s'investira dans le Savoir à nouveau quand il sera en prison, où il dévorera littéralement tous les livres à sa portée. Ce qui lui servira énormément dans ses sermons, puis dans ses discours.

Une évolution constante dans sa pensée,
une rigueur militante toujours présente

« Si vous ne vous levez pas pour quelque chose, vous tomberez pour n'importe quoi ! » M.X

« Le 28 juin 1964, Malcolm X utilise pour la première fois l'expression "by any means necessary (par tous les moyens nécessaires)" : "Nous voulons la liberté par tous les moyens nécessaires. Nous voulons la justice par tous les moyens nécessaires. Nous voulons l'égalité par tous les moyens nécessaires." Des équivalents français avaient été utilisés auparavant par Jean-Paul Sartre dans sa pièce Les Mains sales en 1948, et par Frantz Fanon lors d'une conférence à Accra, Ghana en 1960. Nelson Mandela, lui aussi, se réclamera plus tard de cette violence légitime. Malcolm X a toujours précisé que le recours à la violence s'imposait lorsque tous les moyens légaux ont échoué. "Soyez calme, soyez courtois, respectez la loi, respectez tout le monde ; mais si quelqu'un lève la main sur vous, envoyez-le au cimetière", déclare-t-il dans son Message to the Grass Roots du 10 novembre à Detroit. » (Anne de Biran sur Radio-France) (in Anne de Biran)

Les Blacks Muslims étaient le Service d'ordre très efficace de Nation of Islam, mais devant l'impatience de certains de leurs membres en 1965/1966, il y eut aussi une autre rupture qui donna le Black Power.

Un penseur anarchiste Barthélemy de Ligt, du début du XXe siècle, disait la même chose : « Si cependant quelqu'un vous attaque alors c'est lui qui vous atteint, lui, qui emploie la violence contre vous. Et vous avez alors le droit de vous défendre. Encore plus, il est de votre devoir de protéger votre liberté, de résister à la coercition et à la contrainte. Sinon vous êtes un esclave et point un homme libre. La Révolution sociale n'attaquera personne, mais elle se défendra contre toute atteinte provenant de n'importe quel côté. »

Et Malcolm X de rajouter : "Je ne suis pas contre l'utilisation de la violence en cas d'autodéfense. Je n'appelle même pas cela de la violence : lorsqu'il s'agit d'autodéfense, j'appelle cela de l'intelligence." Un Noir américain, Bayard Rustin, résumera après sa mort la problématique de la violence chez lui : « Il n'a pas choisi la violence, c'est la violence qui l'a choisi. »

Le 1er juin 1964, il donnera une interview à Jeune Afrique où il indiquait : « Désormais nous entendons accueillir à nos côtés les Chrétiens Noirs tout comme les Juifs Noirs. Même les Athées seront acceptés... Ainsi nous recevrons dans nos rangs, non seulement tous les Noirs, mais encore les Blancs musulmans, car la couleur cesse d'être un facteur de discrimination pour quiconque adopte l'Islam.. Mais au moment où l'obsession raciste démentielle de l'Amérique l'entraine dans la voie du suicide et de la destruction, je veux croire que la nouvelle génération de Blancs... comprendra le message que nous allons lui porter ».

Le bulletin ou la balle

« Le 3 avril 1964, dans une église baptiste de Cleveland, Malcolm X prononce l'un de ses discours les plus marquants et les plus structurants :  The Ballot or the Bullet (Le bulletin ou la balle). À la veille d'une élection présidentielle cruciale, il s'adresse aux Noirs d'Amérique avec une lucidité tranchante : soit le système politique leur reconnaît une dignité pleine et entière, soit ils devront envisager d'autres voies.

Ce discours marque un changement de posture radical dans son itinéraire politique. Quelques semaines plus tôt, Malcolm a annoncé sa rupture avec la Nation of Islam, organisation à laquelle il doit sa formation intellectuelle, mais dont il rejette désormais le dogmatisme, le silence face aux violences raciales et la passivité stratégique.

En prenant ses distances, Malcolm X s'autorise un nouveau langage politique, plus ouvert, plus stratégique, plus universel, sans jamais renier l'exigence fondamentale de la souveraineté noire. Il tend la main, pour la première fois, aux leaders du Mouvement des Droits civiques qu'il avait jusque-là critiqués ; non pour capituler, mais pour coaliser.

Il appelle à voter, mais sans illusion ni docilité ; le vote, dit-il, n'est qu'un levier si la justice ne suit pas. Et surtout, il réaffirme avec force que l'autodéfense est un droit naturel, non une option morale : "If someone puts his hand on you, send him to the cemetery (Si quelqu'un pose sa main sur vous, envoyez-le au cimetière)." Il va dénoncer avec force l'hypocrisie profonde des adeptes de la non-violence, qui - en fait - permettent que la violence raciste continue par la non-riposte, alors qu'il faudrait une contre-violence, nécessairement proportionnée et quasi-identique dans la forme et la force, contre les attaques subies par les Noirs.

The Ballot or the Bullet est donc à la fois une invitation à la mobilisation électorale consciente et une mise en garde aux pouvoirs publics : le peuple noir ne restera pas indéfiniment spectateur de sa propre oppression. » (Source : Nofi-Radio)

Il expliquera aussi : « Ne gaspillez pas vos bulletins de vote. Un bulletin, c'est comme une balle. Ne votez pas tant que vous n'apercevez pas de cible et si la cible est hors d'atteinte, gardez votre bulletin en poche... Les Noirs en ont assez de l'indécision, de la lenteur et des compromis qui ont caractérisé jusqu'à présent notre lutte pour la liberté. Nous voulons la liberté immédiatement, mais nous ne l'aurons pas en disant « We shall overcome ». Il nous faudra combattre jusqu'à ce que nous remportions la victoire. »

Il expliquera aussi le non-vote massif des Noirs : « La répugnance que montrent les Noirs à voter ne tient pas toujours au fait qu'ils n'ont pas le droit de vote... Ce n'est pas qu'ils soient endormis ou morts politiquement : ils ont fait exprès de s'abstenir. Quand vous leur indiquerez une chose pour laquelle ils puissent voter, vous constaterez qu'ils se monteront aussi actifs qu'ils se sont montrés inactifs jusqu'à présent. C'est le but de l'O.A.A.U. (l'Organization of Afro-American Unit, deuxième organisation fondée par Malcom X, après sa rupture avec la Nation of Islam) que de militer parmi les Noirs politiquement inactifs. Nous avons l'intention de les transformer, de les rendre actifs, afin qu'il y ait un peu de mouvement. » On dirait presque que cela a été écrit pour la France aujourd'hui.

La question du « séparatisme noir »

Selon Gérard Bauvert dans "La Vérité" de mars 2023, il y a eu 20 millions d'Africains déportés en esclavage vers les Amériques, dont 2 millions moururent dans les transports à fond de cales dans des traitements barbares et inhumains, auxquels il faut rajouter 6 millions dus aux razzias pour chercher les Africains à assujettir à l'exploitation de l'esclavage. Les Africains refusaient d'être volés et résistaient du mieux qu'ils pouvaient, ce qui entraîna d'horribles massacres.

Malcolm X avance le chiffre de 115 millions de Noirs africains - soit à peu près l'équivalent de la population des États-Unis dans les années 1930 - qui ont été assassinés ou réduits en esclavage pendant la période de la Traite des Noirs. Il évalue à une centaine de millions d'Africains disparus dans la chasse aux esclaves en Afrique même. Ce qui la cause essentielle du retard du Continent dans la voie du développement et de la civilisation.

Cette déportation massive était une véritable saignée de masse, alors qu'en 1600, l'Afrique représentait 30% de la population mondiale et plus que 10% au début du XXe siècle. Cela eut aussi pour conséquence un appauvrissement du continent et a empêché son développement normal économique et culturel, à l'instar de qui se passait ailleurs dans le monde. L'esclavage était donc un véritable crime contre l'humanité de tous les points de vue.

D'un certain point de vue aussi, l'esclavage réduit à néant la théorie des Apôtres de la formule : « Le travail n'est pas une marchandise ». Si tel était le cas, pourquoi les « puissants et les exploiteurs » voulaient alors s'approprier la force de travail que constituait les esclaves qu'ils considéraient comme une simple marchandise, à ceci près que cette marchandise noire était bien moins bien traitée que les autres. Le Code du commerce était supérieur au Code noir, car certaines marchandises avaient plus de valeur que les esclaves, que l'on pouvait remplacer à satiété.

La question du panafricanisme

Risquons une tautologie : les esclaves africains venant d'Afrique, la liberté ne pouvait être que l'aspiration au retour sur leurs terres d'origines, leurs terres. Sur un Continent « organisé » par l'Impérialisme et « sanctifié » par la Conférence colonialiste de Berlin de novembre 1884 à février 1885, par un partage dû uniquement aux intérêts des différents impérialismes en présence. La seule solution crédible, du fait du retard économique produit par à la déportation de masse, ne pouvait être que le panafricanisme.

Malcolm X dira que la plus grande erreur des organisations noires américaines et de leurs leaders a été de ne pas établir le lien direct entre les Afro-Américains et les Africains en soutenant leur « communauté de destin » à travers le Panafricanisme. C'était là l'opposition Droits civiques/Droits de l'Homme qui expliquait leur position de se limiter aux États-Unis. Il avait été frappé par le fait que, dans une conférence qu'il donnait au Nigéria, les étudiants musulmans l'avaient rebaptisé « Omowale » ce qui signifiait dans la langue yoruba « le fils qui est rentré à la maison ».

C.L.R. James, indiquait que c'est W.E.B. Du Bois, un acteur incontournable du combat des Noirs pour leur libération, qui est fondamentalement à l'origine du panafricanisme. Il avait été « l'âme et l'organisateur actif » des quatre premiers Congrès panafricains, en 1921 à Londres, Bruxelles et Paris, en 1924 à Londres et Lisbonne, en 1919 et 1927 à New-York. « Plus que tout autre citoyen de la civilisation occidentale (et de l'Afrique elle-même), il lutta de longues années et parvint à rendre le monde conscient que l'Afrique et les Africains devaient être libérés de la servitude que la civilisation occidentale leur avait imposée. »

Le Cinquième Congrès Panafricain, organisé par Kwame Nkrumah et George Padmore, est considéré comme le plus important de tous les Congrès Panafricains sur le plan politique. Tenu à Manchester du 15 au 20 octobre 1945, juste après la fin de la Seconde Guerre mondiale, le cinquième Congrès Panafricain comprenait 87 délégués représentant 50 organisations, et débattit des questions relatives au "problème de la couleur en Grande-Bretagne", à "l'oppression en Afrique-du-Sud" et aux "problèmes dans les Caraïbes".

Bien que rarement commémoré aujourd'hui, il marqua également "le début de la fin de la domination coloniale européenne en Afrique et dans les Caraïbes". Parmi les assistants, certains des leaders noirs les plus influents mèneront des campagnes d'indépendance dans leur propre pays. Selon un rapport paru dans The Black Scholar (1974), 1945 "marqua le début d'une seconde période de développement de la pensée panafricaine", lorsque le mouvement "prit un ton politique plus militant et commença à exiger l'indépendance formelle des colonies africaines" (Source : Site de l'Université d'Édimbourg).

Il y aura un Sixième Congrès panafricain en 1974 à Dar es Salaam en Tanzanie, dans lequel fut abordé l'agriculture, la santé et la nutrition, la recherche scientifique et technologique, la communication, la coopération politique et le soutien aux mouvements de Libération nationale en Afrique. C.L.R. James devait y participer, mais devant l'interdiction faite par des gouvernements à des mouvements caribéens d'y participer, il refusa d'y aller au dernier moment. Le 9éme Congrès s'est tenu à Lomé au Togo en 2024.

Dans son excellente Postface à l'Autobiographie de Malcolm X, Maboula Soumahoro note : « l'importance de la question raciale et du racisme tant aux États-Unis que dans toutes les sociétés occidentales nées de l'ère moderne. Ensuite, la dimension internationale et transnationale de ces deux questions, puisque les communautés noires forment une diaspora qui, excède le cadre des limites et frontières du modèle de l'État-Nation ».

C.L.R. James indique : « L'Internationalisme africain, symbolisé par les efforts de Nkrumah (leader du Ghana après son Indépendance) en vue de la fondation des États-Unis d'Afrique constitue le modèle d'une alternative radicale à l'État national qui continue de régner en Occident ».

Ségrégation, Intégration, Séparation ?

Il traitera aussi de la question Ségrégation/Séparation : « Savez-vous qu'elle est la meilleure façon d'en finir avec la ségrégation ? L'homme blanc craint davantage la séparation que l'intégration ? Ségrégation, cela veut dire qu'il vous tient à l'écart, mais pas au point que vous échappiez à sa juridiction ; séparation veut dire que vous n'êtes plus là. L'homme blanc acceptera plus volontiers de vous intégrer que d'admettre votre droit à la séparation. »

Malcolm X va passer ensuite d'une position stricte de séparation des Noirs et des Blancs (il n'acceptera jamais aucun Blanc dans ses organisations, le Blanc étant l'ennemi) - soit par la création d'États noirs distincts et propres aux EU, qui passaient d'abord par la constitution d'une contre-société noire, vivant sur elle-même et pour elle-même ; soit, suite logique du « séparatisme », au « retour au pays » dans le cadre d'une nation continentale qui transcendait tous les clivages passés, appuyée par l'idéologie du panafricanisme - à une position plus universaliste où il acceptait le concours des Blancs. Il ne faisait plus alors de la séparation son objectif.

Il suivait alors d'abord la position de son père qui était Pasteur et propagandiste de Marcus Garvey qui prônait le retour en Afrique, ce qui donnera par contre-coup la création du Libéria pour accueillir les descendants des esclaves en terre d'Afrique. Son père fut aussi le modèle inconscient qu'il recherchait, puisque celui-ci mettait aussi au cœur de ses actions, la défense des droits fondamentaux.

J'ai indiqué le paradoxe du pèlerinage à la Mecque, qui n'est pas tant que cela une contradiction, mais plutôt une « lumière » reçue programmée par sa réflexion, un peu comme un acte manqué. Il est stupéfait de voir des « Blancs, des Gris, des Marrons », pratiquant la même foi dans une même fraternité. Il ne va plus dès lors faire du « Blanc » son ennemi, mais un possible allié. Son évolution sera extrêmement rapide : en mars 1964, il quitte la Nation of Islam et est assassiné le 21 février 1965. Entre les deux dates (11 mois !), il formule des positions sans cesse en progression.

Ce qui l'amènera aussi à reconsidérer son point de vue sur les « Oncles Tom », domestiques de maîtres. En juillet 1963, il va tendre la main à tous les leaders noirs, comme Martin Luther King. Devant le refus de celui-ci, il va renouveler sa proposition de rencontre. Après bien des intercessions, la rencontre est alors programmée, mais deux jours avant, Malcolm X est assassiné par des tueurs de la Nation of Islam.

Les deux hommes ne s'étaient rencontrés qu'une seule fois, le 26 mars 1964 au Capitole de Washington D.C. Il est aussi hautement politique que l'une des raisons du rapprochement en cours était leur position commune contre la guerre du Viêt-Nam, où les Noirs se faisaient tuer pour le compte des Blancs. Le refus du racisme, l'opposition à la guerre auraient pu engager une dynamique portant plus loin dans le combat émancipateur. Là aussi, l'assassinat de ces deux leaders noirs, hommes de conviction et d'action, fut un crime sans nom, morts à 39 ans tous les deux.

En 1964, il déclarera dans un discours : « Mais la séparation, le retour en Afrique, est un programme dont la réalisation est encore lointaine, et tandis qu'elle reste encore à réaliser, 22 millions des nôtres, qui sont encore ici, en Amérique, ont besoin immédiatement d'être mieux nourris, mieux vêtus, mieux logés, mieux éduqués et de trouver du travail dans de meilleures conditions. »

Dans un autre, il dira : « Il ne saurait y avoir d'unité entre les Noirs et les Blancs, tant qu'il n'y aura pas d'unité parmi les Noirs. Il ne saurait y avoir de solidarité ouvrière tant qu'il n'y aura pas de solidarité raciale. Nous ne pouvons songer à nous unir à d'autres tant que nous ne sommes pas unis entre nous. Nous ne pouvons songer à nous faire accepter par d'autres tant que nous n'aurons pas démontré que nous pouvons nous faire accepter à nous-mêmes. On ne peut unir des mains dont les doigts sont séparés. »

Comment passer de la question « nègre » à la question « noire »

Ce n'est pas une simple question de sémantique, mais cette compréhension est la clé de l'évolution de Malcolm X dans son combat politique. Pour lui, les mots ont un sens et sont chargés de symboles. « Négre » renvoie à l'esclavage et à la domination des Blancs, « Noir » évoque l'Afrique et la fierté de sa civilisation ancienne. Son père lui avait enseigné la célèbre formule de Marcus Garvey : « Lève-toi, race puissante, accomplis ce que tu désires ».

Il est important de lire le discours de Marcus Garvey  « Aux Nègres du monde » pour comprendre aussi certaines formulations, à différentes époques, de Malcolm X (ce qui peut aussi s'appliquer à la musique du blues et du Jazz des esclaves et de leurs descendants) et de resituer tout cela dans ce que rappelle Aimé Césaire dans Toussaint Louverture, la Révolution française et le problème colonial, quand il cite Karl Marx dans le 18 Brumaire de Louis-Napoléon Bonaparte : « Les hommes font leur propre histoire, mais ils ne la font pas arbitrairement, dans les conditions choisies par eux, mais dans des conditions directement données et héritées du passé. La tradition de toutes les générations mortes pèse d'un poids très lourd sur le cerveau des vivants. Et même quand ils semblent occupés à se transformer, eux et les choses, à créer quelque chose de tout à fait nouveau, c'est précisément à ces époques de crise révolutionnaire qu'ils évoquent craintivement les esprits du passé, qu'ils leur empruntent leurs noms, leurs mots d'ordre, leurs costumes, pour apparaître sur la nouvelle scène de l'histoire sous ce déguisement respectable et avec ce langage emprunté. »

C.L.R. James indique clairement que l'action de Marcus Garvey avait une forte base de classe et visait « délibérément les plus pauvres, les plus piétinés et les plus humiliés parmi les Noirs... Doté d'une rhétorique sans égale, Garvey avait su électriser les foules noires écrasées par le sentiment d'humiliation et d'injustice en leur laissant entrevoir l'avènement d'une société nouvelle ».

Le principal reproche adressé par Malcolm X à Martin Luther King et ses laudateurs est que leur combat s'inscrit dans un désir de reconnaissance des Blancs par la revendication de l'Égalité. Malcolm X pense que c'est un combat vain, car le capitalisme aujourd'hui et l'esclavagisme hier sont intrinsèquement racistes et inégalitaires, sinon ils ne seraient pas. En conséquence, les « Nègres » ne peuvent alors être que des « Oncles Tom », domestiques des « Blancs » et c'est pourquoi une partie des « Blancs » dit « libéraux » soutiennent la revendication des Droits civiques pour les « Nègres », car cela ne remet pas en cause le système, c'est même sans doute un moyen pour le faire perdurer. Et c'est aussi pourquoi, ils vilipendent Malcolm X comme « un raciste et un terroriste » qui ne fait pas partie des gens respectables. D'autant qu'en se réclamant de l'islam et en faisant un outil de libération, il rompait ouvertement avec les Blancs.

Pour Malcolm X, la solution, c'est le séparatisme pur et simple, l'avenir ne peut être commun entre les descendants d'esclaves et ceux des maîtres qui les ont déportés en masse et exploités de manière sauvage et ignoble. Il faut que peuple noir se constitue, en tant que tel, pour lui et en lui et il ne peut le faire que contre les « Blancs ». C.L.R. James estime que « L'éveil de la conscience politique des Noirs prend, bien entendu, la forme de l'aspiration à une action indépendante qui ne soit pas sous le contrôle des Blancs. »

Il évoluera ensuite, en acceptant des compromis possibles avec Martin Luther King, tout en gardant le fond de ces positions. Aimé Césaire rappelle dans quel esprit Toussaint Louverture faisait cela, que l'on ne peut s'empêcher de comparer à Malcom X : « Lénine a dit ce qu'il faut penser de la notion de compromis ; que si à des révolutionnaires inexpérimentés, il parait dangereux et incompréhensible, le révolutionnaire authentique se rend compte que le compromis est inséparable de l'action ; le compromis, c'est-à-dire en définitive l'art d'utiliser de la façon la plus minutieuse, la plus circonspecte, la plus intelligente, la moindre fissure entre les ennemis, aussi bien que la moindre possibilité de s'assurer, un allié numériquement fort, fût-il un allié temporaire, chancelant, conditionnel, peu solide et peu sûr. »

Voici ce qu'en dit George Breitman (1916-1986), militant trotskyste étasunien depuis 1935, membre du Socialist Workers Party et auteur talentueux de « La dernière année de Malcom X », sur cette question de l'évolution : « Prenons une question relativement simple telle que les mariages mixtes. Du temps des Black Muslims, Malcolm X déclarait que les mariages mixtes étaient nuisibles, néfastes, contribuaient à affaiblir le combat pour la liberté.
Pendant la période de transition, il insistait surtout sur le fait que le mariage mixte était une entreprise difficile et pénible pour le couple mixte « dans un monde aussi hostile aux peuples de couleur que le nôtre, et qu'il ne s'avère pas donner des résultats positifs ». (Ces remarques figurant dans l'Autobiographie datent évidemment de la période de transition - début mars à fin mai 1964, à la sortie de la Nation of Islam jusqu'au pèlerinage à la Mecque.)

Toutefois, avant que cette opinion soit publiée, il déclara à la télévision canadienne, un mois avant sa mort, qu'il considérait le mariage mixte comme une question d'ordre personnel - « c'est tout simplement l'union d'un être humain avec un autre, c'est un nouveau pas vers l'unité » - en ajoutant qu'il ne se sentait pas gêné d'avoir eu des positions différentes dans le passé, étant donné que celles-ci avaient été les réactions d'une victime de la société qui pratiquait la discrimination. »

Le déclic qui va s'opérer dans l'esprit de Malcolm X et, on le sait, son pèlerinage à la Mecque et aussi surtout tous les voyages qu'il va faire ensuite en Afrique où il va appréhender de plus en plus que le socialisme (pour en finir avec l'Impérialisme oppresseur) est une véritable rupture avec le Vieux-Monde raciste et exploiteur. C'est à tous ces contacts pris avec les leaders du « Tiers-Monde » qu'il doit la substitution politique de la notion des « Droits civiques » à celle des « Droits de l'Homme ».

Les Droits civiques s'inscrivent obligatoirement dans un cadre national, donc exclusivement aux EU, c'est totalement contraire à sa volonté de Séparation, alors que les Droits de l'Homme ont immédiatement une dimension internationale, ce qui permet une pression externe et forte sur les États-Unis. Il réussira d'ailleurs à faire faire des interventions à l'ONU par des pays « non-alignés » sur la situation raciale dans le sous-continent de l'Amérique-du-Nord.

Son objectif est alors de faire inscrire à l'Ordre du jour de l'Assemblée générale des Nations-Unies l'étude de la situation raciale aux États-Unis. Ce qui devenait très dangereux et très périlleux pour Washington. Comment l'Impérialisme des EU pourrait alors continuer à se présenter comme le parangon des Droits de l'Homme et de la Démocratie dans le monde, justifiant ses interventions militaires et économiques sur tous les continents et, en même temps, être mis au ban des Nations pour la situation d'oppression raciste chez lui ?

Il va aussi participer à la Seconde Conférence de l'Organisation de l'unité Africaine (OUA) de juillet 1964 où participent 37 États membres. Dans une interview, il résumera ainsi : « Une résolution a été adoptée, dans laquelle on saluait le vote de la loi sur les Droits civiques en Amérique, tout en soulignant qu'en dépit de l'adoption de cette loi, les droits humains des Noirs d'Amérique continuait d'être violés... Elle contenait, pour l'essentiel, une condamnation formelle du racisme qui règne en Amérique et des souffrances que les nôtres continuent de subir en dépit de l'adoption de la loi sur les droits civiques. C'était une très bonne résolution. »

La question des droits de l'Homme lui permettait aussi de faire naturellement le lien avec tous les pays africains et les diasporas noires dans le monde. Ce qui donnait une autre dimension - réelle - à son combat pour le Panafricanisme. Dans mon article dans La Raison d'avril et dans celui de de mai 2025, je pense avoir montré le lien consubstantiel dans la musique de Féla Anikulapo Kuti et ses fils entre le combat pour les droits de l'Homme, contre la corruption et les « Oncles Tom » de l'Impérialisme, véritables compradores à la tête des pays africains.

Malcom X avait déjà toutes les polices du pays contre lui, le FBI et maintenant, cela allait être la CIA. Toutes ces forces de répression allaient se déchainer contre lui. Il est impossible que le FBI n'ait pas été au courant de la tentative de membres de la Nation of Islam de l'assassiner, ce qui arrangeait alors beaucoup de monde. Ces meurtriers appartenaient à la Nation of Islam, fortement infiltré par le FBI.

« Il a également été envisagé que le FBI ait eu connaissance du projet d'assassinat et l'ait couvert, voire aidé. Cette hypothèse a été reprise par la Nation of Islam. Pour l'historien Manning Marable, le FBI pourrait effectivement avoir encouragé l'assassinat de Malcolm X. L'hypothèse d'une implication du FBI et du NYPD (Police de New-York) fut corroborée en février 2021 par le dévoilement d'une lettre posthume de confession d'un ancien policier. Celui-ci y explique avoir été chargé d'infiltrer le mouvement de Malcolm X de 1964 à 1971 et raconte comment il a facilité son assassinat, notamment en procédant à l'arrestation de ses deux gardes du corps deux jours auparavant. » (Wikipédia).

Rappelons que l'assassinat politique est une tradition aux EU. Durant les années soixante, les États-Unis connurent quatre assassinats politiques de grande importance : celui du Président John F. Kennedy en 1963, ceux de Robert Kennedy et de Martin Luther King en 1968, et, entre ces dates, celui de Malcolm X, qui endeuillerait Harlem le 21 février 1965.

Il répondra dans une interview sur ce qu'il pensait de l'assassinat de JFK, que « la haine des Blancs ne se limitait pas à l'assassinat des Noirs sans défense ; puisque l'on la laissait se répandre sans freins, elle avait fini par se retourner contre le chef de l'État. C'est un juste retour de bâton. » Une campagne médiatique haineuse va alors se déchainer pour l'accuser de soutenir l'assassinat de Kennedy et de faire l'apologie du terrorisme, alors qu'il n'avait fait qu'émettre une évidence : quand on déchaine la violence contre une partie de la population, elle finit par se répandre partout contre tout le monde. Elijah Muhammad se servira de cette campagne diffamatoire pour l'écarter de la Nation of Islam, ce qui précipitera la rupture entre eux.

Discours de Marcus Garvey

Aux Nègres du monde depuis la prison d'Atlanta, 10 Février 1925 :

« Laissons le Dieu d'Isaac et le Dieu de Jacob exister pour la race qui croit au Dieu d'Isaac et de Jacob. Nous, les Nègres, croyons au Dieu d'Ethiopie, le Dieu éternel, Dieu le Fils, Dieu le Saint-Esprit, le Dieu de tous les âges.

C'est le Dieu auquel nous croyons, et nous l'adorerons à travers les lunettes de l'Ethiopie.
Regardez vers l'Afrique, où un roi noir sera couronné, qui mènera le peuple noir à sa délivrance.
Un Dieu, un but, une destinée !
Un peuple ignorant de son histoire est comme un arbre sans racines.

Lève-toi, race puissante, accomplis ce que tu désires.
Si tu n'as aucune foi en toi-même tu es doublement vaincu dans la course de la vie. Avec la foi tu as gagné avant même d'avoir commencé.
Dieu et la Nature nous ont fait ce que nous sommes, mais à travers notre génie créateur, nous faisons de nous-mêmes ce que nous voulons être.

Ce que tu fais de valeureux aujourd'hui inspire les actions des autres dans le futur.
L'éducation est le moyen par lequel un peuple se prépare pour la création de sa civilisation propre et aussi l'avancement et la gloire de sa propre race.

Soyez autant fiers de votre race aujourd'hui que l'étaient vos pères dans le passé. Nous avons une histoire magnifique, et nous allons en créer une autre dans l'avenir qui étonnera le monde.
Trop nombreux sont ceux parmi nous qui trouvent des prétextes pour fuir la race noire parce que nous sommes amenés à croire que notre race n'a aucune valeur - qu'elle n'a jamais rien accompli. Lâches que nous sommes ! C'est nous qui n'avons pas de valeur, parce que nous ne contribuons pas à l'élévation et à la construction de cette race noble.

Pendant plus de trois cents ans l'homme blanc a été notre oppresseur, et il ne nous accordera pas de bon gré la vraie liberté... Nous devrons nous libérer nous-mêmes.
Une race sans aucune autorité et sans aucun pouvoir est une race qui ne se respecte pas.
La seule protection contre l'injustice de l'homme est le pouvoir physique, financier, scientifique.

Il est possible que nous ne vivions pas tous la réalité d'un Empire africain si fort, si puissant qu'il imposerait le respect à l'Humanité, mais nous pouvons cependant durant notre vie travailler et œuvrer à faire de ce projet une réalité pour une autre génération.

Peut-on le faire ? Nous pouvons le faire ! Nous le ferons ! »

L'iceberg ne revient jamais à la banquise.

Après sa rupture avec la Nation of Islam, il constitue successivement, dans un délai très court, plusieurs organisations qui vont toujours plus loin dans cette voie :
- Le 12 mars 1964, il annonce la fondation de sa propre organisation religieuse, « The Muslim Mosque Inc. ». Peu de temps après, il se convertit à l'Islam sunnite orthodoxe.
- « Peu de temps après son retour de La Mecque, Malcolm X fonde l'Organisation pour l'unité afro-américaine, un groupe politique non religieux. Il affirme ainsi sa volonté de mener à la fois une lutte religieuse pour l'Islam, et une lutte politique pour les Noirs, les deux fonctionnant de façon autonome...
- Le 28 juin 1964, Malcolm X annonce la création de l'Organization of Afro-American Unity (OAAU) lors d'une conférence publique donnée à l'Audubon Ballroom de New York. Le mouvement sera éphémère, il s'étiole après l'assassinat de Malcolm X le 21 février 1965, malgré la reprise du mouvement par la demi-sœur de Malcolm, Ella Little-Collins. Cela dit, l'OAAU est devenu l'inspiration de divers groupes se réclamant du Black Power.

Les idées de Malcolm X ne disparurent pas avec lui. Elles furent reprises par des groupes (Black Panthers), des populations (Soweto), des pays (le Burkina Faso de Thomas Sankara) soucieux de plus d'équité et de justice sociale. » (Wikipédia).

Toussaint X et Malcom Louverture

Si les situations sont différentes dans le temps et dans l'espace, les problèmes à régler se ressemblent beaucoup : Comment un leader noir peut-il œuvrer à la libération et à l'émancipation de ses semblables en tous points, à savoir les Noirs. Il y a cependant une différence importante : Si Malcolm X rompit avec le christianisme et se convertit à l'islam pour se libérer, Toussaint Louverture resta catholique jusqu'au bout. Autre point commun, ils finirent tous les deux martyrisés du fait de leur combat pour la liberté, Malcolm assassiné par des balles par des Noirs musulmans, ses frères en théorie ; et Toussaint par le froid, la faim, la solitude et le mépris de ses geôliers. Les deux sont au Panthéon des Noirs, tombés pour l'émancipation intégrale de leurs frères.

Au cœur du problème : l'esclavage et ses conséquences. Les acteurs sont les mêmes :
• Une minorité des Blancs, là où a lieu l'esclavage, dominateurs et exploiteurs.
• Une masse de Noirs, exploités de la manière la plus brutale, sauvages indigne, et subissant la plus totale discrimination dans le racisme le plus abject.
• Et au milieu, une couche sociale, issue de la Classe des Noirs et qui cherche à s'intégrer à tout prix dans la classe supérieure blanche pour être à égalité avec elle. Mais cette couche des Blancs n'a que mépris pour elle et fait toujours tout pout lui refuser l'Égalité (notamment au niveau des Droits civiques et politiques). Si parfois, les Blancs apparaissent tendre la main aux mulâtres et aux métis et à ceux qui veulent devenir « blancs » à savoir les « Nègres de couleur », c'est toujours dans une situation de crise et où ils sont menacés par les Noirs ; et Les Blancs tentent d'empêcher la jonction avec les Mulâtres/Métis et les Noirs qui ont très souvent les mêmes intérêts sur le fond.

La distance, en matière d'intérêts communs, est bien moins grande entre Noirs et mulâtres/métis qu'entre eux et les Blancs. Cyril Lionel Robert James, le célèbre révolutionnaire noir, donne l'exemple de sa famille qui, en l'espace de moins d'un siècle, est passée de l'esclavage à la classe ouvrière, puis à la classe moyenne inférieure noire, ce qui « est l'histoire de milliers de familles de la classe moyenne noire aux Antilles »

L'Angleterre va abolir de manière graduelle l'esclavage à partir de 1833, soit 40 ans après la France (et qui sera rétabli par Bonaparte et consolidée par Napoléon) et à nouveau en 1848, quant aux États-Unis, c'est en 1865, produit de la Guerre civile (la Civil War) dite « de Sécession » par les Européens, que cela se fera par le XIIIe Amendement de la Constitution, tout en maintenant une oppression et une discrimination d'ampleur.

La disparition de l'esclavage était une nécessité, car il avait permis une accumulation primitive du capital et financé la révolution industrielle, mais il se heurtait plus tard aux limites du capital lui-même et à ses besoins nouveaux. Je vous conseille de voir ou revoir ce formidable film qu'est Queimada qui montre que le capitalisme anglais convainc les esclavagistes espagnols et portugais d'en finir avec l'esclavage dans les Antilles, car « un esclave, il faut l'héberger, le nourrir, le soigner et cela coute et cela est pris sur les profits, tandis qu'un salarié, c'est lui qui vous paiera le logements, il achètera lui-même sa nourriture, il paiera de sa bourse pour se soigner, et si vous faites bien les choses, c'est à vous qu'il donnera son argent pour cela. Loin de vous coûter, il vous rapportera encore plus que la plus-value de sa force de travail ».

L'abolition de l'esclavage dans les Antilles anglaises sera considérée, selon CLR James (toujours marxiste, un temps trotskyste) comme « l'An 1 de notre calendrier, avant cela nous n'avions pas d'Histoire ». Dans  Les Jacobins noirs, il va développer la thèse, appuyés sur celle de Léon Trotsky sur la révolution permanente : « dans une période de changement révolutionnaire à l'échelle mondiale... la crise révolutionnaire élève les peuples arriérés depuis des siècles au tout premier plan du mouvement avancé de l'époque. »

La disparition de l'esclavage, pour des raisons économiques et les besoins du capital et nullement « humanitaire », va impulser la constitution de cette couche sociale intermédiaire, qui va devenir la « clientèle politique » attitrée de quelqu'un comme Martin Luther King.

C'est la même illusion partagée par la Petite-Bourgeoise qui pense avoir des intérêts communs avec la Grande-Bourgeoise capitalise, parce qu'elle a deux actions cotées en Bourse à sa banque, alors qu'elle est bien plus proche dans les faits des « prolétaires » libres ou esclaves, avec qui elle peut avoir une destinée commune. C'est ce qui est au centre des enjeux, mais pas du problème noir dans la société.

A Saint-Domingue, qui va devenir Haïti après l'Indépendance, cette couche sociale s'appelle les Mulâtres et les « Hommes libres de couleur » ; aux EU, c'est la petite-bourgeoise noire qui veut agir pour l'égalité des Droits civiques.

En face et ailleurs, vont émerger deux Leaders noirs d'envergure : Toussaint de Breda dit « Louverture » et Malcolm Little dit « Malcolm X » qui finiront tragiquement tous deux. Il y aussi une autre ressemblance importante entre les deux, si des leaders noirs, dans les deux situations voulaient « le pouvoir », Toussaint et Malcolm avaient la même conception que César. On connait la célèbre devinette : « Quelle est la différence entre César et Pompée » ? Les deux aiment le Pouvoir, César pour ce que cela permet de réaliser, Pompée pour les plaisirs qu'il offre.

Il y aussi un grand point commun entre les deux, c'est leur pragmatisme dans la lutte pour la libération des Noirs. Ils font des alliances au fur et à mesure des besoins et cela est parfois contradictoire dans le temps. Il y a aussi, un parallèle inversé à faire. Toussaint Louverture voulait la libération des Noirs dans une alliance avec la France, parce qu'il adulait la Révolution française, alors que la solution était dans l'indépendance pour conquérir l'abolition de l'esclavage.

Il n'a jamais prononcé ce mot « indépendance » et il a perdu face à Bonaparte, car il n'a pas été jusqu'au bout du chemin. C'est son successeur, Dessalines, qui le prononcera et soulèvera les masses noires contre la France et gagnera ainsi l'abolition de l'esclavage par l'Indépendance d'Haïti.

Malcolm X voulait la libération des descendants des esclaves noirs par la « séparation » avec le monde blanc (l'équivalent de l'indépendance) et il finira par repousser aux calendes grecques cette revendication pour agir pour une amélioration immédiate de la situation des Noirs opprimés.

Qui avait raison ? Séparation/indépendance ou intégration/égalité ? Comme le disait Horace : « Le procès est encore devant le juge ». La vie finira - tôt ou tard - par un jugement de l'Histoire.

EU/Antilles : fondamentalement les mêmes questions

Il y a beaucoup de points communs entre les deux situations, même si les Noirs sont une composante majoritaire dans les Antilles, ce qui n'est pas le cas aux Etats-Unis.

Les Noirs aux États-Unis et à Saint-Domingue

■ Répartition de la population aux États-Unis en 2025 et 2060, par origine ethnique
Caractéristiques 2025 2060 (Prévision)
● Blancs non hispaniques 57,83% 44,92%
● Hispaniques (pouvant appartenir à n'importe quelle ethnie) 19,72% 26,9%
● Noirs ou afro-américains 13,68% 14,82%
● Asiatiques 6,54% 9,43%
■ Et à Saint-Domingue

C'était la colonie la plus riche du monde, c'est ce qui explique l'âpreté du combat et la puissance de l'abolition obtenue. Il y avait près de 500 000 esclaves noirs contenus par 30 000 Blancs et il y avait 40 000 mulâtres et hommes libres (Noirs affranchis). Aimé Césaire explique bien que la principale arme pour maintenir cette sujétion était d'ordre idéologique : le préjugé raciste qui faisait du Noir un sous-homme, un untermensch comme diront les nazis à propose des Juifs et des Slaves. On sait d'ailleurs que c'est du mot « slave » que dérive celui d'« esclaves ». On comprend alors le combat de Malcolm X pour détruire cette idéologie suprémaciste dans la tête des Noirs.

L'aspect colonial, sous des formes différentes, est très présent dans les deux situations. Aimé Césaire parle à juste titre de « révolution coloniale » à propos de Saint-Domingue/Haïti. Les colons vont devenir une véritable classe aux intérêts propres. En 1703, ils sont 500, en 1715 : 1 500, en 1770 : 12 000, en 1789 : 28 000.

Aimé Césaire écrit : « L'aristocratie des colons, de par sa nature, de par ses intérêts du moment, ne pouvait animer une lutte anticolonialiste conséquente ; mieux, ne pouvait que rechercher la protection du pouvoir colonialiste. » Contrairement aux esclaves, elle pouvait changer de « métropole dominante » au gré des leurs intérêts (elle se vendra sans problème aux Anglais qui s'ingénieront à diviser les trois classes sociales pour conquérir la colonie, aux Espagnols et aux Portugais), voire même, à un moment prôner l'indépendance pour mieux préserver l'esclavage. Les Noirs feront exactement l'inverse : ils arracheront l'Indépendance pour abolir l'esclavage.

Trois classes vont prétendre au pouvoir, provoquant trois révolutions : les colons, les mulâtres, les Noirs. Seuls ceux-ci gagneront car ils étaient porteurs d'une réelle nouvelle société émancipatrice, qui prendra la forme du socialisme un siècle plus tard. Quand la bourgeoisie va liquider les institutions de la Monarchie « une épée dans les reins, poussée dans par le peuple », elle va tenter d'amadouer l'aristocratie, à qui elle avait nationalisé les biens en métropole, en lui préservant et redonnant (au gré des événements) ses biens dans les colonies. C'est pourquoi Bonaparte rétablira l'esclavage après son abolition.

C'est fondamentalement l'erreur de Toussaint Louverture qui comptait sur la France « révolutionnaire » pour obtenir l'abolition de l'esclavage. Il pensait que les Grands Principes de 1789 ne pouvaient que s'appliquer dans les colonies. La bourgeoisie n'a jamais été vraiment conduite par ses principes (c'est le peuple qui dans son mouvement révolutionnaire leur a donné corps), mais essentiellement par ses intérêts.

Quand les mulâtres (dit aussi « hommes de couleur ») revendiquent l'Égalité des Droits politiques (car sur le plan économique, c'est déjà fait), ils vont se heurter à l'aristocratie à Paris qui va refuser qu'ils soient considérés comme des citoyens à part égale avec les Blancs. Et les représentants de la Monarchie à la Convention vont manœuvrer pour leur refuser. Les Grandes âmes pourront déclamer les Grands Principes de 1789, c'est le coffre-fort qui commande. Et donner des Droits aux Mulâtres, c'était nécessairement, à terme, en être obligé d'en donner aux Noirs qui l'auraient revendiqué au nom du principe d'Égalité.

Il arrivera la même chose quand les Noirs seront représentés par des « Blancs libéraux » à la Convention pour en faire leur porte-voix : « Nous sommes nègres, Français, nous allons combattre pour la France (on est alors en plein conflit avec l'Angleterre et les puissances coalisées), mais pour récompense, nous demandons la liberté et les droits de l'Homme. » Ils obtinrent le soutien plein et entier d'Hébert dans Le Père Duchesne N° 347 en février 1794 qui expliquait que les Noirs sont, parfaitement capables de cultiver la terre, librement et sans chaines, et plus efficacement que les Blancs, mais cela n'eut aucune conséquente concrète, car Hebert allait être livré à la Veuve (nom populaire donné à la guillotine).

Quand les mulâtres obtiendront in fine gain de cause, ils avaient épuisé toute potentialité en tant que classe sociale. Ils durent alors laisser la place aux Noirs. Mais de 1789 à l'Empire, la lutte sera féroce, chaque classe sociale se dotera d'institutions propres et concurrentes, chaque classe avait sa région et son Assemblée. Il y eu, non pas une dualité de pouvoirs, mais une trialité de pouvoirs et aussi de territoires. Le mouvement blanc agissait pour l'autonomie et surtout pour la liberté du commerce, celui des mulâtres pour l'égalité politique et sociale, et les Noirs pour la liberté. C.L.R. James fait alors la comparaison avec 1917 en Russie. Et c'est très bien vu.

On peut aisément assimiler les Mulâtres au Tiers-État et les esclaves aux sans-culottes. La solution aurait pu être l'alliance des deux classes contre les Blancs, ce qui devrait aussi logiquement se faire entre la petite-bourgeoisie et le prolétariat dans les périodes révolutionnaires. Mais quand les mulâtres prirent le pouvoir ils se comportèrent comme les Blancs et luttant contre l'abolition, car ils avaient alors des intérêts contraires. Faute de s'unir avec les Noirs, ils furent frappés des deux côtés par les Blancs et les Noirs. Il n'y a rien de pire que le domestique qui devient chef de la maison, il en rajoute toujours pour faire oublier son ancienne condition et se pousse du col comme un parvenu qu'il est devenu. C'est ce qui explique l'opposition de Malcolm X à Martin Luther King.

On peut aussi faire un autre parallèle entre Toussaint et Malcolm, outre le fait que les deux s'étaient dotés d'une grande culture. Quand le premier compris que son rôle était passé, il se livra à Bonaparte et laissa la place à Dessalines, et il allait mourir le 9 avril 1803 dans un véritable martyre persécuté par Bonaparte. Mais entre-temps, quand celui-ci rétablit l'esclavage, Saint-Domingue se souleva toute entière et obtient l'indépendance et l'abolition de l'esclavage le 28 novembre 1803. Toussaint avait gagné. Il avait aussi réussi à unir les « Nègres de maison » et les « Nègres des champs », Malcolm voulait faire la même chose avec les Noirs des EU en tendant la main à Martin Luther King. On peut penser qu'une telle chose aurait pu arriver entre Malcolm X et Martin Luther King.

Le bilan de Toussaint Louverture par Aimé Césaire se passe de commentaire : « Il a fait monter le niveau de son pays, le niveau de conscience de son peuple. On lui avait légué des bandes, il en fait une armée. On lui avait laissé une jacquerie, il en avait fait une Révolution ; une population, il en avait fait un Peuple. Une colonie, il en avait fait un État ; mieux une Nation. »

On rejoint aussi le débat sur la libération des Noirs aux EU dans le cadre de la Civil War (Guerre de Sécession). C.L.R. James note que c'est d'abord et avant tout les esclaves noirs qui furent les acteurs de leur propre émancipation, n'attendant pas béatement l'action des Armées du Nord : « L'action révolutionnaire des masses noires du Sud joua un rôle décisif dans la victoire nordiste... En faisant l'histoire de leur pays, les Noirs américains ont fait l'histoire du monde. »

Il indique qu'il y a eu au moins 150 révoltes de Noirs dans l'histoire de l'Amérique-du-Nord, à commencer par celles dans les cales des bateaux négriers, où les Africains déportés refusaient en masse le sort qu'on leur réservait. « Le seul lieu où les Noirs ne se sont jamais révoltés, c'est dans les pages écrites par les historiens capitalistes. » Les futurs cadres de la Révolution haïtienne combattirent dans les Armées des Indépendantistes américain contre les Anglais.

Son chemin vers le socialisme

Quand il sort du « séparatisme exclusif noir » pour se tourner vers le panafricanisme, qui est pour lui l'universel internationaliste, il va rencontrer des dirigeants « marxistes » de pays du Tiers-Monde, dont Fidel Castro lors d'une Session de l'ONU à New-York. Il dira le plus grand bien de Che Guevara qu'il qualifiera « de plus grand révolutionnaire qui soit. »

Dans son livre Rejoindre la révolution mondiale, paru en 1964, il prend parti en faveur d'une révolution qui renverserait également le système économique. Il ne cesse de se radicaliser à gauche. Dans une conférence en décembre 1964, il déclarera : « Montrez-moi le capitaliste, je vous montrerai le vautour. » Tout était dit.

Georges Breitman explique bien son cheminement dans son ouvrage : « Malcolm fut interviewé par A.B. Spellman, le jeune poète et critique de jazz :

● Spellman : Avez-vous l'intention de collaborer avec d'autres groupes tels des syndicats de travailleurs, des groupes socialistes ou d'autres organisations ?
Malcolm X : Nous collaborerons avec quiconque cherche sincèrement à éliminer les injustices infligées aux Noirs par l'Oncle Sam.
● Spellman : A votre avis, quelles sont à l'heure actuelle les chances du mouvement en faveur des droits civiques ?
Malcolm X : Il a fait son... (temps). Il est au bout du rouleau.
● Spellman : Quels sont à votre avis les groupes les plus prometteurs ?
Malcolm X : Je ne connais pas de groupe qui soit prometteur hormis les radicaux. Si un groupe n'est pas radical, il n'est absolument pas engagé de manière efficace dans une lutte actuelle....

On dit que les voyages élargissent nos horizons et j'ai eu récemment l'occasion de voyager pas mal au Moyen-Orient et en Afrique. Au cours de mes voyages, j'ai remarqué que la plupart des pays qui ont accédé récemment à l'indépendance se sont écartés du système dit capitaliste pour s'orienter vers le socialisme. Aussi, par curiosité, je ne peux m'empêcher d'effectuer quelques recherches partout où cette doctrine se trouve mise en œuvre ou que l'on essaie de la mettre en œuvre.

Plus loin au cours de ce discours, il a assimilé le capitalisme à une poule : il n'est pas possible qu'une poule ponde un œuf de cane, bien qu'il s'agisse de la même famille de volailles. Une poule ne peut tout simplement pas, de par son organisation, faire un œuf de cane. Elle n'en a pas les moyens. Elle ne peut engendrer que ce que son organisation particulière lui permet d'engendrer.

Ce pays, de par son organisation, ne peut engendrer la liberté pour l'Afro-Américain. Cela est impossible tant que dureront cette organisation, cette organisation économique, cette organisation politique, cette organisation sociale, cette organisation. Il est impossible que cette organisation, dans l'état actuel, engendre immédiatement la liberté pour les noirs de ce pays.

Nous vivons dans une ère de révolution, et la révolte du Noir étasunien procède de la rébellion contre l'oppression et le colonialisme qui a caractérisé cette ère. Il est inexact de définir la révolte du Noir comme un simple conflit racial des noirs contre les blancs, ou comme un problème purement américain. Plus exactement, nous assistons aujourd'hui à une rébellion globale des opprimés contre l'oppresseur, des exploités contre l'exploiteur. »

Malcolm X va participer à plusieurs réunions publiques de  The Militant, organe hebdomadaire du Socialist Workers Party (que seules des lois réactionnaires - Voorhis Act de 1940 et Smith Act de 1941 - empêchèrent d'être la section étasunienne de la IVème Internationale).

Le 8 avril 1964, il y déclare : « Toute explosion raciale qui se produit en 1964 dans ce pays ne saurait être confiné dans les limites de l'Amérique. C'est une explosion raciale capable de mettre le feu au baril de poudre qui se trouve présent en tout point de cette planète appelée Terre...

La Révolution ne se fonde jamais sur les négociations. La Révolution ne reconnait aucune forme de gradualisme. La Révolution ne consiste pas à supplier une société ou un système corrompu de vous accepter dans son sein. La Révolution renverse les systèmes et il n'est pas, sur cette terre, de systèmes qui se soit montré plus corrompu, plus criminel que celui qui, en 1964, tient encore colonisés et réduits en esclavage vingt-deux millions d'Afro-Américains. »

Les positions de Malcolm X sont une vivante illustration de la position de Léon Trotsky sur « le Parti noir » aux EU, position qui s'inspirait des débats sur les « nationalités » en Russie soviétique et qui se concentrait sur la question de l'autodétermination nationale, qui pouvait passer par la séparation. Est-ce que les Noirs américains devaient-ils être considérés comme une minorité nationale dans un ensemble où leur sort était lié ad-vitam à leurs oppresseurs, avec comme seul espoir de diminuer le poids de leurs chaînes ou un Peuple ès-qualité qui avait le Droit imprescriptible de disposer de lui-même sous la forme qu'il choisirait librement ? La réponse à cette question entrainait alors selon la réponse qu'on y apportait, un certain comportement à avoir avec les formes d'Organisations des Noirs.

Dans la notice consacrée à C.L.R. James dans Wikipédia (version anglaise), on peut lire ceci : « À la demande de Trotsky et de James P. Cannon, en octobre 1938, James est invité à faire une tournée aux États-Unis par la direction du Socialist Workers Party (SWP), alors section étasunienne de la Quatrième Internationale, afin de faciliter son travail parmi les travailleurs noirs. Après plusieurs réunions à New- York, qui lui valurent « des éloges enthousiastes pour ses talents d'orateur et sa capacité d'analyse des événements mondiaux », James entama sa tournée nationale de conférences le 6 janvier 1939 à Philadelphie. Il donna des conférences dans des villes telles que New-Haven, Youngstown, Rochester et Boston, avant de terminer sa tournée par deux conférences à Los Angeles et une autre à Pasadena en mars 1939. Il aborda des sujets tels que « Le crépuscule de l'Empire britannique » et « Les Noirs et l'Impérialisme mondial.

En avril 1939, James rendit visite à Trotsky à Coyoacán, au Mexique. James y resta environ un mois et rencontra également Diego Rivera et Frida Kahlo, avant de retourner aux États-Unis en mai 1939. L'un des principaux sujets abordés par James et Trotsky était la « question noire ». Une partie de leur conversation a été retranscrite, James étant parfois désigné par son pseudonyme, J. R. Johnson. Alors que Trotsky considérait que le Parti trotskiste devait assurer le leadership de la communauté noire, à l'instar des Bolcheviks qui guidaient les minorités ethniques en Russie, James suggérait que la lutte auto-organisée des Afro-Américains précipiterait un mouvement social radical beaucoup plus large. »

J'ai noté avec une certaine interrogation, que C.L.R. James citait parfois Martin Luther King dans ses écrits, mais jamais Malcom X, alors qu'il y avait bien des positions communes, notamment sur l'auto-organisation des masses Noires et leur indépendance dans la lutte de Libération. Il est vrai qu'à ce moment-là, James n'était plus trotskyste.

Une évolution très rapide

La période indépendante de Malcom aux sorties de Nation of Islam ne durera que cinquante semaines en tout. Mais son évolution vers le Mouvement ouvrier révolutionnaire sera fulgurante. Certains pouvaient s'interroger sur le fait que les anciens détracteurs de MX qui le traitaient de « séparatiste » ne le soutinrent nullement quand il évolua sur cette question.

George Breitman explique : « La vérité, c'est qu'ils avaient compris (alors que les prétendus militants d'extrême-gauche n'avaient rien remarqué) qu'en surmontant la crise, Malcolm voulait prendre un virage à gauche, non à droite. Ils pensaient que le Malcolm « nouveau » pouvait représenter une menace plus grande pour le statu quo que le Malcolm des Black Muslims. Bien que ne se définissant pas comme tel, Malcolm était un radical, avant d'avoir quitté les Black Muslims comme après. Par la suite, il devint de plus en plus révolutionnaire - de plus en plus anticapitaliste et prosocialiste ainsi qu'anti-impérialiste. Il méritait ces étiquettes, bien qu'il ne les apposât point.

Malcolm demeura en Afrique tout au long de la campagne présidentielle de 1964. Son attitude vis-à-vis de Johnson et de Goldwater est exprimée dans les extraits de son autobiographie publiés dans le Saturday Evening Post du 12 septembre : Johnson et Goldwater, en ce qui concerne le Noir américain, se valent bien l'un et l'autre. Si Johnson est le renard, Goldwater est le loup... L'un comme l'autre, ils le mangeront.

Sur le chemin du retour, il fit escale à Paris, le 23 novembre, afin d'y donner une conférence sous le parrainage de Présence Africaine ; au cours de cette conférence, il s'en prit à « ceux qui se disent marxistes » et « prétendent être des adversaires du régime », mais se mettent « à quatre pattes » en souhaitant l'élection de Johnson et en œuvrant dans ce sens. Il se référait aux partis communiste et socialiste américains. De leur côté, ils restèrent aussi hostiles à Malcolm après qu'il eut quitté les Black Muslims qu'avant.

L'attitude de Malcolm à l'égard de The Militant, cet hebdomadaire exprimant les opinions du Socialist Workers Party, constitue une exception. Alors qu'il appartenait encore aux Black Muslims, Malcolm achetait ce journal quand il était vendu à la sortie des réunions au cours desquelles il prenait la parole. Même à cette époque-là, déclara-t-il après la rupture, il disait aux Noirs que c'était un bon journal qu'ils devaient lire. Initialement, il avait porté de l'intérêt à The Militant parce que ce journal cherchait à justifier les Black Muslims et le nationalisme noir, et les défendant contre les déformations et les attaques réactionnaires.

A la différence de la plupart des publications radicales, celle-ci ne cherchait pas à persuader les noirs de subordonner leur combat au gouvernement, au Parti Démocrate, au mouvement des travailleurs ou à autre chose. »

Malcom X rappelait sans cesse que le Parti-Démocrate avait pour origine le Sud raciste contre le Nord abolitionniste et que les Démocrates-du-Sud (les Dixiecrats) étaient aussi racistes que les Républicains de la « Bible Belt » (la ceinture biblique des États du Sud).

En conclusion

Son assassinat a stoppé nette cette évolution et cette rencontre avec le Mouvement ouvrier. Je parle d'évolution et non de changement fondamental dans les positions de Malcolm X. Il garde toujours le fonds de sa position sur le Mouvement des Noirs pour leur libération, contre le racisme et les discriminations, contre leur exploitation. C'est-à-dire pour l'avènement d'une démocratie authentique avec tous les droits y afférant pour tous.

Il part de la religion pour se débarrasser ensuite complètement de l'islam dans son combat, qu'il garde comme conviction personnelle, un peu « comme une affaire privée » dans ce combat. Il dira clairement : « Nous ne mélangeons pas notre religion et notre politique. Nous gardons notre religion dans notre mosquée ».

Mais il relie cela ensuite à une lutte d'ensemble pour l'émancipation intégrale de l'Humanité qui l'amène à une convergence avec le mouvement ouvrier, aidé en cela par les trotskystes, c'est-à-dire le Mouvement ouvrier révolutionnaire. C'est la compréhension que la bourgeoisie liquide les acquis démocratiques de sa phase ascendante, quand elle entre dans l'impérialisme « stade suprême du capitalisme » selon Lénine, et qu'il appartient désormais au Mmuvement ouvrier de les défendre et des restaurer de manière pleine et entière.

C'est ce que dit le Programme de Transition de fondation de la IVe Internationale : « La IV° Internationale ne repousse pas les revendications du vieux programme "minimum", dans la mesure où elles ont conservé quelque force de vie. Elle défend inlassablement les droits démocratiques des ouvriers et leurs conquêtes sociales. Mais elle mène ce travail de tous les jours dans le cadre d'une perspective correcte, réelle, c'est-à-dire révolutionnaire.

Dans la mesure où les vieilles revendications partielles "minimum" des masses se heurtent aux tendances destructives et dégradantes du capitalisme décadent - et cela se produit à chaque pas -, la IV° Internationale met en avant un système de revendications transitoires dont le sens est de se diriger de plus en plus ouvertement et résolument contre les bases mêmes du régime bourgeois. Le vieux "programme minimum" est constamment dépassé par le programme de transition, dont la tâche consiste en une mobilisation systématique des masses pour la Révolution prolétarienne. »

Il était donc logique que Malcolm X finisse par rencontrer la classe ouvrière et son aile la plus radicale, comme le définissait pour les communistes le Manifeste du Parti communiste de Karl Marx : « Les communistes ne forment pas un parti distinct opposé aux autres partis ouvriers. Ils n'ont point d'intérêts qui les séparent de l'ensemble du prolétariat. Ils n'établissent pas de principes particuliers sur lesquels ils voudraient modeler le mouvement ouvrier.

Les communistes ne se distinguent des autres partis ouvriers que sur deux points : 1. Dans les différentes luttes nationales des prolétaires, ils mettent en avant et font valoir les intérêts indépendants de la nationalité et communs à tout le prolétariat. 2. Dans les différentes phases que traverse la lutte entre prolétaires et bourgeois, ils représentent toujours les intérêts du mouvement dans sa totalité.

Pratiquement, les communistes sont donc la fraction la plus résolue des partis ouvriers de tous les pays, la fraction qui stimule toutes les autres ; théoriquement, ils ont sur le reste du prolétariat l'avantage d'une intelligence claire des conditions, de la marche et des fins générales du mouvement prolétarien. »

Il est évident que cette conclusion n'appartient qu'à moi et ne saurait engager, en quoique ce soit, la Libre Pensée comme association indépendante. Je pensais qu'il fallait rendre justice à Malcolm X, souvent cité, mais en fait assez peu connu. J'espère que cette contribution, que j'ai voulu assez complète, intéressera toutes celles et tous ceux qui s'intéressent à ces questions. C'est le sens et l'objet de ce travail.

Christian Eyschen

Sources :
L'autobiographie de Malcolm X par Alex Haley - 448 pages - 24,50€
Comment je suis devenu Malcolm X par Ilyasah Shabazz et Kekla Magoon - 462 pages - 17,90€
Le pouvoir noir-Malcolm X par George Breitman - 265 pages - 13,50€
Malcolm X, de l'exclusive noire à la spiritualité universelle par Tariq Ramadan - 103 pages - 10€
Les Jacobins noirs par C.L.R. James - 460 pages - 14€
Toussaint Louverture par Aimé Césaire - 347 pages - 16€
C. L. R. James. La vie révolutionnaire d'un Platon noir par Matthieu Renault -Édition la Découverte - 232 pages - 19,50€
La Raison d'avril et mai 2025
L'Idée libre N°346 de septembre 2024
Malcolm X par Spike Lee (Film)
Queimada par Gillo Pontecorvo (Film)
● France-Info
La dernière année de Malcom X par George Breitman
La Vérité, revue de la Section française de la IVe Internationale
● Wikipédia

 legrandsoir.info