Rasem BISHARAT
Introduction
Depuis février 2025, une institution portant un nom humanitaire éclatant - la Gaza Humanitarian Foundatione à Gaza. L'objectif déclaré était clair : distribuer nourriture, eau, médicaments et abris, tout en garantissant que cette aide ne parvienne pas au Hamas. Mais cette condition n'était pas une simple mesure administrative ; elle a révélé dès le départ l'essence du projet : une assistance conditionnelle transformée en instrument politique, dont le but est de réorganiser la société palestinienne et de la soumettre à l'hégémonie israélo-étasunienne.
Ce que représente cette fondation est le prolongement d'un système colonial-capitaliste historique, dans lequel le besoin humain est transformé en outil d'exploitation, et où la société palestinienne - qui devrait être au centre des préoccupations de toute organisation humanitaire - devient une matière sociale malléable. La solidarité populaire libre est remplacée par des réseaux de financement conditionnels, et les pauvres sont contraints de se soumettre en échange de leur survie, tandis que leur sont imposées des conditions politiques et sécuritaires complexes.
Cette fondation n'est pas une exception dans l'histoire du colonialisme moderne, mais un exemple vivant de la manière dont la vie quotidienne - y compris les droits humains les plus fondamentaux - peut être transformée en arme entre les mains des puissances coloniales. La nourriture et l'eau, qui constituent des droits humains essentiels, sont ici instrumentalisées pour renforcer la domination, exercer des pressions et affaiblir la capacité du peuple à résister et à s'organiser de manière indépendante.
Une façade humanitaire et une essence sécuritaire
L'étude de la structure de direction de la GHF révèle que la fondation a été conçue dès le départ comme un prolongement de l'hégémonie américano-israélienne sur Gaza. Le conseil d'administration regroupe des hommes d'affaires et d'anciens officiers de l'armée et des services de renseignement étasuniens, à l'intersection entre expertise sécuritaire et orientations capitalistes et politiques. À la tête de la direction se trouvait Nate Cook, ancien directeur général de World Central Kitchen, et Jake Wood, ancien combattant des Marines et fondateur de Team Rubicon, qui démissionna plus tard en déclarant que la fondation ne respectait aucune norme humanitaire. Après le départ de Wood, la direction fut confiée à Johnny Moore Jr., un évangélique étasunien connu pour son soutien politique à Israël et ses projets de déplacement forcé des habitants de Gaza, tandis que John Acrey jouait le rôle de lien entre la fondation et la politique étrangère des EU grâce à son expérience dans les projets de coopération civilo-militaire en Irak et en Afghanistan.
Le conseil consultatif comprend d'anciens généraux, de hauts responsables des Nations Unies et du Programme alimentaire mondial, ainsi que d'anciens officiers de renseignement de la CIA et du Mossad. Cette composition dévoile le visage sécuritaire caché de l'institution et confirme que l'absence totale de Palestiniens dans les postes de direction n'est pas le fruit du hasard, mais bien une composante d'une stratégie coloniale de domination.
Dans une telle configuration, les décisions administratives dépassent largement la simple organisation interne de la fondation : elles sont des décisions politico-sécuritaires visant à contrôler la société palestinienne et à utiliser l'aide pour étendre les réseaux d'influence. Toute tentative d'action humanitaire indépendante est écartée, et le travail est vidé de son contenu, pour devenir une simple façade d'un projet colonial qui investit dans la faim et la pression sociale.
De l'aide aux pièges
La GHF est entrée dans la bande de Gaza en mai 2025 à travers quatre centres de distribution principaux situés à Rafah, Gaza et Khan Younès. Sur le papier, l'objectif était de fournir nourriture, eau et médicaments. Mais la réalité sur le terrain a révélé des réseaux sécuritaires étroitement organisés contrôlant chaque étape. Les entreprises Safe Reach Solutions et UG Solutions, qui gèrent les opérations de protection et de distribution, sont dirigées par d'anciens officiers du renseignement étasunien et des forces d'opérations spéciales, ce qui rend ces centres plus proches de forteresses militaires que de lieux de secours.
Des rapports locaux et internationaux confirment que ces centres se sont transformés en pièges mortels. Entre le 27 mai et la mi-juin 2025, plus de 850 civils ont été tués à proximité des points de distribution, tandis que des centaines d'autres ont été blessés. Des responsables palestiniens ont décrit ces centres comme des instruments de mise en œuvre de la stratégie d'occupation, transformant la nourriture en outil de gestion de la famine et d'imposition de la soumission.
Ce qui se passe avec la fondation illustre un modèle de stratégie coloniale intégrée : transformer le droit à l'alimentation en instrument politique, remplacer la solidarité communautaire indépendante par des réseaux de surveillance et de dépendance, et affaiblir la capacité d'organisation populaire. Ces centres constituent un exemple vivant de la manière dont le capitalisme colonial utilise les instruments humanitaires pour consolider le contrôle, plutôt que d'autonomiser les communautés dans le besoin.
La famine systématique et le génocide lent
Dans la logique du colonialisme capitaliste moderne, la nourriture n'est pas offerte comme un simple droit humain, mais utilisée comme un outil de pression sociale et de contrôle politique. La Gaza Humanitarian Foundation illustre clairement cette logique. L'accès à l'aide alimentaire est conditionné par la coopération sécuritaire et la soumission aux directives de l'occupation, transformant ainsi les pauvres en otages sociaux. Dans ce contexte, la faim n'est pas le résultat d'une incapacité technique ou d'un manque de ressources, mais un moyen calculé de désintégrer les communautés et de les assujettir.
Des rapports internationaux de défense des droits humains, tels qu'Amnesty International et le Programme alimentaire mondial, ont refusé de coopérer avec la fondation, considérant que son activité ne vise pas à alléger la souffrance humaine mais à instrumentaliser la nourriture comme une arme politique. L'Agence des Nations Unies pour les réfugiés palestiniens (UNRWA) a qualifié les zones de distribution de cette fondation de « pièges mortels ».
Le délégué de la Palestine auprès de la Ligue arabe a également décrit ces points de distribution comme des « pièges mortels », affirmant que quiconque s'y rend pour obtenir de la nourriture s'expose au risque de tirs de snipers ou de chantage social.
De plus, des témoignages locaux ont révélé des colis alimentaires contenant de la farine empoisonnée ou des substances narcotiques, destinés à créer un déséquilibre social parmi les civils et à entraver la capacité de la société à résister. Des technologies modernes, telles que la reconnaissance faciale et les drones, ont également été utilisées pour classifier les civils à des fins sécuritaires, transformant ainsi la nourriture d'un moyen de survie en un outil de mise à mort, de surveillance et de contrôle.
Cet usage systématique de la nourriture reflète un nouveau modèle de génocide lent : un mélange de famine, de pression psychologique, de peur et de reconfiguration sociale au service des agendas coloniaux-capitalistes. Dans ce cadre, l'occupation se présente non pas comme une simple force militaire, mais comme une entité capable de transformer les nécessités vitales les plus élémentaires en instruments répressifs.
Témoignages de l'intérieur
Même au sein de la fondation elle-même, des voix se sont élevées pour dévoiler le véritable visage du projet. Anthony Aguilar, ancien employé et soldat étasunien, a raconté dans une interview à la BBC que les centres de distribution avaient été le théâtre de tirs directs sur des civils affamés, soulignant que l'opération n'était pas un simple échec sécuritaire mais un plan calculé pour imposer la soumission.
Jake Wood, ancien directeur exécutif, a décrit la fondation comme « le monstre colonial de l'aide humanitaire », affirmant que le respect des principes humanitaires fondamentaux - tels que la neutralité et l'indépendance - était devenu impossible. David Burke, ancien chef des opérations, a démissionné en signe de protestation contre l'usage d'outils coercitifs à l'encontre des civils, soulignant que la nourriture était devenue un moyen d'assujettissement plutôt qu'un soutien.
Ces aveux internes constituent une preuve solide que la GHF n'a pas été conçue pour une véritable assistance humanitaire, mais pour reproduire la dépendance et transformer les pauvres en instruments au service des puissances coloniales. Ils mettent en lumière une contradiction flagrante entre le discours officiel « humanitaire » et les pratiques de terrain, où la solidarité devient un simple paravent d'un projet sécuritaire et politique, tandis que les droits humains fondamentaux sont confisqués.
Le colonialisme capitaliste et la gestion de la crise humanitaire
Ce que fait la Gaza Humanitarian Foundation constitue le prolongement d'un modèle colonial-capitaliste historique. L'occupation ne se limite pas au vol de la terre et à l'imposition du blocus ; elle contrôle également la nourriture et l'eau afin de les utiliser comme armes économiques et sociales. Ici, les pauvres ne sont pas de simples bénéficiaires d'une aide, mais des instruments remodelés à travers la faim, la surveillance et le chantage, tandis que la solidarité populaire libre est remplacée par des réseaux de financement conditionnels et des dispositifs de contrôle minutieux assurant une domination totale de la société.
La GHF reproduit ce que le capital colonial a pratiqué à travers l'histoire : transformer le pain en outil de domination, créer des réseaux sociaux contrôlés, et soumettre les communautés sans résistance directe. Le projet combine politique militaire, colonialisme et économie, transformant l'action humanitaire en façade d'un projet de génocide lent qui exploite la faim et la pauvreté pour consolider l'hégémonie.
En ce sens, on peut dire que la fondation n'est qu'un modèle contemporain illustrant comment la nourriture peut être politisée et comment les droits humains peuvent être transformés en instruments de reproduction du pouvoir colonial, en adéquation avec les objectifs du capitalisme mondial.
La solidarité internationale : la véritable alternative humanitaire
Face à ce modèle colonial, la solidarité internationale apparaît comme une alternative populaire et humanitaire. Des organisations mondiales indépendantes, telles que Save the Children et diverses alliances humanitaires internationales, ont cherché à fournir une aide inconditionnelle, sans aucune coordination avec l'occupation ou les appareils sécuritaires américano-israéliens.
La solidarité internationale repose sur le principe que nourriture et médicaments sont des droits pour tout être humain, indépendamment de son appartenance politique ou de sa position sociale. Elle reflète les valeurs fondamentales de l'action humanitaire : humanité, neutralité, indépendance et non-discrimination. Ces principes constituent la barrière naturelle contre toute tentative d'exploiter une crise humanitaire au service d'agendas coloniaux ou politiques.
Les exemples mondiaux de solidarité internationale montrent que l'action humanitaire véritable n'a pas besoin de façades sécuritaires ni du soutien des appareils d'occupation. Elle repose au contraire sur la cohésion populaire et sur la fourniture directe de ressources aux personnes dans le besoin, dans le respect de leur dignité et de leur indépendance. C'est un modèle qui démontre que l'humanité n'est pas un simple slogan, mais un outil de résistance contre le colonialisme et l'arme politique de la faim.
Conclusion
La Gaza Humanitarian Foundation n'est pas une organisation humanitaire, mais bien la façade d'un projet sécuritaire-colonial intégré, qui transforme la nourriture en instrument de génocide lent et l'aide humanitaire en mécanismes d'assujettissement de la société palestinienne. Sa direction américano-israélienne, ses liens militaires et de renseignement, ainsi que son exploitation de la nourriture sur le terrain reflètent un projet visant à reproduire la domination capitaliste et coloniale au cœur même de la société palestinienne.
En revanche, la solidarité internationale propose un véritable modèle d'action humanitaire, à l'écart de toute politisation ou exploitation. La nourriture n'est pas une marchandise, et l'être humain n'est pas une matière sociale à modeler, mais un être autonome dont la vie et la dignité doivent être respectées, loin de tout agenda politique ou militaire. La solidarité, le soutien direct et inconditionnel, et la revendication des droits humains fondamentaux constituent la voie authentique pour affronter le colonialisme et restituer aux peuples leurs droits spoliés.
Nous concluons avec une citation de Ghassan Kanafani - romancier et écrivain palestinien : « Ils volent ton pain, puis t'en donnent une miette, et ensuite ils t'ordonnent de les remercier pour leur générosité. Quelle impudence ! »
Dr Rasem Bisharat
Docteur en études du Moyen-Orient