11/09/2025 reseauinternational.net  8min #290082

 La coopération russo-asiatique prend son essor : le Forum économique oriental s'ouvre à Vladivostok

De Tianjin et Pékin à Vladivostok, l'Eurasie poursuit allègrement sa route

par Pepe Escobar

L'histoire retiendra que la première semaine de septembre 2025 aura consacré l'avènement du siècle eurasien.

 Trois dates cruciales et étroitement liées étaient attendues, soit le sommet annuel de l'OCS à Tianjin, le défilé du Jour de la Victoire à Pékin et le Forum économique oriental à Vladivostok.

Mais l'ampleur et la portée de ce qui vient de se passer ont dépassé toutes les attentes.

Le sommet de l'OCS à Tianjin a confirmé la volonté de la Chine d'instaurer une véritable gouvernance mondiale, signifiant en pratique la fin de «l'ordre international fondé sur des règles», qui, sous la nouvelle administration américaine, s'est transformé en chaos international dépourvu de toute règle, une philosophie du type «nous ferons exploser le monde s'il échappe à notre contrôle».

Tianjin a réuni les 10 membres à part entière de l'OCS, ainsi que 2 observateurs et 15 partenaires, dont de nombreux pays d'Asie du Sud-Est, pour aborder des points concrets permettant d'assurer des relations pacifiques. La photo de la semaine, voire de l'année, voire de la décennie, a été la poignée de main trilatérale entre Poutine, Xi et Modi : le retour en force du RIC (Russie-Inde-Chine) initial, pensé par Primakov. Comme l'a fait remarquer le professeur Zhang Weiwei de l'université Fudan à Vladivostok, l'OCS se développe désormais dans trois domaines : l'énergie, les industries propres et l'intelligence artificielle. L'Asie centrale est désormais considérée comme une «bénédiction géographique» et non plus comme une «malédiction».

Immédiatement après Tianjin, le partenariat stratégique entre la Russie et la Chine a également atteint un niveau inédit, lorsque le président Poutine a été reçu par le président Xi à Zhongnanhai, la résidence officielle du chef de l'État chinois, pour un tour d'horizon complet de la situation mondiale.

Le lendemain, Pékin resplendissait sous un ciel azur tandis que se déroulait le grandiose défilé militaire célébrant le 80ème anniversaire de la victoire chinoise sur l'invasion japonaise et le chapitre asiatique du nazisme-fascisme. Une superpuissance géoéconomique fière de ses réalisations militaires.

Le même jour, le Forum économique oriental s'est ouvert à Vladivostok, plateforme inégalée dédiée à l'essor des affaires paneurasiatiques.

Ce que la Chine a proposé et rappelé à Tianjin va bien au-delà du concept de Wangdao, une référence à une influence éclairée et bienveillante, mais non hégémonique. Ce que l'on peut qualifier de devise emblématique d'une Pax Sinica sous Xi pourrait se résumer ainsi : «Faire du commerce, pas la guerre - pour le mieux-être de tous et un avenir partagé», selon la terminologie de Pékin.

Les partenaires de l'OCS et des BRICS comprennent parfaitement que la Chine n'a pas l'intention de remplacer la Pax Americana, qui s'est toujours appuyée sur la «diplomatie» de la canonnière du département de la Guerre, à présent rebaptisé à juste titre. Quelle que soit l'hystérie dont l'Occident peut faire preuve en manipulant le Tibet, Hong Kong, le Xinjiang, la mer de Chine méridionale ou Taïwan, Pékin ne s'écartera pas de sa voie civilisationnelle inclusive.

La naissance d'un nouvel ordre logistique

C'est sur trois fronts interdépendants que se sont principalement développés les infrastructures de la route reliant Tianjin à Vladivostok : le pétrole et le gaz, les couloirs de connectivité et un plan de développement économique ambitieux.

L'Occident collectif ne parvient tout simplement pas à se dépêtrer de la névrose consistant à systématiquement sous-estimer l'Orient. Pendant des années, les BRICS et l'OCS ont été raillés à Washington comme de simples clubs de conversation superflus. Mais c'est l'esprit multilatéral qui permet à des projets révolutionnaires comme le Power of Siberia-2 de devenir réalité.

Ce projet a été planifié il y a plusieurs années, mais il a été difficile de s'accorder sur le tracé final. Gazprom préférait la Sibérie occidentale au Xinjiang, via les montagnes de l'Altaï. Les Chinois préféraient un transit via la Mongolie, directement vers le centre de la Chine.

C'est finalement l'itinéraire mongol qui a convaincu. La décision a été prise il y a deux ans et, ces dernières semaines, les modalités de la tarification finale, conformes aux taux du marché, ont été finalisées. Ce changement géopolitique majeur signifie que le gaz de la péninsule de Yamal, initialement destiné à alimenter l'Europe via les gazoducs Nord Stream, approvisionnera désormais la Chine.

Lors de la session plénière à Vladivostok, le président Poutine a particulièrement insisté sur la question de l' énergie et la connectivité.

Mais pour aborder les détails complexes, deux tables rondes ont été sans doute les plus intéressantes du forum.

L'une d'elles portait sur le  le développement de l'Arctique et de l'Extrême-Orient russe, avec les commentaires éclairés de Vladimir Panov, non seulement le plus grand expert de Rosatom sur l'Arctique, mais aussi le vice-président de la Commission d'État pour le développement des régions arctiques.

L'autre a  approfondi le sujet en établissant un parallèle entre les origines de la route maritime du Nord (NSR), il y a 500 ans, lorsque le diplomate russe Dmitry Gerasimov a conçu le premier tracé de la NSR et la première carte de l'océan Arctique et des côtes de la Moscovie, et les défis technologiques du XXIe siècle.

Ce débat a été marqué par une intervention particulièrement percutante du PDG de Rosatom, Aleksey Likhachev, appuyée par des experts tels que Sergey Vakhurov, vice-président du Collège maritime russe. Likhachev a détaillé la configuration complexe d'un couloir arctique transportant principalement des matières premières, un couloir de transport résilient pour toute l'Asie du Nord-Est.

Il s'agit ni plus ni moins de la naissance d'un nouvel ordre logistique - avec des prévisions météorologiques assistées par l'IA et des brise-glaces - où la contribution russe s'avère essentielle.

Vladivostok, le prochain Hong Kong ?

Comme l'a souligné Poutine en ouverture de la session plénière, le cœur du problème est le corridor de transport transarctique, sans doute le corridor de connectivité clé du XXIe siècle.

C'est donc sans surprise que les échanges à Vladivostok ont porté sur le rôle essentiel de l'énergie et des brise-glaces nucléaires pour sécuriser le transport maritime le long de la route maritime du Nord, sans oublier les enjeux environnementaux et le défi de mobiliser des investissements à grande échelle dans la production d'énergie, la gestion et la construction d'infrastructures.

Tous ces sujets ont été abordés lors d'une discussion opportunément consacrée au Partenariat pour la Grande Eurasie, au cœur de la politique géoéconomique russe, avec des contributions clés d'Alexey Overchuk, vice-président du gouvernement russe, et de l'affable Suhail Khan, secrétaire général adjoint de l'OCS.

L'un des principaux enjeux de cet événement a été le réalignement surprenant de Rosatom, qui développe simultanément ses activités avec la Chine, l'Inde et la Corée du Sud le long de la NSR, une route ultra-stratégique.

En d'autres termes, la Russie évalue tous les scénarios possibles pour garantir une navigation arctique 365 jours par an : ni plus ni moins qu'un nouvel ordre économique et technologique.

Sans oublier le débat animé sur l'avenir de la nouvelle économie de croissance pour  les pays du Sud et d'Asie.

Herman Gref, PDG de la Sberbank, a par exemple révélé que la plus grande banque russe est désormais la deuxième banque mondiale en termes de transactions, derrière JP Morgan.

Wen Wang, de l'université Renmin, a rappelé que la Chine vit actuellement un processus de «désaméricanisation» très marqué dans les domaines de l'éducation et de la technologie, en privilégiant «son propre système de connaissances».

Il y voit un énorme potentiel de coopération entre la Russie et la Chine sur les plans économique et financier, et souligne qu'il est urgent d'ouvrir les marchés financiers des deux pays. Vladivostok pourrait même devenir le prochain Hong Kong. Plusieurs participants au forum ont souligné que Vladivostok dispose de tous les atouts nécessaires pour devenir un centre stratégique d'intégration du Sud global.

L'Arctique sera au centre des éventuels accords commerciaux entre Russes et Américains. Des échanges sérieux sont en cours depuis le mois de mars, notamment à l'occasion de la récente rencontre entre Poutine et Trump.

Face à des défis logistiques colossaux, une percée économique dans l'Arctique, à proximité et sur le territoire de l'Alaska, pourrait finalement représenter pour les États-Unis un moyen d'éviter une catastrophe économique. L'Arctique, de facto dominé par la Russie, pourrait ainsi finir par devenir la scène idéale pour contenir l'empire du chaos.

La Russie a d'ailleurs déjà développé une infrastructure arctique étendue et complexe, en constante évolution. Avec des ports gigantesques, des installations de traitement du GNL, des villes entières de salariés et de techniciens, ainsi qu'une flotte de brise-glaces nucléaires (neuf en service, deux autres à venir), la Russie dispose d'atouts considérables à exploiter dans ses interactions avec les États-Unis.

Au final, ces quelques journées mouvementées de la semaine dernière assurent l'avenir. Le grand maître Lavrov a une fois de plus livré une analyse succincte de la triple poignée de main entre Poutine, Xi et Modi :

«Cette scène est la preuve que trois grandes puissances, représentant trois grandes civilisations, s'accordent sur de nombreux intérêts communs dans de multiples domaines».

Mais en réalité, c'est bien plus encore - c'est l'émergence d'un nouveau monde.

 Pepe Escobar

source :  Sputnik Globe via  Spirit of Free Speech

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