12/09/2025 legrandsoir.info  5min #290273

Quand l'aide internationale impose un paradigme : l'exemple africain

Ilyes Bellagha

Les aides européennes et les prêts du FMI imposent un paradigme néolibéral qui standardise l'aménagement du territoire africain au détriment de la souveraineté et des besoins locaux. L'exemple du port en eau profonde d'Enfidha, Tunisie, illustre la nécessité d'une mobilisation citoyenne pour défendre un développement adapté aux populations.

Chapo / Introduction

Les aides européennes, les prêts du FMI et de la Banque mondiale façonnent l'aménagement du territoire africain selon des modèles prédéfinis, souvent au détriment de la souveraineté des États et de la prise en compte des besoins locaux. Ces interventions ne sont pas neutres : elles imposent un paradigme économique et territorial qui standardise les politiques et marginalise les alternatives.

Le paradigme et son rôle dans l'aménagement du territoire africain

Un paradigme est un modèle de référence, un cadre conceptuel qui guide la perception, l'analyse et l'action dans un domaine donné. Selon Thomas Kuhn, il détermine ce qui est considéré comme valide, pertinent et rationnel, fixant ainsi les limites de ce qui peut être pensé ou expérimenté. Du point de vue philosophique, le paradigme incarne une vision du monde, un ensemble implicite de valeurs et de priorités qui conditionne les décisions et les pratiques.
Dans le contexte de l'aménagement du territoire en Afrique, les paradigmes appliqués par l'Europe, le FMI ou la Banque mondiale mettent l'accent sur l'efficacité économique, la standardisation des infrastructures et la rentabilité des projets. Ces cadres sont souvent imposés sans diagnostic local, donnant lieu à un forçage paradigmatique et à une perte d'autonomie des États.

Le paradigme néolibéral et la cession de souveraineté

Le paradigme imposé par ces institutions repose sur une idéologie néolibérale quasi-religieuse, considérée comme universellement valable. Ceux qui contestent ce modèle sont souvent perçus comme des fous, des anarchistes ou des obstacles au "progrès". L'exemple historique de Thomas Sankara, président du Burkina Faso, illustre cette réalité : attaché à la souveraineté et à un développement autonome, il a été assassiné après avoir refusé de se plier aux exigences des institutions financières internationales. Ainsi, le paradigme néolibéral ne se contente pas d'orienter les politiques : il détermine ce qui est acceptable ou légitime, transformant l'aide internationale en instrument de cession de souveraineté.

Le paradigme à l'œuvre : projets standardisés et dette

Dans la pratique, le paradigme se traduit par des projets d'infrastructures standardisés, des zones urbaines et rurales réorganisées selon des logiques de rentabilité, et des politiques agricoles orientées vers l'export.

Les taux d'intérêt des prêts sont un levier de pression concret : un taux élevé oblige les pays à adopter des réformes structurelles et à orienter l'aménagement du territoire selon les exigences des bailleurs. L'exemple des Programmes d'Ajustement Structurel (PAS) des années 1980 montre comment le FMI et la Banque mondiale ont contraint les États africains à adopter des politiques d'urbanisme et agricoles standardisées, souvent au détriment des populations locales.

La complicité des régimes locaux

Il faut reconnaître que la majorité des régimes africains sont souvent corrompus, clientélistes, kleptocratiques, autoritaires et népotistes. Cette réalité interne facilite l'application du paradigme néolibéral : les élites locales, en quête de financements et de prestige, adoptent les modèles imposés sans consultation ni adaptation aux besoins locaux. Les populations sont ainsi marginalisées, et l'aménagement du territoire devient un instrument de contrôle plutôt qu'un outil de développement.

Exemple concret : le port en eau profonde d'Enfidha en Tunisie

Le projet du port en eau profonde d'Enfidha, soutenu par des bailleurs internationaux, illustre parfaitement ce mécanisme. Financés par la Banque mondiale et d'autres institutions, les projets ont été conçus pour maximiser la rentabilité et l'attractivité pour l'investissement privé, sans diagnostic territorial sérieux ni prise en compte des besoins locaux.

- Les impacts sociaux et environnementaux ont été largement sous-évalués.
- Les autorités tunisiennes ont soutenu le projet sans réelle consultation des populations.
- La conception standardisée illustrait la cession de souveraineté, avec des décisions prises selon un paradigme global plutôt que sur l'intérêt général.

Grâce à la mobilisation de notre association, Architectes Citoyens, et d'autres acteurs de la société civile, nous avons pu dénoncer les risques et insuffisances du projet et défendre un modèle de développement plus adapté aux besoins locaux et à l'écosystème.

La supériorité des institutions financières

La domination du FMI, de la Banque mondiale et de certaines institutions européennes se reflète dans la concentration de capital et de pouvoir au sein de leurs centres décisionnels. Cette supériorité permet d'imposer leurs modèles aux pays africains, transformant l'aide et les subventions en instruments de contrôle économique et territorial.

Conclusion : L'Afrique peut reprendre le contrôle de son destin

L'Afrique est un continent riche en ressources et en potentialités, mais la majorité de ces richesses profite aux minorités et aux puissances extérieures. La démission de la gauche, autrefois championne des luttes sociales, a facilité cette situation.

La vraie indépendance n'est jamais celle qui est accordée : elle est celle qui est arrachée par la lutte des peuples. Cette lutte commence dans les coins et les bourgades, se propage comme une boule de neige, et s'attaque au cœur du problème : le paradigme néolibéral.

Seule la mobilisation citoyenne, la souveraineté nationale et une planification adaptée aux besoins locaux permettront à l'Afrique de transformer ses richesses en outils de développement pour ses populations et non pour des intérêts étrangers ou des élites locales corrompues.

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