Rosa LLORENS
Je m'aperçois que mon texte rejoint sur bien des points celui de Djamel Labidi, et je m'en réjouis ; je présente néanmoins le mien parce qu'il est écrit d'un autre point de vue.
Après l'équipée des trois zigotos du train de Kiev, des images d'autres trios se sont imposées, à Tianjin et à Pékin, nous permettant de faire des comparaisons suggestives.
D'un côté, trois potaches « volontaires », grimaçant et s'agitant en rond pour meubler le vide ; on a même pu entendre Macron disant à peu près : « demain nous serons à Kiev », rejouant ainsi la scène du Crime dans l'Orient-Express où un officiel à bout de ressources répète à Hercule Poirot : « Demain soir, lundi, vous arriverez à Stamboul. [...] L'église Sainte Sophie est une merveille ». De l'autre, des hommes solides, économes de mots et de gestes, conscients de la solennité du moment, que ce soit Poutine et Modi aux côtés de Xi Jinping à Tianjing, ou Poutine et Kim-Jong-un aux côtés de Xi à Pékin, en train d'écrire l'Histoire, de mettre en place de nouveaux rapports internationaux, pour apporter un peu de bon sens dans le chaos généré par « l'ordre international basé sur des règles ». Il est vrai que Xi est aussi aidé par sa carrure (face au petit jean-foutre aux costumes étriqués de jeune cadre dynamique), et par son visage de Droopy placide, constamment plissé par un petit sourire courtois, mais impassible.
Le parallèle entre défilés militaires, occidentaux d'un côté, russe et chinois de l'autre, permet de compléter la comparaison. C'est Alexander Mercouris qui remarque sur son site que la façon dont les soldats marchent peut être pleine d'enseignements. Voyons donc (des vidéos sur youtube mettent du reste ces divers défilés en regard, et il n'y a pas photo).
Pour les Anglais, nous avons un défilé traversant des rues désertes, où la seule note remarquable est donnée par le régiment écossais avec ses folkloriques et sempiternels kilts et cornemuses, tandis que le régiment féminin montre des femmes presque toutes moches et grosses (grossophobie !), encore enlaidies par un hideux uniforme marronnasse (le Royaume-Uni n'a sans doute plus assez d'argent pour acheter de nouveaux uniformes). Aussi peu enthousiasmant était le défilé français du 14 juillet, marqué par la chute d'un cavalier - chute non pas anecdotique mais bien symbolique. Quant au défilé d'anniversaire de Trump, le 14 juin, il montrait des soldats marchant à petits pas paresseux, et des équipages de blindés faisant des coucous à la (maigre) foule.
Les défilés russe et chinois, par contre, étaient d'un dynamisme entraînant, d'une grande beauté visuelle et d'une perfection éblouissante. Les composantes féminines de l'armée russe étaient pleines de prestance, et les Chinoises, ravissantes ; quant aux soldats chinois, aussi bien découplés que les Russes, ils semblent avoir pris plusieurs centimètres voire dizaines de centimètres en quelques décennies, à l'image du géant Xi Jinping, alors que de récentes statistiques montrent que la taille des Anglais, depuis 30 ou 40 ans, a diminué. Ironie de l'Histoire, cette apothéose de la Chine avait lieu sur cette Place Tiananmen, théâtre d'une tentative de déstabilisation de la part des Occidentaux, en 1989, de même que le sommet de Tianjin avait pour cadre la ville qui avait vu la signature, en 1859, du premier des Traités inégaux et le début de la grande humiliation de la Chine sous le joug des Occidentaux, et du Japon. La Russie et la Chine prennent leur revanche, et la discipline et la force d'engagement des soldats russes et chinois suggèrent que leur armée et leur peuple sont pleins de ferveur patriotique et que ces deux pays sont résolus à affronter toutes les menaces.
Le cinéma vient à l'appui de cette impression. En 1938 déjà, le film Alexandre Nevski exaltait ce prince russe qui avait écrasé les sinistres Chevaliers Teutoniques (les Allemands), s'intégrant ainsi à l'effort de guerre soviétique : mais sa sortie fut perturbée par les Accords de Munich, qui remirent à plus tard l'entrée en guerre de l'URSS. Aujourd'hui, on ne sait pas grand-chose de la production cinématographique de la Russie, sous sanctions draconiennes qui nous privent aussi bien du gaz que de la culture russes ; maintenant que Zvyaguintsev est sorti des écrans radars, le nouveau chouchou du Festival de Cannes est (sans surprise) l'ukrainien Loznitsa. Cependant, en 2015, dans le cadre du Festival du film russe, on avait pu voir Ici les aubes sont calmes, de Renat Davletiarov : le film raconte l'épopée de cinq jeunes femmes responsables d'une batterie de DCA qui, au prix du sacrifice de leur vie, vont affronter un commando de « surhommes » allemands qui menace de couper la voie ferrée nécessaire aux communications de l'armée soviétique en Carélie.
Le cinéma chinois, lui, n'est pas sous sanctions et semble mieux passer le rideau de fer de l'indifférence ou du mépris occidental. Au cours de ces dix dernières années, on a pu regarder deux films qui correspondent exactement aux intentions de Xi Jinping lors de la commémoration, le 3 septembre, de la victoire chinoise sur le Japon et le fascisme international.
La bataille de la Montagne du Tigre (2014) raconte l'exploit d'un corps d'armée qui, après la victoire sur le Japon, liquide, dans le Nord Est chinois, un camp de brigands, résidu de l'armée japonaise, qui terrorisaient les paysans. La bataille du Lac Changjin (2021), film le plus cher de l'histoire du cinéma chinois, raconte l'héroïsme et le sacrifice des volontaires chinois, qui s'engagent, en 1950, pour repousser les troupes étasuniennes qui avaient franchi le 38e parallèle en Corée. Le choix d'un tel sujet est on ne peut plus clair (les EU sont avertis qu'il y a des limites à ne pas franchir) ; en outre, il annonçait la présence de Kim Jong-un en tant qu'invité d'honneur au défilé de la victoire, de même que la proximité de Kim Jong-un et Poutine rappelait la solidarité des Nord Coréens face à l'Ukraine (ils ont perdu 100 soldats dans le cadre de la défense de Koursk). Curieusement, ce film est sorti dans les pays anglo-saxons, mais pas en France - on peut cependant se procurer le DVD sous son titre anglais : Heroes.
Face à ces deux glorieuses épopées, le cinéma français présente-t-il des épisodes importants de notre Histoire ? Au lieu de cela, on a eu le pénible Enzo, dont le héros, jeune bobo, ébloui par le physique sexy de l'immigré ukrainien Vladimir, ne rêve que de s'engager dans l'armée ukrainienne. Que l'auteur, Robin Campillo, aille donc s'inscrire dans la Légion des Volontaires ! Ce film n'est pas anecdotique, il applique une stratégie connue de longue date : Israel a toujours joué du caractère sexy de ses soldates pour se donner une image positive et susciter l'identification du public occidental ; certains peuvent encore se souvenir de Rika Zaraï, chantant et minaudant à la télé, dans les années soixante, en uniforme de petit soldat de Tsahal.
Les défilés de cet été marquent un tournant : Chine et Russie ont retrouvé leur dignité, leur honneur, elles ont fait la preuve de leur supériorité par rapport à des Occidentaux qui ne peuvent plus être fiers de grand-chose, ni matériellement, ni moralement. C'est même un retournement (à 360 degrés, dirait la pitoyable Kaja Kalas !) : la Chine s'est fièrement présentée comme l'Empire du Milieu, un pays dont le rôle (avec celui de l'URSS) a été central dans la défaite du fascisme international. Il ne reste plus qu'à espérer voir bientôt un nouveau planisphère, décalé vers l'Est, redonnant toute leur place à ces deux immenses pays, la Chine et la Russie.