Par Ahmad Ibsais, le 11 septembre 2025
Que révèlent ces derniers appels à l'annexion après huit décennies d'occupation, de nettoyage ethnique et d'apartheid ?
Bezalel Smotrich a dit tout haut ce que tout le monde pense tout bas. Le ministre des Finances d'extrême droite d'Israël veut annexer 82 % de la Cisjordanie occupée, où vivent trois millions de Palestiniens. Son raisonnement ? "L'objectif principal est de supprimer une fois pour toutes l'idée d'un État palestinien".
Voilà. Après deux ans de génocide à Gaza qui a tué plus de 60 000 Palestiniens, après 77 ans de spoliation amorcée par la Nakba, un ministre du gouvernement israélien a enfin admis ce que les Palestiniens ont toujours su : il n'a jamais été question de sécurité. Il a toujours été question d'effacement.
"Je n'ai aucun intérêt à leur permettre de profiter de tout ce que l'État d'Israël a à offrir", a déclaré Smotrich aux journalistes. "Nous n'avons pas créé ce pays pour faire prospérer nos ennemis".
Il parle des Palestiniens qui vivent sur leur propre terre. Des Palestiniens dont les familles cultivent des oliveraies depuis des générations. Des Palestiniens dont le seul crime est d'être nés Palestiniens.
Ce que signifie réellement l'occupation
Les gens utilisent le terme "occupation" sans comprendre ce qu'il signifie dans la pratique. Pour les Palestiniens de Cisjordanie, l'occupation signifie se réveiller jour après jour sous le régime militaire israélien. Nous n'avons pas le droit de voter aux élections israéliennes, mais les soldats israéliens contrôlent tous les aspects de notre vie. Nous sommes jugés par des tribunaux militaires israéliens où le taux de condamnation est supérieur à 99 %. Notre liberté de mouvement est contrôlée par un réseau de plus de 500 checkpoints et barrages routiers.
Le trajet en voiture entre la ville de ma mère, Al-Bireh, et Jérusalem prend normalement 20 minutes. Les postes de contrôle font souvent doubler, voire tripler, la durée du trajet, sans parler du risque d'être refoulée juste parce qu'elle est palestinienne. Les soldats israéliens, dont beaucoup sont très jeunes, décident si les Palestiniens peuvent rendre visite à leur famille, aller travailler ou se faire soigner. Voilà à quoi ressemble l'occupation militaire.
Israël occupe la Cisjordanie depuis 1967, soit 57 ans de régime militaire sur une population civile. Au regard du droit international, c'est illégal. La quatrième Convention de Genève est très claire :
"L'occupant ne peut procéder à la déportation ou au transfert d'une partie de sa propre population civile dans le territoire occupé par elle".
Chaque colonie israélienne est un crime de guerre. Chaque maison de colon construite sur des terres palestiniennes volées viole le droit international humanitaire.
Mais Israël ne se contente pas de violer le droit international, il a créé un système juridique à deux vitesses que même l'Afrique du Sud de l'apartheid aurait envié. Sur le même territoire, les colons juifs bénéficient du droit, d'une procédure régulière et de tous les droits civiques. Les Palestiniens vivent sous emprise militaire sans aucune protection. Les colons israéliens peuvent se déplacer librement entre les colonies sur des routes dont l'accès est interdit aux Palestiniens. Ils construisent des piscines alors que les villages palestiniens sont privés d'eau. Ils étendent leurs colonies tandis que les maisons palestiniennes sont démolies pour manque de permis impossibles à obtenir.
L'expansion des colonies
Lors de la signature des accords d'Oslo, en 1993, on dénombrait environ 250 000 colons israéliens illégaux en Cisjordanie et à Jérusalem-Est. Aujourd'hui, ils sont plus de 700 000 à vivre dans plus de 250 colonies. Ce n'est ni fortuit ni un dommage collatéral, mais la colonisation systématique des terres palestiniennes sous couvert d'un "processus de paix".
J'ai été témoin de cette colonisation toute ma vie. Je me souviens, enfant, que des îlots de bâtisses illégales se sont métamorphosés en villes entières assiégeant les villes palestiniennes de tous côtés. Des colons sont même venus d'Ukraine pendant la guerre russo-ukrainienne et ont annexé des terres palestiniennes. Pendant la pandémie de Covid-19, la construction de colonies s'est poursuivie. Rien n'arrête cette mécanique de colonisation.
Ces colonies ne se contentent pas de voler des terres, elles fragmentent également le territoire palestinien en zones isolées enclavées. La Cisjordanie a été divisée en zones A, B et C dans le cadre des accords d'Oslo. La zone C, sous contrôle total d'Israël, représente 60 % de la Cisjordanie. Les Palestiniens n'y ont pas accès, ne peuvent pas s'y installer et développer leurs communautés, ni cultiver leurs terres. Tandis que les colonies ne cessent de s'étendre, rongeant les terres restantes où pourrait prospérer un État palestinien.
Chaque colonie est reliée par des routes "réservées aux colons" interdites aux Palestiniens. Le mur de séparation s'enfonce profondément dans les terres palestiniennes, ne suivant pas la frontière de 1967, mais serpentant autour des colonies pour voler davantage de territoire. Des communautés entières sont coupées des hôpitaux, des écoles et de leurs propres terres. Il ne s'agit pas de sécurité, mais d'une spoliation systématique.
Une fiction juridique et des crimes de guerre
L'ensemble du projet de colonisation israélien viole le droit international. Ce n'est pas une question d'opinion, mais un fait juridique établi. La Cour internationale de justice, le Conseil de sécurité de l'ONU et toutes les grandes organisations de défense des droits humains s'accordent à dire que les colonies sont illégales au regard du droit international et constituent des crimes de guerre selon le Statut de Rome.
L'article 49 de la Quatrième Convention de Genève interdit à une puissance occupante de transférer sa population dans un territoire occupé. Il interdit également
"les transferts forcés individuels ou collectifs, ainsi que les déportations de personnes protégées hors du territoire occupé".
Israël viole systématiquement cette loi depuis plus de 50 ans.
Les colonies sont créées dans le seul but d'établir de manière permanente des civils israéliens sur les terres occupées. Il ne s'agit pas d'une présence militaire temporaire, mais d'une colonisation permanente. La Cour pénale internationale est compétente pour juger les crimes de guerre commis sur le territoire palestinien. La construction de colonies, le déplacement de la population palestinienne et le transfert de la population israélienne vers les territoires occupés constituent autant de crimes de guerre passibles de poursuites.
Mais le droit international perd tout son sens s'il n'est pas appliqué. Depuis des décennies, des pays condamnent Israël sans jamais appliquer de sanctions, et continuent de commercer avec les colonies et de fournir une aide militaire à l'État hébreu. Le résultat est sans surprise : Israël agit en toute impunité, car il n'est pas sanctionné pour avoir enfreint la loi.
Annexion : rendre légal ce qui ne l'est pas
Le plan d'annexion de Smotrich ne changera pas la réalité sur le terrain, il ne fera que formaliser ce qui existe déjà. En vertu du droit international, l'annexion consiste à acquérir un territoire par la force, ce qui est illégal, qu'elle soit officiellement déclarée ou non. Comme l'indique clairement Amnesty International :
"L'annexion est illégale en vertu du droit international et est donc nulle et non avenue et sans effet juridique international".
Même si Israël annexe la Cisjordanie demain, cela ne changera pas le statut juridique du territoire en vertu du droit international, pas plus que cela ne supprime les responsabilités d'Israël en tant que puissance occupante. Selon l'article 47 de la quatrième Convention de Genève,
"les personnes protégées présentes sur un territoire occupé ne peuvent se voir retirer leurs droits par l'occupation, ni par aucun accord conclu entre les autorités de ce territoire et la puissance occupante, ni par aucune annexion de tout ou partie de ce territoire par la puissance occupante".
L'annexion supprimerait le dernier semblant d'intention d'Israël de mettre fin à l'occupation. Les Palestiniens
"pourront continuer à gérer leurs propres affaires" au niveau local, a expliqué Smotrich, mais "le territoire sera sous notre contrôle",
a-t-il ajouté. En d'autres termes, les Palestiniens se verront réduits à gérer le ramassage des ordures, tandis qu'Israël contrôlera l'essentiel.
Ce plan a déjà été condamné par la communauté internationale. Des dizaines d'experts de l'ONU ont averti que l'annexion équivaudrait à instaurer "l'apartheid du XXIè siècle". Même les alliés arabes d'Israël semblent alarmés. Les Émirats arabes unis, qui ont normalisé leurs relations avec Israël il y a cinq ans, ont qualifié l'annexion de "ligne rouge" susceptible de compromettre les accords d'Abraham.
Le mensonge des accords d'Oslo
Il y a trente ans, les accords d'Oslo ont promis aux Palestiniens un État en échange de la reconnaissance d'Israël et de l'abandon de la lutte armée. Qu'avons-nous obtenu ? L'Autorité palestinienne est devenue exactement ce que voulait Israël : un sous-traitant de l'occupation qui coordonne ses actions avec les forces israéliennes, tout en fournissant des services municipaux en maintenant l'illusion d'une autonomie.
Les accords d'Oslo ont divisé la Palestine en trois zones et ont accordé une souveraineté limitée à l'Autorité palestinienne, mais le pouvoir ultime est resté entre les mains d'Israël. La Cisjordanie reste sous occupation militaire. Les Palestiniens sont toujours confrontés aux détentions illimitées sans inculpation, aux démolitions de maisons, aux confiscations de terres et à la violence des colons. Pour se rendre en voiture d'une ville palestinienne à une autre, il faut passer par des checkpoints où des soldats en herbe décident de notre sort.
Loin de stopper la croissance des colonies, les accords d'Oslo ont permis à Israël d'étendre considérablement son expansion coloniale, tandis que le monde regardait ailleurs. Le "processus de paix" a servi de couverture à la plus grande expansion coloniale de l'histoire. Chaque colonie construite depuis la signature des accords d'Oslo constitue une violation de ces derniers.
Ma famille a été contrainte de fuir pendant la deuxième intifada. Mon père a vu les soldats israéliens voler les terres de son père et les transformer en poste de contrôle militaire. Ma mère a été prise pour cible par des colons alors qu'elle allait travailler. Nous n'avons pas choisi de quitter la Palestine, nous avons fui pour survivre. Voilà ce qu'ont offert les accords d'Oslo : toujours plus de spoliations, de violence, d'expansion des colonies.
Gaza, un laboratoire
Ce qu'Israël réalise aujourd'hui à Gaza présage de ses intentions pour l'ensemble de la Palestine. Gaza n'est pas un État en guerre avec Israël : c'est le plus grand camp de réfugiés au monde. En 1948, près de 250 000 Palestiniens expulsés pendant la Nakba ont afflué à Gaza, triplant sa population du jour au lendemain et transformant la ville en un gigantesque camp de réfugiés.
Depuis la Nakba, Israël a mené au moins quinze guerres contre Gaza. En 1956, les soldats israéliens ont rassemblé tous les hommes adultes de Khan Younis et les ont abattus dans les rues, tuant au moins 520 personnes. À Rafah, ils ont rassemblé les hommes et en ont tué des centaines de sang-froid. La Croix-Rouge a qualifié ces événements de "scènes de terreur". Les responsables de l'ONU ont averti que les atrocités commises par Israël tenaient du génocide.
Ce génocide est le résultat de décennies de violence systématique. Israël a tué plus de 60 000 Palestiniens à Gaza, rasé des quartiers entiers, détruit hôpitaux et écoles, et déplacé plus de deux millions de personnes. Les Palestiniens ont reçu l'ordre d'évacuer quelque 84 % de la bande de Gaza et se sont massés dans une zone de plus en plus réduite, où il est impossible de survivre.
Telle est la vision d'Israël pour les Palestiniens : rester prisonniers de zones de plus en plus réduites, tandis que les colonies s'étendent autour d'eux ; dépendre d'Israël pour satisfaire leurs besoins fondamentaux ; vivre sous la menace constante de la violence. Gaza illustre ce que signifie le "contrôle absolu sur la sécurité" quand Israël exerce un pouvoir absolu sur la population palestinienne.
Le droit international est mort s'il n'est pas appliqué.
La communauté internationale a adopté des lois après la Seconde Guerre mondiale précisément pour éviter ce qu'Israël fait subir aux Palestiniens. Les Conventions de Genève, le Statut de Rome, la Cour internationale de justice - tous ces textes ont été élaborés pour garantir qu'une occupation militaire ne se transforme pas en colonisation permanente, que les civils soient protégés pendant les conflits et que les crimes de guerre soient jugés.
Ces lois n'ont aucun sens si elles ne sont pas appliquées. Israël viole quotidiennement le droit international sans en subir aucune conséquence. Les pays publient des déclarations tout en continuant à commercer avec les colonies. Ils fournissent une couverture diplomatique alors qu'Israël commet des crimes de guerre. Ils financent l'armée israélienne alors qu'elle commet un génocide.
Les organisations de défense des droits humains ont démontré que le traitement réservé par Israël aux Palestiniens constitue un apartheid, un crime contre l'humanité. La discrimination systématique, l'expropriation des terres, les déplacements forcés et le déni des droits fondamentaux constituent autant d'actes d'apartheid au regard du droit international. Pourtant, le monde continue de traiter Israël comme un État démocratique lambda plutôt que comme un régime d'apartheid.
Pourquoi nous restons
Les gens se demandent souvent pourquoi les Palestiniens ne partent pas. Pourquoi ne partons-nous pas simplement dans un autre pays arabe pour tout recommencer à zéro ? Cette simple question témoigne d'une incompréhension fondamentale de ce que cette terre représente pour nous.
Je suis né à Naplouse, mais j'ai grandi dans la diaspora. Même à des milliers de kilomètres de là, je n'ai jamais cessé de me sentir lié à la terre palestinienne. J'y suis régulièrement retourné ces vingt dernières années, assistant à l'empiétement progressif des colons sur les terres palestiniennes, tandis que les soldats israéliens protègent leurs exactions.
J'ai également été témoin de la résistance et du défi. J'ai vu des Palestiniens installer des réservoirs d'eau pour survivre aux coupures d'eau israéliennes. Reconstruire leurs maisons la nuit après les démolitions. Se précipiter pour aider les communautés touchées par des raids de colons. Cultiver de la nourriture dans un sol dévasté. Enseigner leur histoire aux enfants dans des écoles bombardées.
C'est ce qu'on appelle le sumud, la détermination palestinienne. Plus Israël rend la vie impossible aux Palestiniens, plus ceux-ci trouvent des moyens de s'en sortir. Nous restons parce que c'est notre terre. Les oliviers de nos oliveraies sont plus vieux que la plupart des nations. Quand les colons israéliens brûlent nos arbres, ils ne s'attaquent pas seulement à nos moyens de subsistance, mais aussi à notre identité.
De 1967 à 2013, Israël a déraciné environ 800 000 oliviers palestiniens. Chaque arbre détruit raconte l'histoire d'une famille et symbolise le lien ancestral qui nous unit à notre terre. Partir signifierait permettre l'effacement de notre histoire, de notre culture et de notre âme collective.
Le moment de vérité
Le plan d'annexion de Smotrich n'est pas nouveau, c'est l'aboutissement logique de 77 ans de spoliation systématique, qui a pris naissance avec la Nakba. La communauté internationale est désormais confrontée à un choix qui déterminera si le droit international a encore un sens.
La Knesset a déjà approuvé une motion symbolique en faveur de l'annexion, les législateurs ayant voté à 71 voix contre 13. Bien que non contraignante, cette motion inscrit l'annexion à l'ordre du jour des débats à venir. L'Autorité palestinienne l'a qualifiée
d'"atteinte directe aux droits du peuple palestinien" qui "compromet les perspectives de paix, de stabilité et de solution à deux États".
Mais la solution à deux États est déjà une fiction. Elle n'a jamais été qu'une fiction conçue pour gérer plutôt que résoudre la question palestinienne. Il ne reste plus qu'à choisir entre équité et apartheid, entre justice et effacement.
Même les alliés d'Israël en comprennent les enjeux. Les Émirats arabes unis ont qualifié l'annexion de "ligne rouge". Les pays européens reconnaissent l'État palestinien. Mais une reconnaissance sans actions concrètes n'a aucun sens. La question est de savoir si le monde va enfin faire respecter ses propres lois ou assister à leur effondrement face à l'impunité israélienne.
Pour nous Palestiniens, le choix est simple. Nous ne partirons pas. Nous ne disparaîtrons pas. Nous sommes la terre et la terre fait partie de nous. Les réfugiés massacrés aujourd'hui à Gaza ont été fabriqués par Israël il y a 77 ans. Nous avons survécu à la Nakba, à des décennies d'occupation, à des guerres à répétition, au blocus et, maintenant, au génocide. Nous y survivrons aussi.
Le dernier chapitre de la Nakba se joue sous nos yeux. Mais la détermination palestinienne est éternelle. Israël peut annexer nos terres, mais ne peut s'emparer de nos âmes. Il peut détruire nos maisons, mais ne peut détruire notre résistance. Il peut tuer nos corps, mais pas notre cause.
Les oliviers survivront aux colonies construites sur leurs racines. Les pierres de Jérusalem se souviennent de chaque enfant palestinien jouant dans ses rues. Et le monde se souviendra de ceux qui se sont rangés du côté de la justice au moment où l'enjeu est crucial.
Traduit par Spirit of Free Speech