15/09/2025 reseauinternational.net  4min #290538

L'autonomie stratégique de l'Ue reportée, une fois de plus

par Business Recorder

L'UE a peut-être évité une guerre commerciale préjudiciable avec les États-Unis, mais ce faisant, elle a une fois de plus mis en évidence les limites de sa propre autonomie stratégique.

L'accord conclu à la hâte avec le président Donald Trump - un droit de douane de 15% sur toutes les exportations de l'UE en échange d'engagements ambitieux en matière d'énergie et d'investissement - a été présenté comme un succès diplomatique à Bruxelles. Pourtant, dans une perspective plus large, il s'agit plutôt d'une capitulation réticente déguisée en discours sur la stabilité.

Au fond, cet accord reflète un instinct européen bien connu : contenir les retombées immédiates et reporter les réformes structurelles. Face à la perspective de droits de douane généralisés de 30% à compter du 1er août, la Commission européenne a rapidement conclu un «accord-cadre» qui limite les dégâts sans toutefois les éliminer.

Sur le papier, des secteurs clés tels que l'automobile et l'industrie pharmaceutique ont été épargnés par les mesures les plus sévères. Dans la pratique, cependant, les exportateurs européens seront toujours confrontés à un régime tarifaire nettement plus punitif que celui qui était en vigueur avant le retour de Donald Trump au pouvoir.

Les engagements qui accompagnent cet accord - 750 milliards de dollars d'importations énergétiques et 600 milliards de dollars d'investissements supplémentaires de la part des entreprises de l'UE - soulèvent d'autres questions. Ces chiffres sont stupéfiants, surtout au vu des contraintes budgétaires auxquelles sont confrontés de nombreux États membres. Plus important encore, ces engagements semblent pour l'instant plus politiques qu'opérationnels. Quels mécanismes permettront de les faire respecter ? Quels secteurs seront concernés ? Et de quels leviers l'Europe disposera-t-elle, le cas échéant, dans les négociations futures ?

Les critiques au sein du bloc ont été immédiates et virulentes. La France a qualifié l'accord de «jour noir», la Hongrie l'a présenté comme une humiliation, et même les groupes industriels allemands - sans doute les plus fervents partisans de l'accord - ont remis en question le coût à long terme de l'acceptation de nouveaux droits de douane. Cette divergence met en évidence un défi plus profond : la fragmentation économique interne de l'UE continue d'entraver sa capacité à présenter un front cohérent lorsque cela compte le plus.

Ce qui est remarquable ici, ce n'est pas tant le résultat que la tendance. Ce n'est pas la première fois que Bruxelles choisit d'absorber la pression de Washington plutôt que de s'y opposer. La logique sous-jacente - donner la priorité aux relations transatlantiques pour protéger le tissu économique européen - est restée intacte pendant des décennies. Mais les hypothèses qui sous-tendaient cette logique s'érodent rapidement.

La vision du monde de Trump, centrée sur l'influence bilatérale et les résultats à somme nulle, va à l'encontre des instincts multilatéraux de l'UE. Cette tension n'est pas nouvelle, mais elle est aujourd'hui exacerbée par un environnement mondial où les chaînes d'approvisionnement sont plus politisées, les flux énergétiques plus transactionnels et la concurrence technologique plus stratégique. Dans ce contexte, la position de l'UE semble de plus en plus réactive.

En effet, une grande partie de la réaction de Bruxelles a présenté l'accord en termes binaires : soit ce compromis, soit une guerre commerciale totale. Cette formulation suggère en soi un manque de pouvoir de négociation. Le bloc reste puissant sur le plan économique, mais il manque encore des instruments - tant institutionnels que politiques - pour traduire la taille du marché en pouvoir de négociation.

Le concept d'autonomie stratégique est au cœur du discours européen depuis au moins 2016. Pourtant, chaque fois que le besoin se fait sentir de le démontrer, le résultat est un réajustement plutôt qu'une redéfinition. Cet accord souligne que l'UE manque encore de confiance pour négocier avec les États-Unis sur un pied d'égalité lorsque les enjeux sont les plus importants.

L'accord a peut-être protégé des millions d'emplois européens à court terme, mais il a également signalé à Washington, et au monde entier, que Bruxelles reste réticente à payer le prix de l'indépendance. Si l'objectif est de construire une Europe résiliente et autonome, cette réticence devra changer. Tôt ou tard, éviter l'escalade ne sera plus une option.

source :  Business Recorder

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