par Azzedine Kaamil Aït-Ameur
Avant-propos
Après 23 mois de guerre, de siège et de famine imposés à Gaza, Abdel Fattah al-Sissi ose encore jouer les indignés sur la scène internationale. À Doha, le 15 septembre 2025, il a appelé à «former une coalition pour riposter à Israël». Mais pendant qu'il tonne depuis les tribunes, Rafah reste fermé, les convois humanitaires pourrissent dans le désert du Sinaï, et les volontaires solidaires sont réprimés. Ce texte répond à cette hypocrisie flagrante : derrière le verbe diplomatique, l'acte concret d'un Tartuffe qui ferme la porte quand l'honneur commanderait de l'ouvrir.
Abdel Fattah signifie «serviteur de Celui qui ouvre». Ironie du sort : lui ne sait que fermer. Fermeture de Rafah. Fermeture aux caravanes. Fermeture à la solidarité. Tout est dit avant même de commencer.
Al-Sissi appartient à cette catégorie funeste : l'homme qui condamne bruyamment depuis les tribunes internationales pendant que, sur le terrain, ses décisions étriquées condamnent des peuples à l'asphyxie. Tartuffe moderne, il drape ses postures dans les habits de la vertu diplomatique, mais ses actes trahissent la duplicité la plus sordide.
Rafah, la frontière de l'hypocrisie
Depuis des mois, la frontière de Rafah est le symbole de ce mensonge d'État.
- Côté gazaoui : Tsahal a pris le contrôle du point de passage en mai 2024, verrouillant l'entrée des convois d'aide.
- Côté égyptien : l'armée aligne ses blindés et maintient la barrière close.
- Entre les deux : des dizaines de milliers de tonnes de vivres, de médicaments et de carburant s'accumulent dans les entrepôts du Sinaï.
Officiellement, Le Caire invoque «la sécurité» et le «risque de déplacement forcé». En réalité, il bloque, temporise, manœuvre. Résultat : une frontière hermétique, une souffrance prolongée, une responsabilité partagée.
Réprimer les vivants, ignorer les mourants
Et quand la société civile internationale tente de briser ce siège par la solidarité, que se passe-t-il ?
En juin 2025, la «Global March to Gaza» rassemble des centaines de volontaires venus d'Afrique, d'Europe, du monde arabe. Leur destination : Rafah. Leur ambition : passer coûte que coûte, ou du moins alerter les consciences.
Résultat : arrestations par centaines, expulsions sommaires, militants frappés, passeports confisqués. Amnesty International documente les faits, AP et Reuters publient des dépêches concordantes : Le Caire n'a pas seulement fermé Rafah, il a réprimé ceux qui voulaient l'ouvrir.
Réprimer les vivants plutôt que de secourir les mourants : voilà le choix hypocrite d'Al-Sissi.
Le marché noir du désespoir
Mais le Tartuffe du Caire ne s'arrête pas là. Il laisse prospérer - et certains disent qu'il protège - un véritable marché noir de la survie.
La société Hala Consulting, filiale du groupe Organi, dirigée par Ibrahim al-Organi, proche du régime et promu à des fonctions officielles, vend depuis des années un «service VIP» de passage à Rafah.
- Avant la guerre : 200 dollars suffisaient pour accélérer les formalités.
- Depuis le 7 octobre 2023 : la grille tarifaire s'est envolée. Jusqu'à 5000 dollars par personne selon le Financial Times, AP ou Amnesty.
La corruption a pris la forme d'une billetterie humanitaire. On n'élève pas la voix pour sauver des vies, on élève les tarifs pour les rançonner.
L'indigné de théâtre, le geôlier de fait
Fanfaron et hypocrite, Tartarin et Tartuffe à la fois, Al-Sissi joue sur tous les tableaux.
- À Doha, il s'emporte contre «les lignes rouges franchies» par le terrorisme israélien.
- À la télévision, il invoque le droit international et l'honneur arabe.
Mais derrière ce rideau rhétorique, rien ne bouge : ni la frontière, ni les convois, ni la dignité de son régime. Ses mots sont ceux de la résistance, ses actes ceux de la collaboration silencieuse.
Les conséquences humaines
Rafah fermé : des hôpitaux sans anesthésiques. Rafah verrouillé : des boulangeries sans farine. Rafah transformé en guichet privé : des milliers de dollars extorqués à des réfugiés déjà ruinés. Rafah cadenassé : des volontaires frappés, dispersés.
Et pendant ce temps, Le Caire continue de se poser en médiateur indispensable - comme si la neutralité diplomatique pouvait effacer la complicité matérielle.
Responsabilités hiérarchisées
Qu'on ne s'y trompe pas : dénoncer Al-Sissi n'exonère pas l'entité israélienne ni ses complices États-uniens. L'occupant porte la responsabilité première - et celle-ci est désormais gravée dans le droit : depuis le 21 novembre 2024, la Cour pénale internationale a émis un mandat d'arrêt contre Benjamin Netanyahou pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité, y compris l'utilisation de la famine comme méthode de guerre.
Ironie de l'histoire : le boucher de Gaza n'a jamais autant voyagé, et nul n'a songé à l'arrêter.
Mais l'hypocrisie d'un voisin prolonge l'agonie d'un peuple. Elle nourrit le siège au lieu de le briser. Elle ferme la porte quand l'honneur commande de l'ouvrir.
Appel à la lucidité
Il se nomme Abdel Fattah, «serviteur de Celui qui ouvre». Jamais prénom ne fut plus mal porté : lui a choisi la fermeture.
À ceux qui croiraient encore ses postures indignées, rappelons les mots de Thomas Sankara :
«L'ennemi est derrière toi, le poignard à la main prêt à frapper».
Al-Sissi n'est ni l'allié de la cause palestinienne, ni l'intercesseur déclaré : il est l'ennemi tapi, celui qui se nourrit de la tragédie en jouant au protecteur.
Nommer pour briser le sortilège
Il est temps que les peuples, les associations, les opinions publiques appellent les choses par leur nom. Al-Sissi n'est pas le gardien d'une frontière. Il est le Tartuffe du Caire :
- Celui qui cache ses intérêts derrière des sermons.
- Celui qui transforme la tragédie en rente.
- Celui qui prêche la morale tout en encaissant les dividendes de l'immoralité.
Le dire, c'est déjà rompre le sortilège. Le répéter, c'est préparer le jour où les frontières s'ouvriront - non pas contre de l'argent, mais au nom de la justice.
Le droit international n'interdit pas à l'Égypte d'ouvrir Rafah. Au contraire, il l'y autorise - et peut-être même l'y oblige. Laisser pourrir des tonnes d'aide dans le désert du Sinaï n'est pas une neutralité : c'est une complicité avec l'arme silencieuse de la faim.
Fermer Rafah, c'est fermer les yeux sur l'humanité.
1. Au peuple égyptien
Souvenez-vous : lorsque Nasser portait votre voix, vous étiez à peine trente-cinq millions, et pourtant l'Égypte faisait trembler les chancelleries. Elle inspirait les peuples, elle incarnait la dignité arabe, elle montrait qu'une nation pouvait relever la tête.
Aujourd'hui, vous êtes plus de cent dix millions. Plus de cent dix millions d'âmes, plus de cent dix millions de consciences. Qu'a donc l'Égypte d'aujourd'hui de moins que celle d'hier, sinon la volonté d'unir sa force à celle de ses voisins ?
Ce qu'a pu réaliser Nasser avec trente-cinq millions, que ne pourriez-vous accomplir, vous, peuple sans Nasser, avec cent dix millions ?
- Appel au courage civique : «Ouvrir Rafah, ce n'est pas trahir l'Égypte, c'est lui rendre son honneur».
- Exhortation : qu'ils refusent que leur pays soit complice de la famine, qu'ils fassent entendre leur voix par tous les moyens possibles - syndicats, associations, étudiants, intellectuels, diaspora.
2. Aux tenants du droit international
- Rappel juridique : l'article 59 de la IVe Convention de Genève prévoit que si la puissance occupante empêche l'acheminement de secours, les États voisins ont le droit (et certains juristes disent, le devoir) de faciliter ce passage.
- Exhortation : demander que des procédures soient lancées non seulement contre Netanyahou, mais aussi contre les responsables complices par inaction (y compris Al-****Sissi).
- Message fort : «La neutralité qui ferme une frontière n'est pas du droit : c'est la négation du droit».
3. À l'opinion publique internationale et arabe
L'avertissement reçu par le Qatar n'est pas un incident isolé : c'est un avertissement. Il dit aux monarchies dociles que l'indifférence et la division se payent au prix fort. Si vous continuez à jouer les spectateurs, chacun recevra, à son tour, le même coup - la crise d'un autre, la chape de l'isolement, la facture d'une neutralité complice. Rappelons la phrase de Moshé Dayan : «chien fou» - image brutale, mais utile : il faut s'unir pour ne pas laisser un seul acteur devenir le chaos qui vous annexera à ses intérêts.
On peut le renvoyer à la niche. Ce n'est pas une promesse de guerre, c'est une promesse de politique : isolement diplomatique, pression économique, coordination juridique, soutien aux initiatives de secours indépendantes, dévoilement public des circuits de corruption et des profiteurs - ce sont des armes de civilisation plus efficaces que toutes les complaisances. Certains États ont déjà montré qu'il est possible de tenir tête ; qu'ils servent d'exemple et d'encouragement.
Unissez-vous : refusez d'être la monnaie d'échange des puissances qui dévastent vos voisins. Refusez d'être complices par silence. La solidarité organisée, multiforme et implacable, peut renvoyer le «chien fou» à sa niche sans renoncer à l'honneur des peuples.
4. Au-delà de l'appel
- Au peuple égyptien : «Ne permettez pas qu'un Tartuffe vole votre honneur. Rafah n'est pas seulement une frontière, c'est un miroir de votre dignité».
- Aux juristes et diplomates : «Osez dire le droit, même contre un État complice. Le droit ne vaut que s'il brise les murailles de la famine».
- Aux peuples du monde : «Refusez le théâtre des hypocrites. Répétez-le jusqu'à ce que la porte s'ouvre : Rafah fermé, humanité fermée. Rafah ouvert, humanité debout».
Rafah fermé, humanité fermée. Rafah ouvert, humanité debout. Demeurez du bon côté de l'histoire.