Par Juan Cole, le 28 septembre 2025
Ann Arbor - Vendredi, les pays de l'E3 (France, Grande-Bretagne et Allemagne) ont réussi à faire adopter par le Conseil de sécurité des Nations unies une résolution visant à réimposer les sanctions économiques contre l'Iran, en vigueur de 2007 à 2015, mais levées en raison de l'accord nucléaire iranien de 2015. Cet accord est désormais bel et bien caduc.
Cette décision a entraîné une nouvelle baisse du rial, la monnaie iranienne déjà affaiblie, sur le marché noir, qui s'échange désormais à 1,12 million pour un dollar. Le problème avec ces sanctions américaines et onusiennes, c'est qu'on ne sait pas vraiment ce qu'elles sont censées apporter. S'agit-il simplement d'une tentative pour maintenir l'Iran dans un état de faiblesse permanente, ce que j'appelle "l'impérialisme négatif" ? Espère-t-on ainsi faire souffrir les Iraniens au point qu'ils se soulèvent et renversent les ayatollahs ? Mais si l'on prive les classes moyennes de ressources, comment vont-elles y parvenir ? Ces sanctions visent-elles à faire renoncer l'Iran à son programme d'enrichissement ? Le premier de ces objectifs est absurde, et les deux autres sont loin d'être réalistes.
Ces nouvelles sanctions vont sans aucun doute contraindre davantage l'économie iranienne, mais malgré l'aval du Conseil de sécurité des Nations unies, elles seront largement ignorées. La Chine représente environ un tiers du commerce iranien, et cette situation devrait perdurer. Jusqu'à présent, la Chine a trouvé des moyens de contourner les sanctions américaines contre l'Iran, en acceptant des livraisons sauvages de pétrole à Qingdao, au sud de Shanghai, achetées par des raffineries chinoises ou des "bateaux-théières" pour la consommation chinoise, évitant ainsi le recours au dollar ou aux réseaux bancaires internationaux. Malgré cela, les États-Unis ont trouvé le moyen d' imposer des sanctions du département du Trésor même à certaines de ces entreprises, contraignant l'Iran à réduire le prix de son pétrole de 6 dollars le baril pour dédommager les acheteurs. L'Iran envoie secrètement ses pétroliers en Malaisie, où ils sont rebaptisés "malaisiens" et déclarés comme tels par la Chine.
Ces échanges devrait se poursuivre, même si les perspectives s'assombrissent pour l'Iran avec l'essor de l'industrie chinoise des véhicules électriques, qui commence à réduire les importations chinoises de pétrole et pourrait les restreindre considérablement au cours de la prochaine décennie. Néanmoins, même le commerce bilatéral non pétrolier entre l'Iran et la Chine s'est élevé à 34 milliards de dollars l'année dernière.
Le commerce annuel bilatéral de l'Iran avec l'Europe, qui sera durement touché, était inférieur à 5 milliards de dollars et a chuté de près d'un cinquième comparé à 2023.
La Turquie est un autre partenaire commercial majeur de l'Iran (représentant 9 % des échanges), et le gouvernement turc devrait également s'opposer au rétablissement des sanctions du Conseil de sécurité des Nations unies. L'Irak n'a d'autre choix que de commercer de manière substantielle avec l'Iran, allant même jusqu'à acheter de l'électricité à Téhéran. Pour la Turquie et l'Irak, une grande partie du commerce avec l'Iran se fait via le marché noir. Cette façon de procéder impose des coûts à l'Iran, mais c'est toujours mieux que rien.
L'Inde et le Brésil sont également des marchés importants pour les produits iraniens non pétroliers et continueront de l'être. L'Iran réalise environ 2 milliards de dollars par an dans le commerce non pétrolier avec l'Inde, New Delhi ayant renoncé à acheter du pétrole iranien sous la menace de Washington. Cependant, maintenant que Trump a imposé de lourdes sanctions à l'Inde pour avoir importé du pétrole russe, l'Inde pourrait décider qu'elle n'a rien à perdre à renouveler ses achats iraniens à court terme.
L'Iran réalise de nombreuses transactions commerciales avec le Brésil par l'intermédiaire de tiers, exportant des produits pétrochimiques, des engrais et même des pistaches. J'ai pris connaissance d'une estimation évaluant le commerce bilatéral à 8 milliards de dollars par an, ce qui me semble élevé. Le total se chiffre en tout cas en milliards. Avec les droits de douane de 50 % imposés par Trump au Brésil, Lula pourrait bien remplacer certaines importations en provenance des États-Unis par des importations iraniennes, comme une sorte de justice poétique.
L'Iran n'a conclu l'accord nucléaire de 2015, mettant en veilleuse 80 % de son programme d'enrichissement civil, que dans l'espoir d'obtenir un allègement des sanctions. Or, cet allègement ne s'est jamais produit, car le Parti républicain américain n'a pas voulu légiférer pour mettre fin aux sanctions américaines, notamment celles imposées à des tiers. Ainsi, même si la France, la Grande-Bretagne et l'Allemagne ont probablement signé cet accord en toute sincérité, leurs entreprises ont été privées de toute activité commerciale en Iran par le département du Trésor américain. L'Iran a néanmoins respecté fidèlement les termes de l'accord, comme l'a certifié l'Agence internationale de l'énergie atomique. Puis, en mai 2018, Trump a déchiré le Plan d'action conjoint et imposé les sanctions les plus sévères jamais appliquées par un pays à un autre en temps de paix. L'Iran a continué à respecter le JCPOA pendant un an, mais a ensuite décidé qu'il était de facto exonéré de ses obligations, puisqu'il n'a bénéficié d'aucun allègement des sanctions. Pas de contrepartie, pas de compensation.
Les E3 font preuve d'une hypocrisie totale. Renault, TotalEnergies, BMW, etc. n'ont jamais investi en Iran comme ils l'avaient promis. L'Iran s'est fait avoir, renonçant à la plupart de ses activités d'enrichissement (censées le protéger des attaques) sans rien obtenir en retour.
Aujourd'hui, l'Iran est l'un des pays les plus sanctionnés au monde et son programme d'enrichissement nucléaire civil a été bombardé par Israël et les États-Unis. Alors qu'Israël, qui dispose d'un arsenal de plusieurs centaines d'ogives nucléaires et en menace régulièrement ses voisins, n'a jamais été sanctionné pour son enrichissement nucléaire, mais a au contraire bénéficié de toutes sortes d'aides et d'un accès au marché de la part des États-Unis et de l'Europe.
Traduit par Spirit of Free Speech
Juan Cole est le fondateur et rédacteur en chef d'Informed Comment. Il est professeur d'histoire Richard P. Mitchell à l'université du Michigan. Il est l'auteur, entre autres, de Muhammad: Prophet of Peace amid the Clash of Empires et The Rubaiyat of Omar Khayyam. Suivez-le sur Twitter à l'adresse @jricole ou sur la page Facebook d'Informed Comment.