Par Guy Mettan
Par Guy Mettan
En Moldavie comme en Roumanie et en Bulgarie, les élections se suivent et se ressemblent. L'an dernier, la présidente moldave pro-européenne Maia Sandu avait d'extrême justesse été réélue et gagné un referendum sur l'Europe en manipulant notamment les votes de la diaspora moldave et grâce à un appui financier massif de Bruxelles (une semaine avant l'élection Ursula von der Leyen était venue en personne promettre un milliard d'euros si les Moldaves votaient juste...) Cette année, les mêmes causes ont produit les mêmes résultats : le parti présidentiel aurait miraculeusement obtenu 50,2% des voix et remporté la majorité absolue au parlement avec 55 sièges sur 101 en dépit des sondages qui le donnaient perdant avant les élections.
A croire qu'il existe une malédiction - ou en tout cas une incapacité - démocratique dans les pays de la bordure orientale de l'Europe.
Il faut d'abord balayer les reproches d'ingérence russe. Non pas que cette ingérence ait été inexistante, mais parce qu'elle a été insignifiante comparée à l'intrusion massive de la Commission et des pays européens dans le processus électoral. Les partis politiques moldaves sont si vénaux que l'on peut toujours en trouver un ou deux qui touchent de l'argent de Moscou et qu'on peut monter ces affaires en épingle pour mieux cacher les dizaines de millions d'euros et les centaines d'experts étrangers qui, sous le couvert d'ONG démocratiques et désintéressées, s'activent en coulisse pour discréditer une opposition aussitôt vilipendée comme « pro-russe » et tordre les votes en faveur du camp européen.
La presse européenne mainstream, qui a bombardé les opinions publiques du continent de reportages dénonçant l'ingérence de Moscou avant les élections du 28 septembre, s'est aussitôt félicitée de la victoire du camp européen en multipliant les reportages sur la mine déconfite et « penaude » de l'opposition. Sans jamais mentionner les innombrables distorsions et manipulations qui ont entaché le scrutin et faussé les résultats. Ingérences si massives qu'elles ont alarmé même les observateurs de l'OSCE, pourtant triés sur le volet. (Cf. OSCE Election Observation Mission Republic of Moldova, Interim Report, 13 August - 10 September 2025).
Voyez plutôt : sur 66 partis politiques au départ, la moitié a été éliminée, les autres ayant ensuite été écartés peu à peu. Huit partis ont été interdits juste avant le scrutin sous l'accusation infondée et non-prouvée d'être « pro-russe » tandis que deux furent retirés de la liste électorale le matin même de l'élection ; à la fin, seuls 23 partis ou candidats ont pu concourir.
Toutes les chaînes de télévision de l'opposition ont été fermées ; 260 chaînes Telegram ont été bloquées ; six dirigeants de l'opposition ont été arrêtés ou emprisonnés, à l'instar de la dirigeante de la Gagaouzie Evghenia Gutsul, condamnée en août à sept ans de prison sous le prétexte de financement illégal du parti ; mille perquisitions ont été effectuées chez des personnalités opposées à la présidente ; plus de mille étrangers et 27 citoyens moldaves se sont vus interdire l'entrée en Moldavie sans explication avant l'élection ; 13 000 bulletins de vote ont été imprimés pour la région de Transnistrie et dix bureaux de vote y ont été ouverts alors que la province compte 200 000 électeurs ; sachant que la diaspora moldave compte des centaines de milliers de membres en Russie, seuls 4109 électeur ont pu voter. Seuls deux bureaux de vote y ont été ouverts contre 75 en Italie et 26 en France (2 en Suisse), pays qui ne comptent pourtant que quelques milliers d'électeurs seulement. (Cf. Florent Parmentier, La Moldavie face à son destin, Briefings de l'IFRI, 22 septembre 2025)
Dans n'importe quel pays démocratique qui se respecte, une seule de ces mesures aurait fait scandale. Mais en Moldavie, rien. En Europe, silence radio. Les reporters comme les dirigeants européens « démocrates » n'y trouvent rien à redire...
De fait, l'OSCE a constaté que toutes les institutions censées garantir un vote démocratique et impartial, la Commission électorale centrale, la police nationale, le service d'information et de sécurité, le Centre national anticorruption, les procureurs, les carabiniers, les spécialistes de la prévention des cyberattaques, de la lutte contre le blanchiment d'argent, de nombreuses autres institutions et ONG ont été placées sous le contrôle du pouvoir.
La législation électorale a été amendée en début d'année, notamment en interdisant l'enregistrement des partis politiques considérés comme successeurs de partis inconstitutionnels. Elle a imposé de nouveaux motifs et procédures pour limiter temporairement l'activité des partis politiques avant leur dissolution sans aucun avertissement préalable, sur la base de la décision de la Cour d'appel de Chisinau (CapC).
Pas moins de treize lois ont été modifiées. Mais on a ignoré les recommandations de l'OSCE sur le cadre juridique des élections, y compris celles sur les mesures visant à améliorer l'exactitude des listes électorales, la transparence sur l'utilisation abusive des ressources administratives, l'extension de la réglementation du financement des campagnes à des tiers et en ligne, la résolution des litiges relatifs à l'enregistrement des candidats avant le début de la campagne, la transparence de la propriété de la presse écrite, ainsi que les règles de contestation des résultats électoraux.
Enfin, pour être sûr que le résultat final de l'élection ne contredise pas les sondages pré-électoraux qui donnaient le parti présidentiel perdant, on a interdit les sondages à la sortie des urnes.
Confirmant ces tripotages, Pavel Durov, le patron de Telegram récemment emprisonné en France, a publié un commentaire qui a fait le tour des réseaux sociaux. Le jour de l'élection, il a révélé comment les services français lui avaient offert d'influencer les juges en sa faveur s'il acceptait de censurer des chaines Telegram exprimant « des positions politiques déplaisant aux gouvernements français et moldave. »
Voilà le genre de procédés déloyaux que les Européens endossent avec les applaudissements des éditorialistes et des reporters européens sur le terrain. Comment reprocher ensuite à Viktor Orban, Robert Fico ou Vladimir Poutine d'être à la tête de régimes « illibéraux » ?
Après le scandale de l'annulation du premier tour du scrutin présidentiel roumain en décembre 2024 et l'éviction des candidats dérangeants, la Moldavie vient confirmer l'état d'extrême déliquescence des systèmes démocratiques dans la ceinture orientale de l'Europe. Contrairement à leurs voisins polonais, hongrois et slovaques, qui font preuve d'une vitalité politique très forte tout en portant démocratiquement au pouvoir des partis souverainistes très articulés, la Bulgarie, la Roumanie, la Moldavie et l'Ukraine bien entendu s'avèrent incapables de développer une classe dirigeante véritablement démocratique, structurée et capable d'admettre l'alternance.
Un auteur roumain anonyme a fort bien décrit le dysfonctionnement profond qui affecte ces pays en décortiquant le cas roumain, qui peut s'appliquer à tous les autres. Ses explications méritent qu'on s'y arrête. La Roumanie, dit-il, est un État formellement démocratique, mais avec une démocratie contrôlée.
1.- Il y a des élections, mais les choix réels sont limités à des partis qui servent les mêmes intérêts fondamentaux : la préservation d'un système oligarchique, lié à des structures externes (UE, OTAN, multinationales).
Il n'y a pas d'opposition authentique au système, seulement un théâtre politique tournant entre des partis qui simulent le conflit mais agissent de manière convergente lorsque des intérêts économiques ou géopolitiques sont en jeu.
2.- Le système politique est prisonnier d'un hybride : servilité externe + corruption interne. La Roumanie ne prend aucune décision majeure en matière de politique étrangère ou économique sans s'aligner sur les directives occidentales (Bruxelles, Washington, FMI).
Au niveau interne, les institutions sont utilisées pour préserver les intérêts d'une élite post-communiste reconvertie au capitalisme d'État, avec le soutien de la justice, des services secrets et des médias obéissants.
3.- La classe politique est profondément compromise et déconnectée des besoins réels de la population.
L'éducation, la santé, les infrastructures, l'agriculture - tous ces domaines sont gérés de manière superficielle, incompétente ou dans le but évident de détourner des fonds.
Les véritables priorités des politiciens sont l'accès aux budgets, aux fonctions, à l'immunité et la protection des réseaux d'influence.
4.- Les médias traditionnels sont complètement au service des intérêts politiques et économiques. Les grandes chaînes de télévision et les publications « faiseuses d'opinion » sont financées par des partis ou des hommes d'affaires ayant des liens politiques. Les exceptions indépendantes sont rares, isolées et souvent marginalisées.
Le débat public est faussé, les vrais problèmes sont ignorés ou discrédités, et l'agenda est fixé artificiellement.
5.- La Roumanie fonctionne comme une colonie économique et stratégique. Les ressources sont vendues pour une bouchée de pain ou concédées à long terme sans contrôle réel.
Le capital local est marginalisé. L'industrie, l'agriculture, l'éducation dépendent de décisions externes.
L'État roumain est faible, obéissant et incapable de défendre ses intérêts dans les négociations internationales.
6.- Les services de renseignement jouent un rôle informel décisif dans l'administration de l'État.
Il existe un État parallèle, formé de réseaux issus du SRI, du SIE, de la DNA, de l'ANI, de la justice et de la presse, qui influence qui arrive au pouvoir, quels dossiers sont « activés » ou « classés » et quelles lois sont adoptées ou non. Bien que certaines mesures aient visé à lutter contre la corruption, de nombreuses actions ont été de nature politique, contrôlant ou faisant chanter les élites.
7.- La population est cyniquement désinformée, épuisée et divisée. Une grande partie des citoyens ne fait plus confiance à personne, ce qui conduit à l'apathie, à l'absentéisme et à l'acceptation tacite des abus.
Les gens actifs politiquement sont souvent manipulés idéologiquement, avec des thèmes faux (pro/anti-UE, progressisme vs conservatisme, etc.), qui divisent sans toucher au cœur des problèmes.
8.- Rien ne changera radicalement sans un effort collectif de sensibilisation, d'éducation et de rupture avec le système. Mais le système est précisément conçu pour empêcher tout changement profond en contrôlant les institutions, en canalisant le mécontentement et en cooptant les élites émergentes.
On comprend dès lors mieux pourquoi Maia Sandu ne pouvait pas perdre ces élections...
Par Guy Mettan, journaliste indépendant
Image: Domaine public
Arretsurinfo.ch - 3 octobre 2025