par Jorge Majfud
La première chose que Hitler a faite pour séduire les hordes de la superpuissance agenouillée a été de promettre de rendre l'Allemagne forte à nouveau : «l'Allemagne, par-dessus tout». Pour cela, il a persécuté et diabolisé des intellectuels et des journalistes et il est allé jusqu'à fermer des écoles comme la célèbre Bauhaus qu'il définissait comme un nid de dégénérés ennemis de la patrie et de communistes anti-allemands.
En 2020, Donald Trump avait déjà appelé à imposer une «éducation patriotique», ce à quoi nous avons répondu par «la vérité, est-elle une ennemie de la patrie ?» Lors de sa seconde présidence, tout ce qu'il avait préparé pendant la première, a été mis en marche : un Reich américain, sans dissimulation, dans lequel la liberté d'expression et la liberté d'enseignement sont des ornements juridiques, dans lequel la censure et l'auto, censure des professeurs et des journalistes ont atteint des niveaux qui n'appartiennent soi-disant qu'à ces pays, que le discours populaire, appelle dictature pour les envahir ou les bloquer, dans lequel non seulement, on annule des cours, on met dehors des comédiens et des professeurs mais on enlève également dans la rue quelqu'un pourra avoir écrit un article critique et on l'emprisonne dans une prison militaire. Comme sous l'inquisition, on en brûle un de temps en temps (pour ne pas aimer Dieu et l'église) pour que le reste ferme sa gueule et se mette à prier.
En mai 2025, le conseiller principal du gouvernement des États-Unis, Stephen Miller, a fait connaître, du podium de la Maison-Blanche, la nouvelle doctrine du pays : «on enseignera aux jeunes à aimer leur pays». (en anglais, «children/kids» signifie «mineur de moins de 18 ans» et fréquemment «enfants» bien qu'ils aient 25 ans). Comment ? En leur enseignant l'histoire de la patrie. Le vice-président JD Vance a déclaré : «Les professeurs sont les ennemis», lors d'un événement patriotique intitulé «les universités sont l'ennemi».
Cette haine radicale vêtue d'amour a été avoué dans le même discours de Vance quand il a annoncé la persécution de tous «ceux qui promeuvent des idéologies communistes». Il ne lui manque que l'accent allemand. Comme personne ne peut séduire les masses en disant qu'il va promouvoir la haine contre ceux qui pensent différemment et osent bien faire leur travail d'enseignement et comme le fascisme perd toujours dans les universités du monde et dans la culture non commerciale, alors, il faut «lutter pour la liberté» en imposant par la force ce qu'on ne peut pas gagner par la libre concurrence académique.
Pourquoi la recherche de la vérité est-elle une ennemie de la patrie et porte-t-elle atteinte à la liberté ? Quand on aime quelqu'un, fait-on son éloge chaque fois qu'il va s'empoisonner ou commettre un crime ? Le mensonge est-il une obligation de l'amour ? Si la recherche de la vérité et de la justice étaient des ennemis de la patrie, de quel côté serais-tu ? Ou sommes-nous face au «faux dilemme du patriotisme» ?
Comme disait la «Chanson d'une mère patriote à son fils» (1849) qui appelait instamment des milliers de jeunes à aller mourir dans la guerre de pilage du Mexique : «va à la guerre, fils, que notre pays est toujours raison». Cette doctrine du fascisme parasite produit peu à peu des changements du contrôle total des corps et des esprits jusqu'à ce que les esclaves finissent par être les plus fanatiques défenseurs de leur propre esclavage.
On peut analyser l'histoire à partir de multiples points de vue, mais, en tout cas, si on la pratique de façon critique et honnête, celle-ci doit toujours avoir pour objectif la recherche de la vérité des événements oubliés. Dans mon révisionnisme récurrent de l'histoire, je n'ai jamais prétendu que mon interprétation des faits était la seule possible, et, encore moins, la vérité révélée. La vérité est trop grande pour avoir des maîtres humains. L'objectif d'une histoire révisionniste (existe-t-il une investigation historique qui ne soit pas révisionniste ?), c'est de révéler des faits, des idées et des crimes passés sous silence par l'histoire officielle. L'histoire officielle est un exercice de narcissisme collectif qui se fossilise au fil des générations jusqu'à ce que le fossile n'ait plus de la réalité fossilisée qu'une vague ombre. Toute histoire patriotique est de la propagande grossière.
En outre, peut-on aimer un pays ? Je répondrai d'une façon qui ne tombera pas bien parmi les amis et les adversaires : non, ce n'est pas possible. Il s'agit d'un beau substitut de l'amour, d'un reflet fétichiste de l'amour propre.
Personne ne peut imposer l'amour d'une personne et encore moins l'amour d'une chose, d'une montagne, d'une idée abstraite, d'une fiction, pour puissante qu'elle soit - parce que cet amour n'existe pas. Personne n'aime une voiture, les Appalaches, l'Arkansas, les Andes ou l'Antarctique. Il n'existe pas aujourd'hui de pays qui soit le même qu'il y a 200 ans. Le passé est un pays étranger. Les Étasuniens doivent-ils aimer les États-Unis esclavagistes ? Les Belges doivent-ils aimer la Belgique de Léopold II, et les Français, la France qui a réalisé un génocide en Algérie ?
Les maîtres disaient aussi qu'ils aimaient leurs esclaves comme un dirigeant fasciste peut dire qu'il aime son peuple. Le maître esclavagiste n'aime même pas ceux qui l'adulent. Il les hait parce que le Maître et ses esclaves pour ce qu'ils sont de la même façon que les esclaves rebelles haïssent leur Maître pour ceux qu'ils font. Deux formes de haine radicalement différentes bien qu'aucune ne décrive un substitut de l'amour.
Évidemment, il y a des différences sémantiques, politiques, même morales dans cet amour pour une fiction. L'amour pour la patrie a différentes projections contradictoires comme le souhait suprémaciste de rendre esclave ceux qu'il colonise et le souhait de celui qui est colonisé de se libérer de cet empire par tous les moyens. Encore une fois : un idéolexique, deux réalités opposées.
Évidemment, personne ne peut nous dire ce que nous pensons sentir mais cela ne signifie pas que nous savons toujours ce que nous sentons. Les psychopathes ont l'habitude de dire qu'ils aiment et qu'ils ressentent de la compassion. Certains apprennent à pleurer et se convainquent même eux-mêmes que ce sont des pleurs véritables. C'est comme dire qu'une patte de lapin est un porte-bonheur, et que, à cause de cela, elle protège celui qui la porte. C'est une projection fétichiste du sentiment d'insécurité à quelque chose à quoi on attribue des pouvoirs spéciaux.
Nous sommes dans notre droit de refuser totalement ces pouvoirs, et, par conséquent, le fait que les sentiments de sécurité viennent de la patte et non de l'individu qui reflète dans ce fétiche ses propres besoins et ses propres fantasmes.
Le patriotisme est l'un des fétiches les plus faciles à manipuler. C'est un sentiment ou une idée tribale, créée et encouragée par différentes institutions, à partir de l'État, de l'éducation, des médias et de la culture, c'est pourquoi il est beaucoup plus fort que les principes de vérité, de justice et de liberté.
Maître, qu'on aime un pays parce qu'on s'identifie lui, c'est dire qu'on aime aussi ses assassins, ses KKK, ses Hitler, ses Pinochet et ses Epstein... eux aussi étaient patriotes, à leur manière, comme tout le monde.
L'obligation, l'imposition par un groupe, par un État, à ses citoyens d'aimer un pays n'est pas seulement l'imposition d'un fétichisme de masse, mais l'instrument principal du fascisme. Cet amour obligatoire, violent, fictif, et, en réalité, une haine envers toute autre groupe de citoyens qui ne partage pas ses fétiches - ou en Dézin ou une idée différente du pays.
Cet amour, c'est la haine de ceux qui croient en l'égalité des droits à la vie de tout individu pour le seul fait d'être né.
source : Resumen Latinoamericano via Bolivar Infos