06/10/2025 legrandsoir.info  4min #292621

Triple ou quadruple capitulation européenne ? Lettre ouverte à Paul Magnette, Président du Ps (Belgique)

André LACROIX

Monsieur le Président,
Cher Paul Magnette,

J'ai lu avec beaucoup d'intérêt votre newsletter intitulée « L'été 2025 aura été, pour l'Europe, celui d'une triple capitulation. » Votre constat est sans appel. Vous y dénoncez clairement :

- la capitulation militaire européenne devant la sommation faite par les États-Unis aux pays de l'OTAN de consacrer 5% de leur PIB à l'armement,

- la capitulation commerciale d'Ursula von der Leyen devant Trump lui imposant des droits de douane de 15%, l'achat d'énergie fossile pour 750 milliards d'euros et l'investissement de 600 milliards dans les secteurs stratégiques étasuniens,

- la capitulation morale face au génocide en cours à Gaza.

Grande absente de votre analyse : la capitulation de la réflexion géopolitique. Pas un mot chez vous sur le conflit ukrainien. Tout ce que vous déplorez, c'est que la hausse brutale des dépenses militaires se soit décidée « sans aucune réflexion stratégique sur la manière dont de nouveaux investissements peuvent soutenir notre industrie et nos emplois. »

Votre silence est désolant. En tant qu'intellectuel doué de raison et de sens critique, vous savez que la guerre en Ukraine n'a pas commencé le 24 février 2022 et qu'elle aurait pu être évitée si l'on avait fait droit aux légitimes revendications sécuritaires de la Russie. Vous savez aussi que les milliards consacrés à enrichir le complexe militaro-industriel étasunien seraient mieux utilisés à des fins sociales et environnementales.

Mais voilà, en tant que président de parti, vous pouvez difficilement condamner les propos épidermiques de votre prédécesseur Elio Di Rupo appelant à la paix tout en qualifiant de « barbarie » la stratégie russe, en déclarant solennellement qu'« une victoire de Vladimir Poutine ne serait pas seulement une tragédie pour l'Ukraine : elle serait un basculement pour toute l'Europe » et en concluant par ces mots : « si nous échouons à obtenir un cessez-le-feu, le chaos nous guette » (1).

Serait-ce donc cela la position du PS ? Participer à la propagande de guerre en diabolisant l'adversaire (2) et vouloir la défaite de la Russie, grâce à nos armes et au sang des Ukrainiens ? Et se contenter d'un cessez-le-feu au lieu d'entamer des négociations de paix ?

Mais où est passé l'idéal pacifiste et internationaliste des socialistes belges Henri La Fontaine, Henri Rolin, Marc-Antoine Pierson ? Si ces grandes figures étaient encore de ce monde, pensez-vous qu'elles auraient avalé le récit otanien et les gesticulations des von der Leyen, Kallas, Macron, Merz et compagnie ?

Comme vous l'écrivez à juste titre : « (...) nous avons attient cet été un niveau de résignation sans précédent, et nous ne pouvons pas, nous socialistes qui avons tant apporté à l'aventure européenne, laisser l'Europe partir à la dérive. »

Pour contribuer réellement à enrayer cette dérive et à garantir la paix aux Russes et à tous les Européens, le PS ne devrait-il pas, avec d'autres partis comme le PS espagnol et d'autres formations de gauche, s'inscrire résolument dans le mouvement pacifiste au lieu de se mettre à la remorque de l'hystérie collective russophobe ?

Ne serait-il pas temps que l'Institut Émile Vandervelde (*) étudie sérieusement la proposition formulée par le spécialiste suisse du renseignement Jacques Baud, consistant à doter l'Ukraine d'un statut de neutralité garanti par des puissances extérieures (3) ? Ce fut le cas en 1815 pour la Suisse, avec la garantie des vainqueurs de Napoléon : le Royaume-Uni, l'Autriche, la Prusse et la Russie, et en 1955 pour l'Autriche libérée, avec la garantie des puissances victorieuses de l'Allemagne nazie : l'Union soviétique, les États-Unis, le Royaume-Uni et la France. Pourquoi pas pour l'Ukraine en 2025 ? Face à tant de morts inutiles, la diplomatie ne devrait-elle pas reprendre l'initiative, en manière telle que la subtilité et la créativité l'emportent sur les simplismes idéologiques et la force brutale ?

Ne serait-il pas temps que cesse sur le sol ukrainien la guerre par procuration entre la Russie et l'OTAN ? Ne serait-il pas temps que les dirigeants européens cessent de ronronner dans l'entre-soi de leur club atlantiste et qu'ils comprennent enfin que l'Europe n'est qu'une presqu'île du continent eurasiatique, qu'elle n'a rien à gagner à se laisser vassaliser par l'Empire en crise que sont les États-Unis et qu'elle a tout à gagner à trouver sa place dans le monde multipolaire en gestation ?

Soyez assuré, Monsieur le Président, cher Paul Magnette, de ma meilleure considération,

André Lacroix

(1) voir Elio Di Rupo, « La guerre en Ukraine est à un tournant majeur », post Facebook du 6 août 2025.
(2) voir l'ouvrage célèbre de votre consœur à l'ULB Anne Morelli, Principes élémentaires de la propagande de guerre, éd. Aden, réédité en 2023.
(3) Le 21 mars 2022 Zelensky lui-même avait proposé à la Russie une résolution du conflit incluant la neutralité de l'Ukraine, avant que, le 9 avril, Boris Johnson torpille la négociation.
(*) Bureau d'étude du PS de Belgique.

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