06/10/2025 reseauinternational.net  9min #292644

L'Ue, éternel supplétif de Washington, va faire la sous-traitance géopolitique des États-Unis en Ukraine

par Pierre-Emmanuel Thomann

La sous-traitance géopolitique est la nouvelle doctrine de Washington, qui cherche à déléguer la gestion du conflit à l'Union européenne, tout en continuant à imposer ses priorités géopolitiques. À Washington, la tête du pôle impérial euro-atlantiste, la Grande Stratégie géopolitique, à l'UE, le supplétif de l'empire, les objectifs tactiques de cette stratégie. Il n'y a donc pas d'abandon de Kiev par Washington, et les livraisons d'armes, renseignements et financement se poursuivent, l'UE y prenant une part de plus en plus importante.

L'UE se voit confier le contrôle du Rimland des États-Unis pour contrer les puissances continentales comme la Russie, selon la vision euro-atlantiste. Le «Rimland» est la ceinture littorale qui entoure le continent eurasien, (le Rimland européen et le Rimland indopacifique autour du «Heartland», cœur de l'espace eurasien. Cette doctrine géopolitique est l'héritière de la vision du géopoliticien américain Nicolas Spykman (1893-1943) qui a reformulé la doctrine de Halford John Mackinder (1861-1947) et Zbigniew Bzrezinski s'en est inspiré aussi dans sa doctrine de détachement de l'Ukraine du monde Russe.

Il s'agit en réalité d'une triple vassalisation de l'UE, géopolitique, géostratégique et énergétique puisqu'elle se coule dans la doctrine géopolitique américaine de sous-traitance, avec achats croissants d'armement américains pour les transmettre à Kiev et importations de gaz et pétrole.

En effet, Donald Trump a souligné en septembre que l'Ukraine avec le soutien de l'Union européenne était en mesure de de reconquérir l'ensemble de son territoire. 1

Cette déclaration confirme mon hypothèse de sous-traitance géopolitique que j'avais avancée dès février 2024, avant la prise de fonction de Trump comme nouveau président.

J'avais souligné que «Les États-Unis font donc de la Russie un ennemi avec pour objectif ultime, de confier l'alimentation du front aux États membres de l'Union européenne sur la voie d'une cobelligérence croisssante».«L'Union européenne devient une périphérie, un hinterland dominé face au champ de bataille entre la Russie et les États-Unis avec pour État-front l'Ukraine qui fait la guerre à la Russie par procuration avec les ressources financières et militaires américaines, mais de plus en plus européennes avec un renforcement de l'achat d'équipements américains». 2

Il y a un énorme malentendu sur ce concept d'autonomie stratégique. En effet, c'est dans l'Intérêt de Washington que les Européens de l'UE se mettent en ordre de bataille contre la Russie, en leur déléguant le front européen, leur donnant l'illusion de l'autonomie stratégique mais en réalité en préservant leurs priorités géopolitiques : fragmentation de l'Europe provoquée par le conflit en Ukraine et sabotage de Nord Stream pour torpiller toute entente continentale de Brest à Vladivostok. Ils peuvent ainsi que se concentrer sur leurs objectifs internes, pivoter dans l'Indo-Pacifique contre la Chine et négocier avec la Russie sur des enjeux tactiques, au détriment des européens de l'OTAN/UE.

Les États européens de la coalition de volontaires (Paris, Londres, Berlin, Varsovie) qui cherchent à envoyer des troupes d'interposition en Ukraine sont en pointe pour porter la sous-traitance géopolitique de Washington, puisqu'ils visent à remplacer les Américains sur un mode tactique (des unités militaires supplétives) mais selon les priorités géopolitiques de Washington, c'est à dire le contrôle et l'élargissement du Rimland, sous-élément de la stratégie géopolitique de fragmentation et d'encerclement de l'Eurasie. C'est l'inverse de l'autonomie stratégique européenne car la vassalisation géopolitique des européens de l'UE se renforce en réalité selon ce schéma, faute de doctrine géopolitique indépendante de la part des Européens et qui les place les Européens comme acteurs secondaires et disqualifiés pour une négociation avec Moscou. L'impossibilité de l'élargissement de l'OTAN et l'accélération du monde multicentré qui écarte le rêve unipolaire américain dans lequel l'UE cherchait à se positionner, mais les gouvernements vassalisés poursuivent les doctrines géopolitiques anglo-saxonnes obsolètes car elles ont échoué à préserver le monde unipolaire, et fait d'eux la variable d'ajustement du nouvel ordre spatial et géopolitique, tandis que Washington masque ainsi son incapacité à faire plier la Russie.

En réalité, l'enjeu principal de ce conflit, c'est le nouvel ordre spatial et géopolitique multipolaire avec la reconnaissance des zones d'influences, qui est déjà de facto devenu la réalité en faveur de Moscou puisque les territoires réunifiés à la Russie le sont définitivement et l'élargissement de l'OTAN est désormais impossible. Mais Washington chercher à escamoter cette réalité du terrain, car négocier un nouveau traité spécifiant l'arrêt de l'élargissement de l'OTAN, c'est inscrire dans le droit international ce nouvel ordre spatial et donc reconnaître la victoire de la Russie et la défaite de l'axe Washington-OTAN-UE-Kiev. L'alternative est donc de progressivement sous-traiter le conflit à l'UE, tout en maintenant une cobelligérence contre Moscou par l'intermédiaire de ventes d'armes à l'UE qui les transmet à Kiev. Tant que Washington, ne reconnaitra pas ce nouvel ordre spatial et géopolitique, le conflit se poursuivra. Donald Trump a ainsi précisé que «Poutine et la Russie sont confrontés à de graves difficultés économiques, et c'est le moment pour l'Ukraine d'agir. Quoi qu'il en soit, je souhaite bonne chance aux deux pays. Nous continuerons à fournir des armes à l'OTAN afin que celle-ci puisse en faire ce qu'elle veut. Bonne chance à tous», donnant l'illusion d'un acteur de plus en plus neutre qui se retire, alors que leur implication, plus indirecte, reste décisive. Mais au moment du bilan final avec la victoire géopolitique russe qui se profile, cela permettra de faire porter la responsabilité de la défaite aux Européens de l'UE. Les Européens de l'UE otanisée s'accrochent à l'illusion de voir les États-Unis rester en première ligne de la guerre hybride menée par l'axe Washington-OTAN-UE -Kiev contre la Russie avec une cobelligérence sous le seuil du combat frontal (toutes les armes et renseignements, sauf le nucléaire et les troupes au sol), alors qu'ils se voient confier la gestion et la responsabilité explicite du conflit. Ils seront pourtant incapables de renverser la situation dans ce conflit géopolitique perdu, mais restent dans une aliénation et vassalisation géopolitique mentale à Washington, incapables d'en tirer un enseignement pour une vraie alternative géopolitique basée sur l'indépendance stratégique.

La vraie autonomie stratégique pour les Européens de l'UE exigerait l'élaboration de doctrines géopolitiques indépendantes et un choix souverain de leurs alliances ainsi que leur propre désignation de l'ennemi et non pas ceux de Washington, la Russie, la Chine et l'Iran. Pour l'indépendance géopolitique, c'est la construction d'un axe Paris-Berlin-Moscou-Pékin qui serait judicieux, pas de faire de la Russie un ennemi au bénéfice de Washington.

source :  Eurocontinent via  Strategika

  1. «Après avoir pris connaissance et compris en profondeur la situation militaire et économique de l'Ukraine et de la Russie, et après avoir constaté les difficultés économiques que cela cause à la Russie, je pense que l'Ukraine, avec le soutien de l'Union européenne, est en mesure de se battre et de reconquérir l'ensemble de son territoire dans sa forme initiale. Avec du temps, de la patience et le soutien financier de l'Europe, et en particulier de l'OTAN, le rétablissement des frontières d'origine, celles qui existaient avant le début de cette guerre, est tout à fait envisageable. Pourquoi pas ?» Le commentaire complet de Donald Trump sur X @realDonaldTrump : After getting to know and fully understand the Ukraine/Russia Military and Economic situation and, after seeing the Economic trouble it is causing Russia, I think Ukraine, with the support of the European Union, is in a position to fight and WIN all of Ukraine back in its original form. With time, patience, and the financial support of Europe and, in particular, NATO, the original Borders from where this War started, is very much an option. Why not ? Russia has been fighting aimlessly for three and a half years a War that should have taken a Real Military Power less than a week to win. This is not distinguishing Russia. In fact, it is very much making them look like «a paper tiger». When the people living in Moscow, and all of the Great Cities, Towns, and Districts all throughout Russia, find out what is really going on with this War, the fact that it's almost impossible for them to get Gasoline through the long lines that are being formed, and all of the other things that are taking place in their War Economy, where most of their money is being spent on fighting Ukraine, which has Great Spirit, and only getting better, Ukraine would be able to take back their Country in its original form and, who knows, maybe even go further than that ! Putin and Russia are in BIG Economic trouble, and this is the time for Ukraine to act. In any event, I wish both Countries well. We will continue to supply weapons to NATO for NATO to do what they want with them. Good luck to all ! DONALD J. TRUMP, PRESIDENT OF THE UNITED STATES OF AMERICA
  2. J'avais précisé dans cette analyse que «C'est dans ce contexte de surextension géopolitique des États-Unis et d'échec militaire de l'OTAN et de ses États-Membres en Ukraine, que les élections américaines se profilent, avec l'annonce d'une évolution, voire revirement de la posture de Washington vis à vis de l'Ukraine si Trump était élu». «En cas de réduction drastique du soutien à Kiev par Washington après les élections américaines et au pire, diminution de leur rôle à l'OTAN, cela ne signifierait pas un abandon de leur doctrine géopolitique de contrôle du Rimland européen (Si Trump allait dans cette direction plus radicale, l'État profond n'abandonnerait pas sans combattre). Cette évolution aurait pour contrepartie, une pression supplémentaire de la part de Washington pour que les Européens de l'OTAN dépensent plus et achètent américain (c'est l'objectif des menaces de Trump). Si la plupart des États membres de l'OTAN, qui ne sont pas souverains, il faut le rappeler, continuent de se contenter d'un statut de protectorat, ils iront mendier des accords bilatéraux en cas de retrait de Washington de l'OTAN. Sans sursaut d'une doctrine d'indépendance géopolitique, le statut hégémonique de Washington en Europe de l'Ouest va se poursuivre».

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