par Rocco Carbone
Les inégalités menacent l'égalité partout dans le monde. Ce texte transcende les frontières nationales. Les manifestations mortelles du capitalisme financier exigent que le champ de l'émancipation cultive une égalité radicale.
De nos jours, une scène politique singulière s'est développée autour du mot fascisme. Certaines organisations politiques, ayant pris le contrôle de l'État – ou s'en approchant, comme en Espagne – rejettent farouchement cette catégorie ; mais elles ne peuvent dissimuler l'opérabilité politique inhérente à leur propre pouvoir fasciste. Certains courants de la gauche, en revanche, débattent de sa nature néo, post ou pré, comme si la question – et même le problème – était une préoccupation théorique, à discuter en conseil des ministres, à analyser en classe ou à débattre dans une revue politisée, a l'approche d'une publication, en comité de lecture. Enfin, il existe aussi une ligne progressiste qui a opté pour le négationnisme.
Il est utile de partager ici quelques réflexions théoriques pour guider l'action. Nous devrions nous interroger sur ces affirmations qui limitent le fascisme à une expérience historico-politique européenne, qui soulignent son caractère unique, qui soulignent sa spécificité de formation politique confinée à une nation, et qui présentent très souvent une « thèse » réconfortante : après 1945, les cheveux de Mussolini ont disparu et n'ont jamais repoussé (et ne repousseront jamais). Autrement dit : le pouvoir fasciste a disparu. À ce stade, la maxime me vient à l'esprit : ce qui est connu est souvent refoulé. Une telle phrase pourrait sans doute être dédiée au camp réactionnaire, puisqu'il rejette, pour lui-même, la catégorie de fascisme. Mais cette maxime s'applique-t-elle uniquement au camp réactionnaire ? Considérer le fascisme comme un phénomène historico-politique unique contribue à le faire passer inaperçu lorsqu'il refait surface ou qu'il revient.
À l'époque, le Komintern avait élaboré une expression synthétique pour le fascisme archéologique : « le bras armé du capital ». Ce diagnostic reste acceptable. « Pour le grand capital – ou plutôt pour une partie de celui-ci –, le fascisme ne peut être utile que dans certaines situations dangereuses ; mais lorsqu'il n'est plus nécessaire, il est abandonné » (2004, p. 76). Cette phrase apparaît dans les dernières pages de « Le fascisme n'a jamais été mort », un petit livre hétéroclite et arborescent d'un vieux professeur italien, Luciano Canfora. Le fascisme furtif du XXIe siècle est l'expression politique du capital financier glocal (mondial et local). L'une des expressions de ce capitalisme financier extorqueur et de plus en plus international est le FMI ; un autre : les aristocraties techno-financières glocales : Marcos Galperin récemment critiqué par Mindlin (« Mindlin a interrogé Galperin pour avoir déménagé en Uruguay pour payer moins d'impôts », LaPolíticaOnline, 8/5/2025) -, par exemple, est une expression à l'échelle d'Amazon ; un autre encore : les monopoles corporatifs mondiaux absolutistes totalitaires. Les expressions du capitalisme financier centralisent dans quelques mains - Mark Zuckerberg, Jeff Bezos, Larry Ellison, Bernard Arnault, Elon Musk, la poignée la plus connue - les actions des entreprises les plus disparates ; elles les coordonnent, les contrôlent et, par le crédit, transforment des pays entiers - et aussi leurs industriels - en subordonnés, attentifs à tout geste de commandement. Le cas local est éloquent. Chaque fasciste furtif (h/f) du XXIe siècle a toujours un selfie avec Elon Musk ou Donald Trump.
Que le fascisme soit une expression du capitalisme financier n'a rien de nouveau. En 1934, Mario Missiroli, alors qu'il était fasciste, écrivait dans « L'economia corporatista » (Économie d'entreprise), extrait de son ouvrage « Studi sul fascismo » (Études sur le fascisme) : « Le capital productif a été remplacé, dans la hiérarchie des valeurs économiques, par le capital financier. La spéculation menace de tuer l'entreprise [...], elle prospère grâce au commerce des valeurs mobilières, profite des droits de douane, s'enrichit grâce à l'inflation qui, à son tour, appauvrit la communauté. C'est une monarchie absolue, omnipotente et invisible, qui défie à la fois l'État, le fisc, les consommateurs et les travailleurs » (Zanichelli : Bologne, 1934, p. 277-278). Il en résulte que, comme tout phénomène politique protéiforme, il peut se répéter, surtout s'il est lié à l'évolution du capitalisme. Bien sûr, avec les ajustements nécessaires qui découlent des changements dans les coutumes, dans l'usage de la langue, des transformations de la vie et de la géographie dans laquelle elle s'inscrit.
L'histoire et ses lois
Dès les premières pages du livre de Canfora, on peut lire que le fascisme « longtemps après son effondrement politique et militaire, a continué d'alimenter le débat historiographique et, surtout, politique, avec une telle intensité qu'il est devenu, à son tour, partie intégrante de la réalité politique tout au long de la seconde moitié du XXe siècle et au-delà. Il n'a jamais quitté la scène. Comme il est normal pour un mouvement vaincu, il a agi en coulisses » (p. 10). Puisque l'histoire se répète deux fois, une fois en coulisses, une fois au premier plan, et puisque le pouvoir fasciste a émergé de l'ombre, organisons et illustrons quelques modalités ou comportements permettant de reconnaître certaines manifestations publiques de ce pouvoir. Guidés par Cánfora, nous pouvons dire que :
« À proprement parler, un petit effort mental suffit à comprendre [ces modalités publiques]. Si l'on peut légitimement parler de mafia « nigériane », « tchétchène », « marseillaise », etc., sachant pertinemment que la mafia, telle qu'elle a émergé et s'est développée en Sicile, possède ses propres particularités historiquement identifiables, déterminées par un environnement spécifique, il est tout aussi légitime, et surtout utile sur le plan cognitif, de parler de fascisme « espagnol » ou « balte », etc., pour désigner d'autres territoires que l'Italie et des périodes postérieures à 1922-1945. Il en va de même pour des catégories interprétatives telles que « jacobinisme », « réformisme », « maximalisme », « césarisme », etc. En avant, avançons » (pp. 37-38). J'aime bien ce vieil historien.
Examinons quelques-unes de ces modalités (il peut y en avoir d'autres, bien sûr) ou comportements :
- Pauvreté linguistique. Roberto Calderoli, membre de la Ligue du Nord, a qualifié d'« orang-outan » une députée italienne d'origine africaine (née en République démocratique du Congo), Cécile Kyenge ; le président Milei insiste sur ce même argument lorsqu'il parle de « babouins ». Cette pauvreté linguistique est due au fait que le fascisme du XXIe siècle recrute des « médianes », figures politiques serviles : à l'image de la dégénérescence du capitalisme à l'ère de la financiarisation ou de l'algorithme (j'aime/je n'aime pas). Cette pauvreté conceptuelle et intellectuelle se manifeste également à travers un mode d'inversion. Un exemple : Galezzo Bignami a été chef de file des Fratelli d'Italia (le parti de Giorgia Meloni) à la Chambre des députés du Parlement italien de 2018 à 2024. Cet homme, presque cinquantenaire, est apparu sur plusieurs photos habillé en chef nazi lorsqu'il était plus jeune. Sur l'une d'elles, on le voit avec une croix gammée sur le bras gauche, imprimée sur une écharpe rouge. En juillet 2025, Francesca Albanese, rapporteuse spéciale des Nations Unies pour les territoires palestiniens occupés et l'une des voix internationales dénonçant le génocide en cours à Gaza, fut invitée au Parlement italien pour présenter un rapport basé sur sa propre expérience en Afrique du Nord (ce que l'on appelle, en termes coloniaux, le « Moyen-Orient »).
Bignami signa une pétition déclarant : « Il est irresponsable d'accueillir dans des institutions des individus qui véhiculent des idées antisémites. » « Subvertir sa propre identité (ce que l'on est) en l'attribuant à un autre » est une pratique courante du pouvoir fasciste. Les zombies, ce sont toujours les autres !
Cette pauvreté intellectuelle concerne également l'interprétation de l'histoire, toujours fallacieuse. Ce qui était hier déclaré fasciste est souvent présenté aujourd'hui comme une expression politique démocratique et républicaine. En 1987, le XVe Congrès du Mouvement social italien se tint à Sorrente, une ville du sud de l'Italie, près de Naples. Le MSI était l'héritier explicite du fascisme archéologique après la Seconde Guerre mondiale. Il constituait l'appareil politique du fascisme dans le nouveau contexte démocratique. En 1987, le secrétaire politique, Giorgio Almirante, déclara que le fascisme était « le destin » du MSI. Ces mots furent prononcés 41 ans après la fondation de cet appareil politique. En réalité, le nom même du mouvement (MSI) est une copie de la République sociale italienne. La RSI, également connue sous le nom de Repubblica di Salò, était un État fantoche créé par l'Allemagne nazie dans le nord de l'Italie en septembre 1943. Il servait d'instrument à la politique d'occupation allemande. Dirigé par Mussolini, cet État collaborationniste a opéré sous contrôle allemand jusqu'à la libération de l'Italie en 1945. Ses objectifs étaient de gouverner les territoires italiens occupés par les Allemands, de réprimer la résistance des partisans et de persécuter les Juifs et les opposants antifascistes.
Concernant le XVe Congrès, Canfora affirme que :
« ceux qui alors [1987] militaient au sein du MSI ou même le dirigeaient - qu'ils soient d'âge mûr, jeunes ou très jeunes - étaient et se proclamaient consciemment, ou en tout cas se sentaient, ‘fascistes', ou du moins - variante proactive et volontariste – ‘néofascistes' » (p. 60).
Le MSI a conservé son nom jusqu'en 1994, date à laquelle il s'est transformé en Alliance nationale et a rejoint le premier gouvernement de Berlusconi, un « libéral » autoproclamé, un Menem italien sans favoris. Aujourd'hui, les héritiers du MSI, fiers de ne pas renier le passé du mouvement, sont au sommet de la République italienne, avec Giorgia Meloni, qui, en décembre 2022, a déclaré publiquement que « [le MSI] a conduit des millions d'Italiens vaincus par la guerre à la démocratie. […] On peut être d'accord avec lui ou non, mais il a été un parti de la droite démocratique, de l'Italie démocratique et républicaine. Il a joué un rôle dans la lutte contre le terrorisme. » « Terrorisme » ici signifie communisme. Peu auparavant, en octobre de la même année, dans son discours d'investiture devant les Chambres, elle affirmait : « Je viens d'une histoire politique souvent reléguée aux marges de l'histoire républicaine » (Canfora, p. 60). Meloni fait référence à l'histoire politique du MSI, qui n'a pas été relégué aux marges de l'histoire républicaine, comme elle le prétend, mais a toujours été en marge de l'histoire républicaine italienne. C'est ainsi qu'il faut interpréter le passage de la présidente du Conseil.
Meloni connaît bien l'histoire du néofascisme post-fasciste archéologique – après 1945 – depuis qu'elle a rejoint le Fronte della Gioventù (FdG) [Front de la Jeunesse], l'organisation de jeunesse du MSI, à l'âge de 15 ans. Elle a également participé au FUAN ( Fronte Universitario d'Azione Nazionale), l'organisation universitaire du Movimento, qui défendait une idéologie néofasciste et anticommuniste (fondée en 1950 et dissoute en 1996). Elle a également été coordinatrice régionale du Front de la Jeunesse dans la région du Latium. Voici qui est Giorgia, celle qui fait cadeau des passeports. « À l'instigation du Palazzo Chigi [siège du gouvernement et résidence du Premier ministre], le président argentin a obtenu la nationalité du pays de trois de ses quatre grands-parents. » Une surprise à laquelle Giorgia Meloni travaillait depuis plusieurs mois. […] Une histoire qui […] ressemble à celle de millions d'Argentins, dont l'autre ancien président de ce pays sud-américain, Mauricio Macrì. Une histoire qui […] a commencé en Calabre, dans l'un des innombrables villages disséminés entre Cosenza et Rosarno, d'où Francesco Milei, dit « Ciccio », est parti avec sa mère et ses trois frères et sœurs en 1926. Le grand-père de Javier (Francesco Malfetano, « La ville italienne de Milei : « Un de mes grands-pères a quitté la Calabre »), www.ilmessagero.it (13/12/2024).
- Idées primitives et suprémacistes. « Bons Argentins » est une idée suprémaciste manifestement primitive, car elle implique une symétrie inverse ou miroir : l'existence de mauvais Argentins. « Nous sommes esthétiquement supérieurs » : cette phrase est en phase avec la pensée raciste, et le racisme est la forme typiquement occidentale de la suprématie blanche. Ces problèmes ne se posent pas seulement dans notre pays. En Finlande, par exemple, il existe les « vrais Finlandais ». C'est l'un des slogans d'un parti d'extrême droite qui a remporté les élections de juin 2023, connu sous le nom de Parti des Finlandais. Et le magazine Wille Rydman, qui, en juillet 2023, faisant référence aux Juifs, a déclaré : « Nous, les nazis, n'aimons pas cette merde » (Canfora, p. 7). Dans la lignée du primitivisme suprémaciste, on peut placer aussi bien l' Alternative für Deutschland (Alternative pour l'Allemagne), qui a un parti pris clairement xénophobe et antisémite, que le deuxième gouvernement Trump, qui a fait fortune avec un slogan à l'impact certain : MAGA – Make America Great Again – et avec les migrants latino-américains expulsés !
- Médiocrité. Le fascisme a tendance à (ré)émerger en temps de crise ou face à certaines situations dangereuses. La Patria Grande – une idée et une organisation – constituait un cadre dangereux pour la vie capitaliste en Amérique latine, les mouvements plébéiens s'emparant du pouvoir public pour gouverner l'État. Et la pandémie, qui a affecté l'accumulation incessante du capital, a également constitué un moment de danger. C'est ce que j'appelle une crise. D'un point de vue de classe, le fascisme « a un horizon fondamentalement national et s'appuie sur les classes moyennes » (Canfora, p. 76). L'horizon « national » de Milei se vérifie dans la sacralisation de la propriété privée, de ce qui appartient à chacun, et le nationalisme n'est que cela : ce qui appartient à chacun. En ce sens, la (ré)émergence du fascisme est liée aux comportements de la classe moyenne. L'expérience actuelle du gouvernement a commencé à s'organiser dans un moment de crise absolue – mondiale – : la pandémie. Dans les moments historiques critiques, la classe moyenne a tendance à se tourner vers la classe qui inspire confiance, que ce soit par ses récits ou ses actes, voire les deux : la classe des propriétaires. Cependant, lorsque les grandes majorités qui dépendent de leur travail pour vivre ont une vision claire de leur projet de classe, lorsqu'elles disposent d'un leadership clair, ferme et audacieux, elles peuvent inspirer confiance, voire enthousiasme, aux classes moyennes.
Pendant la pandémie, la classe moyenne a recommencé à se référer à la classe qui concentre la propriété entre ses mains. Je fais référence aux grands propriétaires, aux immenses fortunes accumulées en soustrayant la richesse produite par la classe ouvrière. Puisque le président Milei soutient et est soutenu par ce pouvoir de classe, il ne peut être considéré comme un outsider en politique : il est issu du cœur du capital, de la classe qui détient la grande propriété. L'idée de grande propriété renvoie à la possession de capitaux importants, à la multiplicité des savoirs, au contrôle de médias monopolistiques, à un réseau national et international de points d'appui, à une hiérarchie institutionnelle dense, à un nombre indéterminé de privilèges sociaux, au soutien d'une partie importante du pouvoir judiciaire, etc. « Le capitalisme n'est pas une abstraction : c'est un système vivant de rapports de classe qui, avant tout, a besoin du pouvoir d'État » (Trotsky, « Histoire de la Révolution russe », p. 813-814). Face à une crise ou à un moment de danger, ce système tente d'implanter une forme de pouvoir fasciste au cœur de l'État afin de décharger les pathologies du pouvoir capitaliste sur les épaules de la classe ouvrière et de protéger la classe de la grande propriété.
- La classe moyenne est médiocre : capable d'impulsions fortes et extrêmement rapides, mais, en même temps, sans résistance. Face à l'échec, elle éprouve de la peur, elle est terrifiée, elle perd courage. Et lorsqu'une crise survient, elle peut perdre tout espoir d'émancipation. Elle déborde alors de désillusion, de tristesse, d'apathie, de mécontentement et de frustration. De plus, ses humeurs sont extrêmement volatiles, souvent rapides et violentes, une condition qui imprègne d'instabilité l'impulsion émancipatrice. De toutes les conditions requises pour affirmer l'émancipation, la plus instable est l'humeur de la classe moyenne. Ce que je décris se produit souvent, ou peut se produire, lorsque l'outil d'émancipation vacille, penche vers la social-démocratie et n'est pas suffisamment décisif pour guider les attentes et les espoirs du mouvement fondamental des grandes majorités – des classes populaires (inférieures et moyennes). La réaction survient si l'émancipation ne tient pas, si elle ne maintient pas ses effectifs, c'est-à-dire sa cohésion de classe ; si ses cadres se détournent du projet de pouvoir et d'État plébéien et perdent leur clairvoyance, leur fermeté et leur audace. Dès lors, un reflux s'amorce, contrecarrant l'amplification démocratisante. À ce moment, la classe moyenne se détourne souvent, ou peut se détourner, de l'émancipation et cherche son « salut » dans le camp opposé : celui de la réaction. Lorsque la marée monte et que la vague émancipatrice est expansive, les grandes majorités ouvrières entraînent la classe moyenne avec elles. Au moment du reflux, le mouvement inverse se produit : la classe moyenne entraîne de larges pans des majorités ouvrières dans la réaction, ce qui entraîne sa propre chute.
- Lance-flammes. Ce petit mot désigne une communication politique incendiaire, typique d'une certaine familiarité avec le feu. Le fascisme furtif du XXIe siècle tend à la monopolisation de l'information. En Argentine, nous sommes confrontés à une présence médiatique monopolistique, renforcée par l'algorithme de ce que nous acceptons banalement comme les réseaux sociaux, qui sont en réalité des outils du capitalisme numérique, répondant à la concentration de la propriété privée à grande échelle (par exemple, X appartient à Elon Musk) et nous qui instruisent à travers les modes cognitifs aplatis, dé-historicisés et homologués de la glocalité du capital. Cette situation est très problématique car elle ne laisse aucune place aux voix minoritaires et génère également une certaine propension à la censure, voire à l'autocensure, une idée qui pourrait s'exprimer ainsi : « Pourquoi devrais-je parler si personne ne m'écoute ? »
- Des détails techniques incompréhensibles. « L'inflation annuelle qui se propage » à je ne sais quelle vitesse, et qui, selon eux, est moins l'expression de la lutte des classes qu'un train à grande vitesse. Un exemple. Nous en avons entendu un autre exemple, frappant, émerger lors du dîner organisé par la Fondation Faro, le groupe de réflexion dirigé par Agustín Laje. Dans la ville menémiste de Puerto Madero, le président a déclaré : « Le panier alimentaire de base progresse au moins de 10 % et les salaires augmentent systématiquement depuis avril. Nous avons sorti 12 millions de personnes de la pauvreté et 2,5 millions d'enfants de la pauvreté. » Un fait économique qui masque ceux qui se jettent, avec toute leur humanité, dans les poubelles pour manger ou s'acheter un vêtement. La « nouveauté » du fascisme furtif du XXIe siècle, reconnaissons le, est une force politico-étatique alarmante qui destitue l'État et vise à affirmer ses intentions de domination, fondées sur des théories économiques. Ces facteurs, associés au caractère sacré de la propriété privée à grande échelle, au pouvoir des aristocraties techno-financières et à la force expansive des monopoles absolutistes et totalitaires mondiaux, ont pris la place qu'occupaient les théories raciales dans le fascisme archéologique. Ainsi, les peuples considérés comme « inférieurs » – au siècle dernier, les « Latins », les « Slaves », les « Juifs » – sont devenus des classes ouvrières, construites comme « inférieures » (ce qui explique leur privation de leur statut existentiel) dans la mesure où elles sont dépourvues de propriété (à grande échelle). Autrement dit, cela signifie exclure ces classes autant que possible de l'État et de l'exercice du pouvoir. Dans cette série d'événements, le peuple palestinien – force de travail de l'État d'Israël en période de non-extermination des masses – se voit privé du lien social avec sa terre. Autrement dit : avec sa souveraineté, avec ses propres droits, avec son existence.
- ART DE LA GUERRE/RÉPRESSION. Ces formes de violence redonnent de l'importance et renforcent l'estime de soi des groupes politiques et sociaux réactionnaires. Lors de l'avant-dernière marche pour la Palestine (juillet 2025), dans les rues Corrientes et 9 de Julio, à quelques mètres de l'Obélisque, un groupe d'automobilistes visibles sont sortis de leurs véhicules avec une attitude agressive, moins pour harceler les militants que pour la police : ils l'invitaient à réprimer la manifestation contre le génocide. Un policier à moto s'est éloigné et c'est alors que les insultes des automobilistes ont commencé. L'appel de l'un d'eux à un policier a résonné : « Au travail, nettoyez les rues. »
Par ailleurs, la répression de mercredi sur la place du Congrès témoigne d'un processus social dégénératif intolérable. Elle témoigne du pouvoir de l'exécutif, qui s'exprime par l'intimidation par des moyens toujours plus ou moins légitimes et dont la légalité est opaque. Une opposition solide, dotée d'idées claires et convaincantes, représentant le mouvement social en conflit avec le pouvoir gouvernemental et qui, dans notre pays, perdure sans relâche malgré l'art de la guerre, peut y mettre un terme à temps. Et les menaces : nous en avons entendu une récemment lors de la dernière émission nationale : « Si vous voulez rentrer, vous devrez me sortir les pieds devant. » Par ce discours aux accents mortuaires, le président s'est adressé à cette partie du Congrès qui tente de maintenir deux institutions au bord de l'effondrement : l'une éducative – l'université – et l'autre sanitaire – l' Hôpital Garrahan.
- DÉTENTION. L'une des tâches du pouvoir fasciste est la détention. Elle revêt différentes formes : exil-persécution-mort ( Julio A. Mella, Severino Di Giovanni), persécution et meurtre ( Giacomo Matteotti), persécution et emprisonnement (Gramsci, Cristina Fernández), camp de concentration/disparition et génocide aux moments de plus grande radicalisation réactionnaire. La détention a pour fonction d'uniformiser les sociétés : d'obtenir l'homologation absolue de leurs membres. Et elle s'accompagne souvent d'intimidation : « intimider les partis adverses par des accusations invraisemblables ou les opposants individuels par des flots de plaintes [...], diaboliser les gouvernements précédents en annonçant constamment des « commissions d'enquête » (Canfora, p. 24), vitupérer les autres pouvoirs de l'État : si un rat apparaît chez vous, cher lecteur, vous tenterez de l'expulser. C'est à cela que le président Milei invite la société lorsqu'il compare le Congrès à un « nid de rats » : inhiber le pouvoir le plus pluraliste, le plus fondé sur les classes et le plus fédéral de l'appareil libéral républicain démocrate.
- CORRUPTION (vol). « Con la tuya » peut se traduire par « ce que tu n'as pas, on te l'a volé ». Et cette personne a un prénom et un nom. En Europe, il s'agit de groupes non européens (la vague inéluctable de migrants venus des anciens mondes coloniaux). Aux États-Unis, il s'agit de groupes de migrants latinoaméricains, déportés et emprisonnés par le geôlier salvadorien. Les Juifs du XXe siècle ont été remplacés par des immigrants, cibles de la haine des masses mécontentes. En Argentine, cette identité a une connotation politique : c'est le « K » et, plus généralement, l'émancipation. L'idée, mal exprimée par l'expression « con la tuya », n'est cependant pas totalement erronée : ce qui nous manque socialement, c'est l'égalité dont nous avons été expropriés par la classe des grands propriétaires, qui soutient le pouvoir tératogène du gouvernement.
Proposition
Il est légitime de s'alarmer, de s'inquiéter plutôt que de se préoccuper (l'indignation est inutile si elle n'est pas politiquement ordonnée), et de ne pas être stupide face à la répétition de ces comportements, caractéristiques du pouvoir fasciste : « Il s'agit d'un système d'autorité que l'on pourrait qualifier de ‘réactionnarisme capillaire de masse ‘, qui gravite autour de classes moyennes pauvres, antipolitiques et vaguement xénophobes » (Canfora, p. 24). Tout ce que nous tentons d'interpréter a échoué ; il a trouvé sa limite face à l'organisation de cette force que nous avons appelée révolution à d'autres moments de l'histoire.
En définitive : le fascisme est un élément latent de l'histoire des peuples, offrant un soutien à tout pouvoir cherchant à entraver l'émancipation. Cependant, c'est ce pouvoir qui parviendra à remettre en cause le consensus du pouvoir amphibie qui, pour l'instant, s'est emparé de l'État. Ce défi ne sera pas aisé compte tenu de la nature ambiguë, contradictoire et duale du pouvoir fasciste, qui combine agitation et répression, mémoire du néolibéralisme de l'ère Menem et « mémoire intégrale » de l'horreur, ainsi que les modalités asservies du pouvoir mafieux.
La gauche - révolutionnaire et nationale-populaire -, qui a l'émancipation comme horizon et comme tâche, doit affronter et résoudre, théoriquement, à partir du mouvement, et opérationnellement, à partir de la partie de l'État que nous occupons encore, le problème le plus urgent du moment actuel : les inégalités croissantes (qui explosent avec des particularités strictement nationales dans chaque pays).
« L'ÉGALITÉ EST L'UN DE NOS SLOGANS ». Cette vertu ancestrale, au sens populaire, signifie : réciprocité sociale, voix publique, pouvoir au sein de l'État, dignité, participation à la prise de décision.
Rocco Carbone* pour La Tecl@Eñe.
Le Tecl@Eñe. Buenos Aires, le 22 août 2025.
*Rocco Carbone (1975) est un philosophe et analyste politique italien, naturalisé argentin. Il vit à Buenos Aires. Il s'intéresse à la théorie du pouvoir mafieux, à la philosophie de la culture, aux discursivités et aux processus politiques et culturels en Amérique latine. CONICET (CNRS argentin)
Traduit de l'espagnol depuis El Correo de la Diáspora par : Estelle et Carlos Debiasi.
El Correo de la Diaspora. Paris, le 8 octobre 2025.
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