
Par R. Qureshi, le 13 octobre 2025
Les dirigeants israéliens prétendent être les descendants d'un peuple "rentrant" dans son ancienne patrie. Leurs lieux de naissance racontent une toute autre histoire. Depuis la génération fondatrice de l'État, la classe politique est en grande majorité née à l'étranger ou issue d'une génération émigrée d'Europe. Il ne s'agissait pas d'une population indigène reprenant possession de ses terres. Il s'agissait d'un projet colonial.
David Ben Gourion, né David Grün en Pologne, est devenu le visage du nouvel État.
Golda Meir est née Golda Mabovitch à Kiev, a grandi aux États-Unis et est arrivée en Palestine en se proclamant native "de retour".
Menachem Begin est né en Biélorussie. Shimon Peres, alias Szymon Perski venait de la même régioni. Yitzhak Shamir était Yitzhak Yezernitzky, originaire de Biélorussie. Le premier président, Chaim Weizmann, était également biélorusse.
Ariel Sharon était Ariel Scheinermann, fils d'immigrants biélorusses. Yitzhak Rabin est né d'un père ukrainien et d'une mère biélorusse. Ehud Barak est venu au monde sous le nom d'Ehud Brog, de parents lituaniens et polonais. Le nom de famille de Benjamin Netanyahu était Mileikowsky, originaire de Varsovie, avant d'être hébraïsé. Il était également connu à New York sous le nom de "Ben Netan".
La classe politique actuelle n'est pas moins étrangère d'origine : polonaise, roumaine, hongroise, ukrainienne. Un État construit sur une histoire de retour est dirigé par des individus arrivée en tant que colons ou leurs descendants directs.
L'une de ses figures les plus redoutables, Itamar Ben-Gvir, actuel ministre de la Sécurité nationale, a été condamné en 2007 pour soutien à une organisation terroriste et incitation à la haine raciale, en raison de ses activités passées en tant que disciple de Meir Kahane. Il incarne un durcissement de l'idéologie extrémiste des colons au sein du gouvernement israélien.
Ces faits soulignent une contradiction directe avec la revendication fondatrice d'Israël. Un État qui revendique des droits exclusifs fondés sur une présence ancienne supposée ne peut concilier cette revendication avec les origines étrangères très récentes de sa classe dirigeante. L'histoire du "retour" est une fiction. C'est une image marketing. Le sionisme n'a jamais été un renouveau national. C'était un projet colonial du XXè siècle.
Ce mythe a été soigneusement élaboré. À partir des années 1920, les immigrants ont été incités à abandonner leurs noms européens pour adopter des noms hébraïques. David Ben Gourion a personnellement incité les soldats, les fonctionnaires et les personnalités publiques à adopter des noms hébraïques. L'objectif était d'effacer toute trace apparente du caractère étranger et de projeter l'image d'un « peuple ancien » réaffirmant sa place.
Susan Abulhawa
Gideon Levy a écrit que :
"Israël n'a pas été fondé par des autochtones de retour chez eux, mais par des étrangers qui ont pris une terre qui ne leur appartenait pas", qualifiant l'histoire fondatrice de "fantasme national soigneusement élaboré".
L'historien Avi Shlaim a déclaré :
"Le sionisme est un projet colonial né en Europe et imposé à une terre déjà habitée".
Il note que les premiers dirigeants étaient
"en grande majorité d'origine, de langue, de culture et de mentalité européennes", et que leur hébraïsation n'était qu'un "artifice politique destiné à masquer la réalité coloniale".
Le slogan "une terre sans peuple pour un peuple sans terre" a été inventé en Europe à la fin du XIXè siècle. Il présentait la Palestine comme un territoire vide attendant le retour de ses prétendus légitimes occupants.
Les archives coloniales britanniques, les recensements ottomans et les témoignages oculaires montrent une terre entièrement habitée par plus d'un demi-million de Palestiniens. Ce slogan "une terre sans peuple pour un peuple sans terre" a effacé les Palestiniens dans le langage avant qu'ils ne soient expulsés dans la pratique.
C'est le professeur Norman Finkelstein qui a émis l'une des critiques les plus virulentes à l'encontre de ce mythe.
Il a dénoncé les allégations frauduleuses contenues dans l'ouvrage From Time Immemorial de Joan Peters. Publié en 1984, ce livre affirmait que la Palestine était « vide » et que la plupart des Palestiniens étaient des immigrants récents.
Finkelstein a démontré avec précision comment Peters a déformé et falsifié ses sources, notamment les archives britanniques et ottomanes. Son travail a détruit la crédibilité de l'ouvrage dans les cercles universitaires les plus sérieux. Même de nombreux universitaires pro-israéliens ont reconnu ces tromperies.
Dans un épisode très regardé de l'émission Democracy Now, il a confronté Dershowitz au sujet de son livre The Case for Israel, l'accusant de plagiat et de falsification. Il est alors devenu une cible. En 2007, Finkelstein s'est vu refuser un poste permanent à l'université DePaul, malgré ses excellentes références universitaires. Dershowitz, furieux, a mené une campagne publique contre lui.
Raul Hilberg, l'un des historiens de l'Holocauste les plus respectés, a publiquement défendu Finkelstein. Il a déclaré :
"Sa place dans le récit de notre histoire est assurée, et ceux qui, au bout du compte, ont raison finissent par triompher. Il fera partie de ceux qui auront triomphé, même si cela lui a coûté cher".
La défense d'Hilberg a mis fin aux campagnes de dénigrement. C'était le jugement de l'histoire contre la politique du moment.
La place de Finkelstein en tant qu'historien est désormais incontestable. Il est aujourd'hui plus respecté que jamais pour avoir défendu la vérité. Il a pris la défense de Gaza lors de chaque procès. Ses propos font rapidement le tour de ses réseaux. Pour beaucoup, en particulier les jeunes, il est devenu une référence, une boussole morale à une époque marquée par une grande lâcheté.
Plus de 700 000 colons israéliens vivent aujourd'hui illégalement en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, en violation de la quatrième Convention de Genève. Ils sont armés, subventionnés et représentés politiquement au plus haut niveau. Les colonies illégales ne sont pas un effet secondaire de la politique israélienne. Elles en sont l'épine dorsale. Elles ancrent le pouvoir importé dans les territoires occupés et prolongent la même fiction coloniale qui a servi à construire l'État : des étrangers rebaptisés "autochtones".
Les écrivains palestiniens l'ont toujours clairement affirmé. L'écrivaine Susan Abulhawa a notamment déclaré :
"Ils ne sont pas revenus. Ils sont venus. Et en venant, ils nous ont effacés".
Le poète et professeur Refaat Alareer, tué à Gaza en 2023, a écrit :
"Si je dois mourir, que cela fasse naître l'espoir. Que cela soit une passerelle. Une histoire qui démonte leur mythe".
Les projets coloniaux ne durent pas éternellement. Certains, comme la fin de l'apartheid en Afrique du Sud, se terminent par une transition politique négociée : les colons restent sur place, mais perdent le contrôle. D'autres, comme dans le cas de l'Algérie française après la guerre d'indépendance algérienne, se terminent par un retrait massif des colons. Certains combinent les deux. D'autres survivent par la force jusqu'à ce que l'équilibre des pouvoirs évolue.
C'est le cas de Gaza et de la Cisjordanie. À Gaza, Israël provoque le dépeuplement en recourant au blocus, aux bombardements, à la famine et aux déplacements forcés. Si rien ne change, l'issue la plus probable sera un déplacement forcé vers l'Égypte et des conditions de vie insoutenables pour ceux qui resteront. En Cisjordanie, l'annexion par la ruse est déjà en cours. L'expansion des colonies, le quadrillage du territoire par des zones militarisées et la violence quotidienne des colons emprisonnent les Palestiniens dans des enclaves isolées, tandis que l'État s'approprie les terres qui les entourent.
L'objectif stratégique d'Israël est d'exercer un contrôle sans égalité démographique. C'est la raison pour laquelle ses dirigeants s'accrochent au mythe du retour. Sans ce mythe, il ne reste qu'un projet colonial soutenu par la violence. Aucun projet de ce type n'a jamais pu perdurer. Leur survie dépend de la durée pendant laquelle ils peuvent préserver l'intégrité de la structure du pouvoir. Une fois affaiblie, que ce soit sous les pressions extérieures, par rupture politique ou par une résistance indigène soutenue, elle finira par se disloquer.
Mahmoud Darwish a écrit :
"Où irons-nous, après l'ultime frontière? Où partent les oiseaux, après le dernier
Ciel?"
Ses mots témoignent du destin d'un peuple contraint de vivre sous l'ombre d'un projet étranger rebaptisé "retour".
Traduit par Spirit of Free Speech