17/10/2025 reseauinternational.net  8min #293653

 L'avenir proche de l'humanité : entre effondrement et renaissance

La société du spectacle atteint son climax : vers l'article 16 ?

par Serge Van Cutsem

Ce texte s'inscrit dans la continuité de « L'avenir proche de l'humanité : entre effondrement et renaissance». Ce qui n'était alors qu'un diagnostic global, la décomposition du sens, la perte du réel et la dérive des élites, trouve aujourd'hui sa matérialisation politique dans le théâtre français. Le rejet programmé de la motion de censure du 16 octobre 2025 marque un tournant : la démocratie ne vacille plus, elle se désagrège. Sous les projecteurs, le pouvoir joue à se sauver en dissolvant non plus l'Assemblée, mais le peuple lui-même. C'est le moment où la société du spectacle atteint son point culminant, où la comédie institutionnelle prépare l'acte ultime : l'article 16, cet outil d'exception qui pourrait, demain, faire de la République un décor. Après l'effondrement du sens, voici venue l'ère du simulacre absolu.

Le rideau vient de tomber sur l'un des épisodes les plus prévisibles de la vie politique française. La motion de censure contre le gouvernement déposée par LFI a recueilli 271 voix «pour» et celle déposée par le RN seulement 144, bref pas assez pour renverser un pouvoir qui, au fond, ne joue plus selon les règles de la démocratie. Mais était-ce vraiment un échec pour l'opposition ? Ou simplement un acte supplémentaire dans une pièce déjà écrite d'avance ?

Tout indique que ce vote n'était qu'un exercice de mise en scène, un moment calibré dans la grande dramaturgie du pouvoir contemporain. Rien n'a été laissé au hasard : la tension médiatique des derniers jours, les discours indignés d'une opposition qui n'en est plus une, le suspense parlementaire... Absolument tout relevait de la société du spectacle telle que Guy Debord l'avait décrite dès 1967 1. Une illusion de mouvement pour masquer l'immobilité, une agitation bien réglée pour maintenir les citoyens dans l'idée qu'il reste encore quelque chose à sauver par les urnes.

Mais la réalité est ailleurs et elle est bien plus inquiétante que ce cirque : ce qui vient de se produire n'est pas la victoire d'un gouvernement, mais la validation d'un scénario soigneusement planifié. Le rejet de la motion n'est pas le signe d'une majorité convaincue, mais plutôt celui d'un système verrouillé. La France vient de franchir une étape supplémentaire vers une forme d'autoritarisme d'apparence légale, préparée avec méthode depuis des années.

«Quand le peuple vote mal, on ne dissout plus l'Assemblée, on dissout le peuple». Libre adaptation de Bertolt Brecht, 1953

Le 16 octobre 2025 aura donc marqué le moment où la démocratie française s'est donnée l'illusion d'un choix. Tout semblait suspendu à un vote de censure, comme si un geste parlementaire pouvait encore inverser la trajectoire d'un pouvoir qui ne se nourrit plus que de sa propre continuité. En réalité, le spectacle a remplacé le débat, et la tension dramatique a pris la place du danger réel.

Les députés ont parlé, les caméras ont filmé, les éditorialistes ont commenté ; le pays, lui, a regardé, impuissant, un épisode déjà rejoué cent fois. Tout était fait pour donner à la comédie un parfum de tragédie. Mais la tragédie véritable se joue ailleurs : dans la disparition du politique au profit de sa scénographie. Je l'ai repris dans ma publication précédente, «Toute la vie des sociétés dans lesquelles règnent les conditions modernes de production s'annonce comme une immense accumulation de spectacles». (Guy Debord).

Ici Le spectacle, ce n'est pas un divertissement : c'est la structure même du pouvoir. Et dans la France d'aujourd'hui, le pouvoir n'agit plus, il se représente.

Certains pourraient faire remarquer : Mais en quoi est-ce que cela concerne un Belge qui se vit Outre Quiévrain ? De quoi se mêle-t-il ? La raison est simple, ce qui se passe en France pour le moment n'est que la répétition générale de ce qui va s'étendre dans toute l'Union européenne. Emmanuel Macron n'est que la marionnette d'Ursula, elle-même étant la marionnette du pouvoir profond.

Car derrière cette mécanique, il y a cet homme qui n'est pas un président, mais un personnage. Macron est la figure centrale de ce théâtre d'ombres, et il est définitivement prisonnier de son propre rôle qui, il faut bien le dire, convient parfaitement à son délire de pervers narcissique.

Refuser de démissionner, annoncer qu'il pourrait dissoudre, menacer du chaos pour mieux l'incarner : tout cela relève d'une logique psychologique, plus que politique. Le narcissisme de pouvoir atteint ici son paroxysme : un chef qui ne gouverne plus, mais s'auto-maintient à la tête d'un système vidé de sens, par peur de sa propre disparition symbolique.

Le refus du réel, le déni de l'échec, la certitude d'incarner la nation, tous les ingrédients du narcissisme pathologique sont là. Et comme toujours dans ces configurations, la mise en scène du désordre précède la proclamation de l'ordre nouveau. Macron a compris qu'il n'a plus de légitimité populaire ; il ne lui reste donc que la légitimité du chaos, celle qu'on impose au nom de la stabilité.

Pendant que la France débat des apparences, le réel se dissout. Les institutions sont devenues des décors : l'Assemblée, un plateau de télévision ; les médias, un chœur antique qui récite la morale officielle. Tout le monde joue son rôle : l'indignation, la gravité, la colère, la résignation. Ce théâtre permanent n'a plus qu'un but : faire durer l'illusion du mouvement démocratique pendant que les leviers réels du pouvoir se concentrent ailleurs.

Et cette concentration n'est plus seulement politique. Elle est psychologique, idéologique, technologique. Le pouvoir n'est plus incarné par une fonction, mais par un individu qui se considère comme indispensable à la cohésion d'un monde qu'il a lui-même détruit depuis 8 ans.

Tous les chemins mènent désormais à l'article 16. 2

Cette disposition, inscrite dans la Constitution de 1958, permet au président de la République de s'arroger les pleins pouvoirs «en cas de crise grave menaçant la République».
De Gaulle y avait eu recours en 1961, face au putsch des généraux 3, mais aujourd'hui, la menace ne vient pas des casernes : elle est fabriquée à l'intérieur même du système, par un désordre orchestré.

La mécanique est limpide :

  1. créer une situation de blocage ;
  2. dramatiser le chaos ;
  3. présenter la concentration des pouvoirs comme l'unique issue.

Le rejet de la motion n'est qu'un jalon de plus dans cette progression. Le message envoyé est clair : «Voyez comme l'Assemblée est impuissante ; voyez comme la République se paralyse ; il faut donc que quelqu'un tranche». Et ce quelqu'un, bien sûr, se tient déjà prêt.

L'histoire a souvent tendance à se répéter car elle obéit à des structures récurrentes. Entre 1930 et 1933, la République de Weimar a connu la même lente descente aux enfers nazis : D'abord la crise économique suivie de la perte de confiance, ensuite les divisions politiques et usage croissant des décrets d'urgence fondés sur l'article 48 4. Les «mesures exceptionnelles», présentées comme temporaires, devinrent la norme. Le Parlement, affaibli, finit par céder aux sirènes de l'efficacité et voter les pleins pouvoirs à un homme qui promettait de restaurer l'ordre. Le reste appartient à l'Histoire qu'on croit connaître et qui pourtant n'est pas exactement la réalité profonde, mais ceci est un autre volet.

Ce qui importe ici, ce n'est pas la comparaison des individus, mais la ressemblance des logiques : quand une démocratie s'épuise, quand ses citoyens n'y croient plus, quand les institutions ne produisent plus que du bruit, alors l'homme fort devient la solution.

Et c'est précisément dans cet instant de lassitude collective que naissent les basculements.

Le 16 octobre a montré que la France n'est plus dirigée, elle est mise en scène. Les crises ne sont plus subies, mais produites. Elles servent à maintenir le peuple dans un état d'incertitude contrôlée : trop inquiet pour se révolter, trop désabusé pour espérer.
C'est cela, le véritable «ordre nouveau» : une stabilité dans le déséquilibre, une gouvernance par la peur et par la fatigue.

Ce n'est pas un hasard si le discours du pouvoir reprend sans cesse les mêmes termes : «responsabilité», «stabilité», «sécurité». Ce sont les mots qu'on prononce avant de fermer une porte.

J'en reviens à ce que j'ai écrit au début, ce qui se joue à Paris dépasse Paris car une France en état d'exception entraînerait l'ensemble du continent dans sa chute symbolique. En effet, si la «patrie des droits de l'homme» peut suspendre les siens sans réaction, alors plus rien ne protège les autres. L'Europe, déjà affaiblie par la technocratie, la guerre économique et la peur de l'avenir, verrait dans ce précédent une autorisation morale à basculer vers l'exception permanente.

Le danger n'est plus militaire, il est psychologique et narratif. Les peuples n'ont plus peur de la guerre, ils ont peur du vide, et ceux qui maîtrisent la peur contrôlent le réel.

Le rejet de la motion n'est pas une fin, c'est le point de non-retour. Le scénario avance, et il avance vite : chaque crise future, qu'elle soit économique, énergétique ou sociale, pourra désormais servir de prétexte à la proclamation d'un état d'exception. Quand l'article 16 sera activé, il ne sera pas vécu comme un coup d'État car il sera présenté comme étant une délivrance. C'est là le triomphe ultime du spectacle : faire applaudir sa propre disparition.

L'histoire est en train de se rejouer sous nos yeux, non pas comme une farce, mais comme une répétition générale avant la vraie représentation, et dans ce théâtre sans sortie, la seule question qui demeure est celle-ci : jusqu'où un pouvoir peut-il aller pour se sauver de lui-même ?

La réponse, nous la connaissons déjà : jusqu'à tout brûler, s'il n'est pas arrêté à temps.

 Serge van Cutsem

  1. Guy Debord, «La Société du Spectacle», Buchet-Chastel, 1967
  2.  Article 16 de la Constitution française, Journal Officiel, 4 octobre 1958
  3. Archives nationales, Dossier «Article 16 - Crise d'avril 1961»
  4. Reichsverfassung, 11 août 1919, article 48

 reseauinternational.net