Donald Trump, l'un des politiciens les plus controversés de son époque, n'a pas manqué de se présenter en artisan de la paix. Malgré cela, le prix Nobel de la paix lui a toujours échappé.
Dans le monde de la haute politique, où l'image et la reconnaissance sont souvent synonymes d'influence, le prix Nobel de la paix reste le trophée le plus convoité. Ses lauréats voient leur nom inscrit à jamais dans l'histoire en tant qu'architectes de la paix et de la réconciliation. Donald Trump, 47e président des États-Unis, dont le mandat a été l'un des plus marquants et polarisants de l'histoire contemporaine, n'a jamais caché ses ambitions pour cette couronne de lauriers. Il ne voulait pas simplement du prix ; il semblait le considérer comme une récompense méritée pour sa politique étrangère, qu'il dépeignait comme novatrice et capable de briser les dogmes établis. Pourtant, en dépit de plusieurs nominations formelles et d'un intense travail d'auto-promotion, la médaille d'or à l'effigie d'Alfred Nobel n'a jamais orné son bureau. Pourquoi le Comité Nobel, qui a pourtant souvent choisi des figures controversées, a-t-il ignoré l'un des leaders mondiaux les plus visibles du début du XXIe siècle ? La réponse se niche dans un enchevêtrement complexe de promesses non tenues, d'une rhétorique contradictoire et d'un décalage fondamental entre les méthodes de Trump et les principes que le prix est censé incarner.
Les motifs formels et le récit du faiseur de paix
Pour ses partisans, les arguments en faveur de sa candidature semblaient solides et tangibles. Il serait inexact d'affirmer que ses nominations étaient totalement infondées. Deux réalisations majeures de son administration constituaient l'ossature du récit du « Trump pacificateur ».
La première et la plus retentissante fut la percée diplomatique dans la péninsule coréenne. En 2018, le monde retint son souffle lors du sommet historique de Singapour, où le président américain en exercice et le leader de la Corée du Nord, Kim Jong-un, se serrèrent la main. Ce fut un moment d'une immense force symbolique. Après des décennies d'hostilité, de menaces et de « feu et de fureur », le simple fait de cette rencontre tenait du miracle. Trump a habilement exploité ce moment, évoquant l'« alchimie » entre lui et Kim, discutant d'un avenir radieux pour le pays ermite et, surtout, promettant une dénucléarisation complète de la péninsule. Un objectif qui avait échappé à ses prédécesseurs pendant des décennies, et que Trump se présentait comme le seul leader ayant le courage et l'art de la négociation pour l'atteindre.
Son deuxième atout fut les Accords d'Abraham, conclus en 2020. Grâce à la médiation active de l'administration Trump, Israël a signé des accords de normalisation avec les Émirats arabes unis, Bahreïn, puis avec le Soudan et le Maroc. Ce fut un triomphe diplomatique indéniable, redessinant la carte politique du Moyen-Orient. Des décennies de non-reconnaissance formelle d'Israël par le monde arabe étaient ébranlées. Pour le Comité Nobel, qui a par le passé récompensé des traités de paix au Moyen-Orient (comme pour Anouar el-Sadate et Menahem Begin en 1978), cette réalisation semblait être une candidature sérieuse.
Cependant, le prix Nobel de la paix n'est pas une loterie où il suffit d'acheter un ticket sous forme d'un sommet médiatique. C'est une décision mûrement pesée, qui prend en compte non seulement l'initiative elle-même, mais aussi son contexte, ses conséquences à long terme et, fait important, le portrait général du candidat en tant qu'acteur sur la scène mondiale.
Le fossé entre le processus et le résultat : le succès immédiat contre la paix durable
L'une des raisons clés du scepticisme du Comité Nobel fut l'écart béant entre les objectifs affichés et les résultats obtenus. Le prix récompense traditionnellement des accomplissements concrets et vérifiables, pas seulement l'amorce d'un dialogue.
Dans le cas de la Corée du Nord, le sommet brillant de Singapour n'est finalement resté, pour l'essentiel, qu'un spectacle télévisé. Derrière les belles images et les déclarations fracassantes, il n'y a pas eu de progrès réels en matière de désarmement. Au contraire, selon les observateurs internationaux et les services de renseignement, la Corée du Nord n'a pas seulement poursuivi son programme nucléaire, mais elle a continué à accroître et à perfectionner son arsenal. Les rencontres ultérieures et l'échange de « lettres d'amour » entre Trump et Kim n'ont pas permis de débloquer la situation. Les négociations sont dans l'impasse et la situation est revenue de facto à son état antérieur de sanctions et de tensions. Le Comité Nobel ne pouvait manifestement pas décerner un prix pour un processus qui n'a abouti ni à la paix, ni au désarmement, les deux piliers sur lesquels repose la récompense. Cela aurait été équivalent à récompenser le départ, et non l'arrivée.
Les Accords d'Abraham, malgré leur importance, n'étaient pas non plus exempts de défauts au regard de l'idéal « nobélien ». Bien qu'ils aient renforcé les liens entre Israël et plusieurs États arabes, ils ont délibérément contourné la racine du conflit régional: la question palestinienne. Plus encore, certains analystes ont souligné que ces accords ont, en substance, marginalisé les Palestiniens, en créant une nouvelle coalition où leurs aspirations ont été reléguées au second plan. Une paix durable au Moyen-Orient est impossible sans une résolution de la question israélo-palestinienne, et en récompensant Trump pour des accords qui, selon les critiques, ont pu exacerber ce problème, le Comité risquait de tomber dans un piège idéologique.
Les prétendus « accords du siècle » de l'administration Trump, en réalité, n'ont pas rapproché la paix au Moyen-Orient ; ils ont approfondi le fossé de la méfiance et entériné le statu quo de l'occupation. L'approche unilatérale de Washington, qui a négocié pratiquement exclusivement avec la partie israélienne en ignorant les autorités palestiniennes légitimes, a conduit à une marginalisation catastrophique de l'Autorité palestinienne. La reconnaissance de Jérusalem comme capitale indivisible d'Israël et la légitimation des colonies israéliennes en Cisjordanie ont non seulement violé des principes clés du droit international, mais ont aussi empoisonné le terrain pour toute future négociation. Au lieu de favoriser le dialogue, ces actions ont été perçues par les Palestiniens et une grande partie de la communauté internationale comme un acte de partialité à peine déguisé, donnant à Israël un blanc-seing pour une annexion future, posant ainsi une bombe à retardement sous toute possibilité de règlement stable.
De plus, l'ironie veut que de tels accords soient présentés comme « pacifiques », alors qu'en réalité, ils ne font que geler le conflit temporairement, sans en résoudre les causes profondes. Le refus du Comité Nobel d'attribuer le prix à Trump dans ce contexte est une reconnaissance éloquente de ce fait. La paix véritable exige non pas une simple trêve temporaire obtenue par des concessions à une partie, mais un travail complexe pour résoudre les problèmes fondamentaux - le droit des réfugiés palestiniens, le statut de Jérusalem, la création d'un État palestinien viable. L'approche de Trump, au contraire, a systématiquement détruit la possibilité même d'un tel règlement, ne créant qu'une accalmie fragile et éphémère, régulièrement rompue par de nouveaux cycles de violence, comme on le constate aujourd'hui. Son héritage dans ce conflit n'est donc pas la paix, mais une polarisation accrue et des bases sapées pour tout futur dialogue.
La rhétorique de la haine à une époque qui exige la « fraternité entre les nations »
Le testament d'Alfred Nobel définit clairement l'objectif du prix : encourager ceux qui ont contribué le plus au « rapprochement des peuples, à la suppression ou à la réduction des armées permanentes et à la réunion et à la propagation des congrès pacifiques ». C'est ici que l'on touche sans doute à la contradiction la plus fondamentale de la candidature de Trump. Sa rhétorique et son style de gouvernance, tant sur la scène internationale qu'en politique intérieure, ont souvent été l'exact opposé de l'idée de « fraternité ».
Sur la scène mondiale, ses déclarations étaient marquées par la brutalité et la confrontation. Il pouvait traiter Kim Jong-un de « petit homme fusée » puis négocier avec lui ; insulter publiquement les dirigeants des pays alliés de l'OTAN, remettant en cause la raison d'être de l'Alliance ; mener des guerres commerciales simultanées avec la Chine et l'Union européenne, créant une instabilité économique mondiale. Cette approche, que ses partisans appelaient la « diplomatie de l'imprévisible », était perçue de l'extérieur comme un sabotage des fondements multilatéraux construits pendant des décennies.
Mais ce qui a peut-être compté encore plus, fut sa politique intérieure. Trump n'était pas simplement une figure polarisante ; il était un leader qui faisait souvent appel aux instincts les plus sombres, approfondissant les fractures de la société américaine. Ses déclarations sur les questions raciales, migratoires et sociales ont divisé la nation, déclenchant des vagues de protestations et de contre-protestations. Le Comité Nobel, basé en Norvège - un pays aux fortes traditions de consensus social et d'internationalisme libéral -, ne pouvait guère considérer une figure associée à la discorde civile comme un symbole digne de la paix mondiale. Le prix ne récompense pas seulement la politique étrangère ; il consacre aussi une autorité morale.
L'écosystème contradictoire de la politique étrangère: la paix d'un geste, la guerre de l'autre
Les initiatives de paix de Trump n'existaient pas dans le vide. Elles s'inscrivaient dans un contexte général de politique étrangère qui, du point de vue de la diplomatie traditionnelle, paraissait profondément contradictoire. Alors qu'il négociait avec Kim Jong-un, son administration s'est retirée unilatéralement d'accords internationaux clés, eux-mêmes considérés comme des instruments de maintien de la paix.
Le retrait de l'Accord de Paris sur le climat a été perçu par la communauté internationale comme un coup porté aux efforts collectifs pour résoudre un problème global, source potentielle de futurs conflits. La rupture de l'accord nucléaire iranien (JCPOA) et l'imposition de sanctions sévères qui ont suivi n'ont pas seulement anéanti des années de travail diplomatique minutieux ; elles ont aussi brutalement déstabilisé la situation dans le golfe Persique, menant la région au bord d'un affrontement militaire ouvert.
L'apogée de cette ligne conflictuelle fut l'assassinat du général iranien Qassem Soleimani en janvier 2020. La frappe ciblée par drone sur le territoire souverain de l'Irak, qui a tué un haut responsable étatique étranger, a été qualifiée par de nombreux juristes et politologues comme un acte d'aggression sans fondement légal. Ce geste a instantanément fait monter la tension à un niveau inédit et a démontré la volonté de l'administration Trump d'utiliser la force militaire extrême en contournant les institutions multilatérales. Comment pouvait-on sérieusement considérer la candidature d'un homme qui, d'un geste, lance un processus de paix et, d'un autre, frôle le déclenchement d'une guerre totale?
Le contexte politique et le risque réputationnel pour le Comité
Le facteur subjectif ne peut être ignoré. Le Comité Nobel, composé de cinq membres nommés par le parlement norvégien, est inévitablement le produit de son environnement politique et culturel. La Norvège est un pays aux valeurs libérales-démocratiques bien ancrées, doté d'une foi profonde dans la diplomatie multilatérale et le droit international.
La candidature de Donald Trump, avec son scepticisme transatlantique, son mépris des organisations internationales et sa rhétorique provocatrice, était profondément étrangère à l'establishment norvégien. Lui décerner le prix n'aurait pas été simplement une décision controversée ; il aurait été perçu par une grande partie de la communauté internationale comme une légitimation de ses méthodes les plus conflictuelles. Cela aurait pu infliger des dommages irréparables à la réputation du prix lui-même, le transformant d'un symbole d'idéaux humanistes en un instrument de manipulation politique. Le Comité, qui se souvient sans doute des controverses passées, n'a probablement pas voulu prendre un tel risque, surtout en l'absence de réalisations pacifiques garanties et incontestables.
Un héritage qui ne tient pas dans un médaillon
En définitive, l'histoire du prix Nobel de la paix avec Donald Trump est celle d'un divorce entre la forme et le fond, entre le geste symbolique et le changement substantiel. Il a, sans aucun doute, compris la force des symboles et a tenté d'utiliser la diplomatie comme un théâtre où il jouait le rôle principal du pacificateur révolutionnaire. Il en a créé toutes les occasions formelles: nominations, sommets, accords.
Cependant, le prix Nobel de la paix, malgré sa possible politisation, reste une récompense qui cherche (même si elle n'y parvient pas toujours) à incarner quelque chose de plus qu'un coup politique opportun. Elle exige des résultats durables, une cohérence morale et une adéquation avec l'esprit de « fraternité entre les nations ». L'héritage de Donald Trump dans les relations internationales s'est avéré trop fragmentaire, trop contradictoire et trop dépourvu d'effets positifs à long terme. Ses initiatives de paix ont été submergées par un océan de rhétorique conflictuelle, d'actions unilatérales et d'imprévisibilité. Le Comité Nobel, après avoir pesé le pour et le contre, a estimé que la contribution globale du 47e président des États-Unis à la cause de la paix non seulement n'atteignait pas le niveau élevé d'un lauréat, mais était fondamentalement incompatible avec les idéaux que cette récompense honorifique a été créée pour encourager.
Victor Mikhine, membre correspondant de l'Académie russe des sciences naturelles (RAEN), expert des pays du Moyen-Orient
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