
Par Vijay Prashad, le 18 octobre 2025
tant que les dirigeants politiques palestiniens ne sont pas libérés.
Peu à peu, l'ampleur des ravages infligés par Israël à Gaza transparaît clairement. Le Bureau central palestinien des statistiques (PCBS) a publié un rapport au moment du cessez-le-feu, révélant que les bombardements israéliens sur Gaza ont entraîné la destruction totale de 190 115 bâtiments et la destruction quasi totale de 330 500 autres logements. Les tirs d'artillerie et les frappes aériennes incessants au cours des 734 jours du génocide ont également détruit 85 % du réseau public d'approvisionnement en eau et d'assainissement de la ville. Au moment du cessez-le-feu, un seul établissement médical était encore ouvert dans la ville de Gaza, 94 % des hôpitaux et cliniques ayant été détruits ou gravement endommagés. Selon le PCBS, Gaza est actuellement inhabitable.
Il est impossible de connaître l'étendue totale des traumatismes physiques et psychologiques subis par la population de Gaza : le ministère de la Santé ne dispose pas de chiffres suffisants sur le nombre de morts et de blessés, et l'ampleur de ces traumatismes ne pourra être évaluée qu'au fil des années, si les experts peuvent effectivement retourner sur place. Les Nations unies rapportent que leur dispositif de protection de l'enfance à Gaza est "pratiquement anéanti" et que les enfants sont particulièrement vulnérables. L'ONU note également qu'un bébé sur cinq à Gaza naît prématurément ou en sous-poids, et qu'en juin 2025, 11 000 femmes enceintes souffraient de famine et 17 000 autres de malnutrition aiguë, sans pouvoir bénéficier d'une aide suffisante.
Le coût de la reconstruction
Permettre aux survivants du génocide de se reconstruire est une tâche dont l'ampleur n'a pas encore été pleinement comprise. Depuis que le Hamas a remporté les élections législatives de 2006, Gaza est pilonnée par Israël. Les attaques ponctuelles d'Israël contre la population palestinienne et les infrastructures de Gaza, y compris les quasi-génocides de 2009 et 2014, ont été suivies d'importants projets de reconstruction, financés en grande partie par les pays arabes du Golfe (sous la houlette du Qatar) et par l'Union européenne. Lors de la conférence du Caire sur la reconstruction de Gaza en 2014, les donateurs ont promis 5,4 milliards de dollars, mais n'en ont déboursé que 2,6 milliards, en partie à cause des réticences d'Israël concernant les modalités de reconstruction de Gaza.
En février 2025, l'ONU, l'Union européenne et la Banque mondiale ont publié une évaluation préliminaire des préjudices et des besoins, estimant qu'il faudra 53,2 milliards de dollars sur dix ans pour relancer l'économie et reconstruire les infrastructures, et 20 milliards de dollars au cours des trois prochaines années pour rétablir les services essentiels. Un rapport égyptien parvenu aux mêmes conclusions estime que 53 milliards de dollars seront nécessaires, mais sur cinq ans. Tous les regards se tournent vers les États du Golfe comme potentiels contributeurs, mais les Palestiniens peuvent difficilement compter sur eux. Personne en revanche n'évoque la responsabilité d'Israël à payer pour la reconstruction, alors que c'est bien l'État hébreu qui a réduit Gaza en ruines.
Le politicide des Palestiniens
Si aucune voix ne se fait clairement entendre pour exiger des réparations de la part d'Israël, c'est en partie parce que la politique palestinienne elle-même a été affaiblie par des décennies d'occupation et par la politique israélienne d'assassinats ciblés et d'incarcération des dirigeants palestiniens populaires. Sur les cinq principales factions, les dirigeants les plus populaires sont emprisonnés depuis plus de deux décennies : Marwan Barghouti, le leader palestinien le plus populaire et l'une des figures clés du Fatah et de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP), est prisonnier politique depuis vingt-trois ans et six mois, tandis qu'Ahmad Sa'adat, le leader du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), est emprisonné depuis vingt-trois ans et huit mois. Les dirigeants du Hamas et du Jihad islamique ont été régulièrement exilés ou tués à Gaza (le fondateur du Hamas, Cheikh Ahmed Yassin, a ainsi été tué par une frappe israélienne à Gaza en mars 2004, suivi par Abdel Aziz al-Rantisi en avril de la même année. Ces dernières années, une vague d'assassinats a également frappé le mouvement, notamment Saleh al-Arouri, Muhammad Ismail Darwish, Osama Mazini, Ismail Haniyeh et Yahya Sinwar).
Entre la prison et les bombes, la quasi-totalité de la direction des principaux partis politiques palestiniens a été décimée. Les quatorze dirigeants palestiniens qui se sont rendus à Pékin en 2024 pour signer un accord commun représentaient certes leurs organisations, mais n'étaient pas les personnalités les plus connues ou les plus populaires, telles que Mahmoud al-Aloul du Fatah, souvent considéré comme le successeur de Mahmoud Abbas, Musa Abu Marzouk, fréquemment présenté comme le ministre des Affaires étrangères du Hamas, ou encore Jamil Mazhar, dirigeant du FPLP. L'importance des pourparlers entre les quatorze partis aurait pu être amplifiée si Marwan Barghouti et Ahmad Sa'adat avaient été présents à la table des négociations. Mais Israël ne les libèrera pas, même si les Palestiniens continuent de les placer en tête de leurs listes d'échange de prisonniers. Israël sait qu'en continuant à décapiter la direction politique palestinienne, les Palestiniens dépendront davantage de la présidence entachée d'Abbas, des pays arabes du Golfe et des voisins arabes sans envergure (tels que l'Égypte et la Jordanie). Personne ne parlera directement au nom des Palestiniens ou de la nécessité de mettre fin à l'occupation. Ils ne parleront que de la reconstruction de la manière la plus modérée possible pour les réfugiés, ainsi que de garanties de sécurité pour les Israéliens, afin que ces derniers puissent poursuivre leur occupation.
Qui peut parler au nom des Palestiniens ?
On ne peut reprocher à Yasser Arafat, le dirigeant de l'OLP, d'avoir renoncé aux positions palestiniennes lors des accords d'Oslo en 1994. Ce serait faire fi de son rôle, qui s'est imposé lorsqu'il a fondé l'OLP, trente ans auparavant, en 1964, au Koweït. Jusqu'à la fin des années 1980, il a incarné la cause palestinienne et, quelles que soient les divergences entre factions, il s'exprimait au nom du peuple palestinien en tant que porte-parole incontesté. Depuis Oslo, et le discrédit jeté sur Arafat, aucune personnalité politique n'a pu exprimer la position palestinienne lors de négociations ou de pourparlers. La politique israélienne d'incarcération et d'assassinat des dirigeants palestiniens, mais aussi de diabolisation des organisations politiques palestiniennes (toutes qualifiées de terroristes), a privé le peuple palestinien de personnalités susceptibles de prendre la place d'Arafat.
D'autres parlent donc au nom de la Palestine et détournent souvent la vision palestinienne, car sans rencontres régulières entre différentes factions et en l'absence de leurs principaux dirigeants politiques à la table des négociations, elle ne peut être démocratiquement établie. Israël le sait très bien, et c'est la raison pour laquelle il détient illégalement des prisonniers politiques pendant des décennies, sans leur permettre l'accès aux médias ou à leurs pairs, et assassine tout leader, même secondaire, présentant les qualités de porte-parole charismatique de la cause palestinienne (comme Abu Ali Mustafa du FPLP en 2001 et Salah Shehade du Hamas en 2002).
Depuis des décennies, les Israéliens se plaignent de l'absence de "partenaire pour la paix" côté palestinien. Mais comment trouver un "partenaire pour la paix" quand les dirigeants politiques palestiniens sont régulièrement assassinés ou maintenus en détention dans des conditions effroyables pour de prétendues raisons administratives - et non pénales ? Affirmer que toutes les factions palestiniennes sont des organisations terroristes, comme l'ont fait les Israéliens avec le soutien total des États-Unis, revient à délégitimer l'ensemble de la politique palestinienne. C'est la raison pour laquelle les Israéliens, les États-Unis et les pays arabes du Golfe sont tout à fait disposés à débattre de la reconstruction de Gaza sans aucune représentation palestinienne à la table des négociations. En effet, même le plan égyptien, qui préconise la participation palestinienne, se contente de mentionner une présence de "professionnels palestiniens" et non d'organisations politiques représentant les intérêts du peuple palestinien. L'objectif systématique de délégitimation de la politique palestinienne permet à Israël de décider quand bombarder les Palestiniens et comment reconstruire leurs habitats avec l'argent des pays arabes du Golfe. Israël a tout intérêt à éviter toute représentation palestinienne à la table des négociations.
Libérez Barghouti et Sa'adat !
Mais en réalité, la résilience inébranlable des factions palestiniennes frustre les ambitions d'Israël. Les organisations politiques sont toujours actives et revendiqueront leur rôle dans la reconstruction de Gaza ainsi que dans toutes les négociations concernant la Palestine. Il est certes facile pour le gouvernement américain de désigner unilatéralement le groupe de son choix comme organisation terroriste, tout comme il est facile pour Israël (et 'Union européenne) d'en faire autant. Les Nations unies n'ont jamais inscrit de groupe palestinien sur leur liste de sanctions ni désigné de groupe palestinien comme organisation terroriste. Malgré la vision réductrice de l'Occident qui considère le Hamas ou le FPLP comme des organisations terroristes, la plupart des pays du monde ne partagent pas cet avis. Pour eux, ce sont des groupes politiques, voire des groupes de libération nationale en lutte pour l'émancipation des Palestiniens de l'apartheid, de l'occupation et, aujourd'hui, du génocide. Le rôle prépondérant des États-Unis et de l'Union européenne dans le soutien à Israël exclut souvent les organisations palestiniennes des négociations sur l'avenir de la Palestine. En d'autres termes, la Palestine ne peut plus prendre part aux décisions sur son propre avenir.
La solution passe par la libération des dirigeants politiques, comme Marwan Barghouti et Ahmad Sa'adat, pour permettre à leurs organisations de délibérer librement sur l'avenir de la Palestine, mais aussi de représenter ces points de vue à la table des négociations et de la reconstruction. Tout autre scénario se résumera inévitablement à la poursuite du génocide sous une autre forme.
Traduit par Spirit of Free Speech