
Par Abdaljawad Omar
Deux ans plus tard, le souvenir du 7 octobre revient à la fois comme une catastrophe et une ouverture, nous rappelant que la résistance et la capitulation sont deux choix hantés par la défaite. Mais deux ans plus tard, nous avons également appris autre chose : ils peuvent être vaincus.
Ce matin, l'armée israélienne est entrée dans al-Bireh, au cœur de Ramallah, en Cisjordanie occupée. Non pas parce qu'elle en avait besoin, mais parce qu'elle y était obligée.
Des coups de feu ont été tirés. Des jeunes hommes ont été rassemblés et conduits dans le bâtiment scolaire appelé al-Mughtaribin, « les exilés ». Comment le langage conspire avec l'histoire : l'exil les rassemble même dans leur nom.
La raison pour laquelle l'armée était là avait beaucoup moins à voir avec des objectifs de « sécurité » qu'avec la date.
Le 7 octobre... Amplifiée par la répétition des massacres, mais refusant cette fois-ci de s'inscrire dans le rituel de la « routine », cette date a contraint l'armée à agir, non pas par stratégie, mais par nécessité de nous faire oublier ce jour.*
Et, ironiquement peut-être, ils avaient besoin de nous rappeler de l'effacer de notre mémoire.
L'opération du matin était destinée à choquer, mais elle a fini par se fondre dans la longue archive des matins déjà vécus. Tout en elle était ritualisé : les bottes, les radios, les fusils inclinés juste comme il faut. Elle ne choque pas précisément parce qu'elle choque constamment.
Mentionner le 7 octobre devant un fragile rassemblement d'hommes en uniforme, le corps raide d'autorité et de fatigue, c'est tenter leur pulsion d'humilier, de mutiler et de tuer. La date elle-même devient un déclencheur, le mot trop lourd pour que leurs armes ne répondent pas.
La blague d'aujourd'hui est simple : si vous êtes arrêté à un poste de contrôle et que les hommes en uniforme vous demandent la date avec cet ennui caractéristique qui comporte une menace silencieuse, répondez de manière créative. Donnez la date du calendrier islamique. Donnez la date du calendrier juif. Inventez une autre année. Tout sauf ce jour-là. Vous devez l'expulser de votre discours.
À première vue, la blague - « ne dites pas 7 octobre, donnez-leur n'importe quelle autre date » - apparaît comme une tactique de survie, une petite stratégie de tromperie face à la violence arbitraire. Pourtant, comme pour toutes les blagues, la vérité ne réside pas dans son apparence, mais dans sa structure.
Que signifie « se souvenir pour oublier » ? Se discipliner pour ne jamais prononcer cette date ? L'effort pour bannir le 7 octobre du langage le rend inoubliable.
Pour l'oublier correctement, il faudrait cesser de surveiller sa langue. Il faudrait cesser de construire des détours élaborés - calendrier islamique, calendrier juif, chiffres inventés - mais le fait que l'on ne puisse pas simplement laisser passer cela, prouve que la date est ancrée dans l'inconscient.
Ironiquement, de façon obsessionnelle, l'insistance israélienne rend l'oubli impossible. À travers chaque opération, chaque poste de contrôle, chaque rituel de domination, ils deviennent les gardiens de cette date. Ce sont eux qui la répètent sans cesse, assurant paradoxalement sa présence.
Ils ont détruit Gaza, rasé ses bâtiments, tué toute possibilité de vie, mais ils ne peuvent pas tuer la date. La dévastation matérielle est totale, mais le chiffre persiste. Plus la destruction est complète, plus la date devient spectrale, comme un résidu qui résiste à l'extermination.
Et tandis que nous apprenons à oublier, en mettant en scène les rituels de contrition, nous, ceux qui sommes écrasés sous leurs bottes, devenons des archivistes malgré nous, les gardiens de ce qui ne doit pas être dit. Dans le silence, la mémoire se calcifie. Dans l'évitement, elle se préserve. Le refus de prononcer le 7 octobre devient sa citation la plus rigoureuse.
Génocide et résistance dans un monde qui n'est pas le nôtre
Je ne sais pas comment les historiens jugeront cette date. Peut-être comme le début de la spirale vers la monstruosité et les formes extrêmes du techno-fascisme qui se nourrissent des décombres et de la chair déplacée.
Ou peut-être comme les premières fissures dans un rouleau compresseur impérial et son avant-poste, le signe de la fin de leur permanence imaginaire.
Et peut-être comme notre fin - nos corps éparpillés, dispersés, mutilés au point d'être méconnaissables.
Et peut-être comme autre chose : l'endurance de l'insupportable, la persistance de ce qui était destiné à être effacé, la résurrection d'un peuple qui refuse de disparaître. Je ne sais pas.
Cette incertitude est elle-même le symptôme de l'intervalle. Être sûr, c'est plaider en faveur de l'inévitable. Mais ici, rien n'est réglé. Les questions restent ouvertes, tout comme le génocide. Les plaies ouvertes de la Palestine ne se referment pas ; elles s'aggravent.
Deux ans plus tard, nous avons tiré de nouvelles leçons.
Les « peuples » - oui, ce mot très abstrait - peuvent néanmoins être guidés vers la vérité. Non pas par des plans ou des décrets, mais par la clarté insupportable d'une catastrophe vécue, par les ruines qui ne laissent aucune place à l'euphémisme.
Les intellectuels, les politiciens, les journalistes : ils se révèlent beaucoup plus résistants. Ils peuvent voir ce qu'ils voient, ils peuvent savoir ce qu'ils savent, mais ils sont formés à l'art de l'esquive. Le déni, le rejet, la gestion prudente de la reconnaissance - tels sont leurs talents. Ils ne se contentent pas de ne pas parler ; ils cultivent le silence.
Deux ans plus tard, nous avons également appris autre chose : que nos vies n'ont pas d'importance. Elles peuvent être mises en scène comme des accessoires, détruites par les bombes, laissées à pourrir sans témoin.
S'il y a jamais eu une foi dans le progrès de l'humanité - et je parle ici du portrait que l'Europe se fait d'elle-même -, cette foi est tuée chaque jour, à chaque frappe, à chaque déni, à chaque silence.
Nous avons également appris que notre ennemi est fragile, sensible au plus profond de lui-même. À la fois puissant au-delà de toute reconnaissance et pourtant perpétuellement tremblant, incertain de sa propre permanence. Sa force ne se mesure pas à sa stabilité, mais à son expertise en matière de démolition et à son art de réduire la vie en ruines.
Cette violence, exercée sans hésitation ni remords, est moins l'expression d'une certitude que d'une anxiété. C'est la mise en scène d'un fantasme sioniste intenable de domination totale, qui doit être défendu sans relâche parce qu'il ne peut se suffire à lui-même.
Nous avons également appris - ou peut-être réappris - que ce monde n'est pas le nôtre. Son immensité, sa joie, son amour, tout cela apparaît différemment lorsque nous y sommes confrontés.
Pour nous, le monde n'a que peu de place. Ses espaces sont construits pour paraître contemporains, modernes, ouverts.
Et pourtant, sous le vernis, l'ancienne architecture persiste : exploitation, racialisation, exclusion. Et plus profondément encore, subsiste une nostalgie coloniale pour le massacre ininterrompu et impénitent de l'autre. C'est cette nostalgie que la modernité n'a jamais abandonnée, mais seulement dissimulée.
Nous aussi avons craqué sous la pression. Nous avons compris que ni la résistance, ni la capitulation ne mènent nécessairement au salut. Tout ce qu'offre la résistance, c'est une chance que la vie puisse continuer, même si ce n'est que par fragments.
La capitulation, en revanche, efface ce qui reste - elle anéantit non seulement le corps, mais aussi le droit même à l'existence. Entre ces deux voies, il n'y a aucune promesse, seulement le poids insupportable du choix et la certitude que toutes deux sont hantées par la mort.
Nous avons également appris quelque chose, et c'est peut-être la leçon la plus importante : ils peuvent être vaincus.
Pas seulement dans un avenir imaginaire, mais hier, aujourd'hui et demain - toujours. Vous pouvez le voir si vous regardez de près. Je l'ai vu ce matin dans leurs yeux, dans leur attitude lorsqu'ils ont procédé à une arrestation.
Leurs mouvements les trahissaient : leur raideur, leur emprise excessive sur leurs armes, la violence répétée qui masquait leur peur. Sous le spectacle du pouvoir se cache une fragilité, un malaise impossible à dissimuler. Malgré toutes leurs armes, leurs machines, leurs prétentions à la permanence, ils restent vulnérables, et c'est cette vulnérabilité qui révèle la vérité : ils peuvent être vaincus.
En fin de compte, le 7 octobre nous habite moins comme une date que comme une structure : l'interruption qui refuse de disparaître. Le vivre, c'est apprendre que l'histoire elle-même est instable, que le génocide reste ouvert, que la résistance reste sans garantie.
Le même monde qui nous expulse, qui insiste sur le fait que nous n'avons pas notre place dans sa modernité, ne peut supprimer les résidus de ce que nous portons en nous : l'insistance de la vie, l'endurance insupportable qui transforme même le silence en archive.
C'est pourquoi le souvenir du 7 octobre revient sans cesse, à la fois comme une catastrophe et comme une possibilité.
C'est la blessure qui s'aggrave et l'horizon entrevu à travers la blessure. C'est la compulsion de l'empire et la vérité murmurée de sa défaite. L'oublier est impossible. En parler est dangereux. Mais vivre avec, c'est insister sur le fait que même dans les ruines, un autre monde se presse contre le présent, un monde qui n'a pas encore été éteint et qui refuse de disparaître.
Aujourd'hui, la blague consiste à se souvenir d'oublier le 7 octobre.
Auteur : Abdaljawad Omar
* Abdaljawad Omar est un écrivain et un conférencier basé à Ramallah, en Palestine. Il enseigne actuellement au département de philosophie et d'études culturelles de l'université de Birzeit.
7 octobre 2025 - Mondoweiss - Traduction : Chronique de Palestine - YG