28/10/2025 reseauinternational.net  3min #294619

Crédit sur du vide : « Ils mourront sans panache »


Arnold Böcklin - L'Île des morts (1880)

Ils avancent, lentement, à la cadence sourde d'un vieux monde qui s'éteint. Rien ne brille plus. Rien ne surgit. Juste des miettes de jours, de gestes, d'heures perdues, éparpillées sur la table sale du quotidien. L'air est figé, saturé d'une lourdeur qui colle aux âmes. Ils ne marchent pas : ils dérivent. Mous par habitude.

Autour d'eux, un voile gris s'est refermé. Les contours s'effacent. Le monde d'avant n'est plus qu'une silhouette tremblante dans la brume. L'effondrement, ils ne le voient pas venir. Et pourtant, il est là. Silencieux. Sans éclat, sans fracas. Une lente désintégration, implacable, projetée en sourdine sur l'écran pâle de leur quotidien. Ils sont tous concernés, riches ou pauvres, éveillés ou résignés. Personne n'y échappera. Alors, ils réduisent la voilure. Ils apprennent à survivre, à se contenter. À rapetisser leurs rêves jusqu'à les faire tenir dans une boîte d'allumettes.

Le système qui les encadre n'est plus qu'une carcasse. Raide, rouillée, pervertie. Chaque pièce ploie sous les coups de boutoir du temps, de la corruption, de l'avidité. Et pourtant, la machine tourne encore. Par inertie. Par illusion. Par déni. Ils veulent croire que tout tiendra. Que le pire n'est pas inévitable. Mais tout craque. Tout ploie. Et bientôt, tout cédera.

Pendant ce temps, le monde se recompose en blocs. Froids, rationnels, mécaniques. Les empires tracent leurs lignes, regroupent, avalent, restructurent. L'Europe devient un damier de servitudes consenties. Et la France ? Absorbée. Dissoute. Fondue dans la grande machine de l'Union européenne. Ils l'ont laissé disparaître sans bruit. Sans lutte. Sans mémoire. Désormais, une femme règne. Ursula. Glaciale. Inébranlable. Une technocrate sans chair, sans passion, sans visage. Elle administre. Elle gère. Elle ne gouverne pas : elle exécute. Sans opposition. Sans conséquence.

C'est une dystopie sans effet spécial. Une fin de civilisation sans panache. Une bureaucratie terminale où tout est propre, fluide, inodore. Même la terreur est automatisée.

Et eux ? Les zombies.
Ils rasent les murs.
Ils chuchotent entre deux livraisons.
Ils serrent les dents devant leurs écrans.
Ils vivent à crédit sur du vide.

La fin ne les réveille pas. Elle les endort. Ils glissent doucement vers la tombe, hypnotisés par des vidéos de chats. Ils auraient pu hurler. Briser. Résister. Mais ils ont préféré le confort des miettes. Le « petit plaisir » numérique. La série anesthésiante. Le canapé en mousse. Il ne faut pas faire de vagues. Il ne faut pas troubler les voisins. Il faut rester calme, raisonnable, docile.

Alors, ils y vont.
Sans bruit.
Tête baissée.
Ils désapprennent à rêver.
Ils apprennent à disparaître.

La vérité est simple. Inconfortable. Irrécusable.

Tout cela sent la fin.

Pas une fin de cinéma. Une fin poisseuse. Bureaucratique. Invisible.

Une extinction en pantoufles ou plutôt en crocs.
Sous les néons trop blancs d'un monde sans âme.

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