29/10/2025 mondialisation.ca  9min #294807

« Le choix le plus humain » : une jeune Israélienne condamnée à la prison pour son refus de servir dans l'armée

Par  Oren Ziv

Dimanche, Daniel Schultz, 18 ans, a été condamnée à une peine initiale de 20 jours de prison militaire pour avoir refusé de rejoindre l'armée. Fait inhabituel, après avoir exprimé son refus et écopé d'une peine de 20 jours de prison au bureau de recrutement de Tel Hashomer, près de Tel-Aviv, Schultz a été renvoyée chez elle par les autorités militaires en attendant un rendez-vous avec la commission de conscience.

"Mon refus n'a rien d'héroïque", a-t-elle écrit dans une déclaration publiée avant son procès. "Je ne refuse pas parce que j'estime que mon action individuelle changera la réalité, et je ne pense pas que mes choix en tant qu'Israélienne méritent une attention particulière dans le débat autour de la libération palestinienne. Je refuse parce que c'est le choix le plus humain à faire. Face à des  bébés morts de faim, à des  villages entiers violemment expulsés et à des  civils envoyés dans des camps de torture, le choix est évident.

"À Gaza, en Cisjordanie et dans le reste du pays, l'État d'Israël et ses citoyens imposent un cauchemar au peuple palestinien, et l'opinion dominante en Israël est que chaque mesure de ce type est une ‘nécessité sécuritaire'", poursuit la déclaration de Schultz. "Un pays dont la sécurité nécessite l'extermination d'un autre peuple a perdu le droit à la sécurité.

"Une société capable de tels actes est une société malade", a-t-elle ajouté. "La société israélienne n'a aucune chance de se réhabiliter tant que le sionisme lui servira de principe fondamental".

Deux jours plus tôt, des dizaines de manifestants se sont rassemblés sur le boulevard Rothschild à Tel-Aviv pour exprimer leur solidarité avec Schultz, à l'appel du réseau d'objecteurs de conscience Mesarvot. Des passants, parmi lesquels un soldat en uniforme, ont agressé physiquement et insulté les manifestants.

L'objection de conscience est  extrêmement rare en Israël. Schultz rejoint ainsi une vingtaine d'adolescents israéliens emprisonnés pour avoir publiquement refusé la conscription depuis le début du génocide, il y a deux ans. Selon Mesarvot, l'armée adopte une ligne de plus en plus dure à l'égard de ces jeunes réfractaires, les renvoyant en prison après l'expiration de leur peine, car elle considère leur refus de se soumettre comme une "nouvelle"infraction.

Le premier à avoir été emprisonné après le 7 octobre,  Tal Mitnick, a purgé une peine de 185 jours, tandis qu'un autre,  Itamar Greenberg, a été incarcéré pendant près de 200 jours, soit la peine la plus longue infligée à un objecteur de conscience depuis plus de dix ans. Mesarvot a également déclaré que l'armée a cessé d'exempter les réfractaires après 120 jours de prison, alors que c'était auparavant une pratique courante.

Des policiers israéliens arrêtent le militant Itamar Greenberg lors d'une manifestation contre la guerre à Tel-Aviv, le 24 mai 2025. (© Oren Ziv)

Yuval Peleg, un autre objecteur de conscience, attend actuellement une nouvelle condamnation, après avoir déjà purgé 90 jours de prison en trois fois. Deux soldats, Omer Yoran et un soldat connu uniquement sous l'initiale R., qui ont commencé leur service militaire puis ont refusé de continuer à servir, ont également été condamnés la semaine dernière à une peine initiale de 20 jours de prison.

Dans une interview accordée au magazine +972 avant de se présenter au bureau de recrutement, Schultz a expliqué qu'elle n'a pas grandi sous l'influence d'opinions radicales de gauche.

"J'étais plutôt centriste, avec des valeurs libérales et humanistes", a-t-elle déclaré. "L'idée que l'armée israélienne serait ‘l'armée la plus morale au monde' était ancrée dans ma vision du monde".

Cette vision a toutefois commencé à évoluer lorsqu'elle s'est inscrite, à l'âge de 16 ans, dans un internat international à Givat Haviva, dans le nord d'Israël, où des étudiants israéliens, palestiniens et internationaux étudient ensemble.

"C'était la première fois que je rencontrais et que je parlais avec des Palestiniens", se souvient-elle. "Les six premiers mois, j'ai été confrontée aux injustices : la réalité en Cisjordanie, l'apartheid dont sont victimes les Palestiniens à l'intérieur de la Ligne verte, et la situation à Gaza, même avant le début du génocide".

Quand avez-vous décidé de dire non ?

"J'ai décidé que je ne voulais pas m'engager à cette époque, pendant mes études à Givat Haviva. J'avais une colocataire palestinienne avec qui je discutais tard dans la nuit les six premiers mois de l'école. Je l'écoutais, abasourdie.

"Elle m'a raconté comment son oncle avait participé à des manifestations en Cisjordanie, dispersées par l'armée israélienne à balles réelles  en mai 2021. J'ai appris comment ses parents, citoyens israéliens, tremblaient de peur à chaque fois qu'ils voyaient un soldat. J'ai écouté sa colère et le sentiment de trahison face au choix de certains de ses amis de s'enrôler. Tout cela m'a profondément touchée.

"Je rentrais chez moi le week-end et demandais à mes parents s'ils étaient au courant de tout cela. Leurs réponses étaient variables. Ils percevaient la réalité comme étant plus complexe que moi. Je vois le mal et mon premier réflexe est de lui résister. Nous avons eu de nombreuses discussions, mais ils se sont toujours montrés très compréhensifs. Ils acceptaient mon point de vue et ne me reprochaient pas mes idées sur l'État ou l'armée.

Une Palestinienne arrêtée par des soldats israéliens accompagnant des colons dans la vieille ville d'Hébron, en Cisjordanie occupée, le 25 octobre 2025. (Mosab Shawer/Activestills)

"Au début, je pensais obtenir une exemption pour pacifisme ou pour raisons psychologiques. Mais avec le temps, j'ai réalisé que mon choix de ne pas m'enrôler est intrinsèquement politique et implique une déclaration politique. Je ne peux donc pas faire ce choix dans le plus grand secret et prétendre que le système est parfait et que c'est moi le problème. Je déclare que le système est le problème et je choisis de ne pas m'enrôler.

"J'ai des amis dont toute la famille a été décimée en une nuit à Gaza. Cette souffrance et ce traumatisme sont insoutenables".

Comment votre famille et vos amis ont-ils réagi à votre refus ?

"Ma famille n'est pas vraiment d'accord avec moi. Ils ont du mal à accepter cette notoriété publique, mais ils m'aiment et me soutiennent quand même. Je ne pense pas qu'ils soient en colère contre moi ou me jugent, et ça me donne de la force.

"La plupart de mes amis et connaissances sont dans la même sphère radicale. Mon compagnon  vient de sortir de prison pour avoir refusé de s'enrôler en août ; il m'apporte un soutien total et infaillible".

Votre refus est-il un message adressé aux autres jeunes Israéliens avant l'enrôlement ?

"Je pense que le message le plus clair que je puisse adresser à la société israélienne à travers mon refus est que l'enrôlement est toujours un choix. Beaucoup pensent que le service militaire nous est imposé : vous avez 18 ans, vous recevez une convocation, c'est un processus passif. Mais en réalité, on a toujours le choix.

"Je connais des gens qui ne soutiennent pas les actions de l'armée, mais pensent que l'enrôlement leur est imposé. Je veux leur faire comprendre que ce n'est tout simplement pas vrai. Si l'on vous demande de faire quelque chose qui va à l'encontre de vos convictions morales, vous êtes toujours en droit de refuser".

Essayez-vous également d'envoyer un message aux Palestiniens à travers ce refus ?

"J'espère que mon refus leur donnera un peu d'espoir. Mais nous ne sommes que quelques dizaines de réfractaires sur des dizaines de milliers de conscrits. Ce n'est pas suffisant. Mais si, par mes actions et mes paroles, je peux faire en sorte que les Palestiniens, en particulier mes amis d'école, se sentent pris en compte, alors j'aurai fait ma part".

Refuser publiquement a-t-il été difficile, compte tenu de toute la haine et de l'incitation à la violence qui accompagnent un tel acte ?

"J'ai peur, mais je pense que mon refus m'a permis d'accéder à une tribune importante, à laquelle je n'aurais pas eu accès autrement. Je parle hébreu et je m'adresse à un public israélien pour exprimer une position qui n'est pas représentée dans les médias israéliens. Je pense qu'il est de mon devoir de profiter de cette occasion pour m'exprimer haut et fort et dire ce que je pense, même si c'est effrayant".

Vous avez le droit d'emporter quelques livres et CD, sous réserve d'inspection et d'approbation à l'entrée. Que choisirez-vous d'emporter ?

"Beaucoup de livres. J'emporte La Désobéissance civile d'Henry David Thoreau et Whose Daughter Are You ? de Yali Hashash, un essai sur le féminisme mizrahi. Mais je ne pense pas que les refuseniks se contentent de théorie en prison. Je vais de toute façon souffrir là-bas, alors j'emporte quelques bons livres, comme Hunger Games et le premier tome, Lever de soleil sur la moisson.

"J'emporte aussi des albums de Queen, Rona Kenan et Nurit Galron, l'intégralité des œuvres de Hanoch Levin, ainsi que l'album "Brat" de Charli XCX".

Oren Ziv

Article original en anglais :  ‘The most human thing to do': Israeli teen sentenced to jail for army refusal, 972Mag, le 28 octobre 2025.

Traduit par  Spirit of Free Speech

La source originale de cet article est  972Mag+

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