31/10/2025 ssofidelis.substack.com  10min #294927

Le couloir de la mort

Courtiser la fin du monde © M. Fish

Par  Chris Hedges, le 30 octobre 2025

Gaza ne marque pas le terme du projet colonialiste. Je crains qu'il n'en marque l'issue fatale. Les États occidentaux, enrichis au fil de leurs propres occupations et génocides en Inde, Afrique, Asie, Amérique latine et Amérique du Nord, renouent avec leurs racines alors qu'ils sont confrontés à une crise climatique mondiale et aux obscènes disparités sociales qu'ils ont eux-mêmes créées et entretenues.

Alors que le monde s'effondre et que la crise climatique pousse des millions, puis des dizaines de millions, puis des centaines de millions de personnes vers le nord dans une quête désespérée de survie, le génocide à Gaza, qu'Israël a momentanément ralenti pour pouvoir bientôt reprendre son rythme meurtrier, va se répéter encore et encore jusqu'à ce que les réseaux sociaux et environnementaux fragiles qui maintiennent la cohésion de la communauté mondiale finissent par se désintégrer.

Notre refus de nous affranchir des combustibles fossiles et la saturation constante de l'atmosphère par les émissions de dioxyde de carbone (CO₂) entraîneront à terme une hausse des températures insoutenable pour la plupart des formes de vie, y compris la vie humaine.  Selon la National Oceanic and Atmospheric Administration, la concentration moyenne mondiale de CO₂ a augmenté de 3,5 ppm entre juin 2023 et juin 2024, pour atteindre 422,8 ppm. Les douze mois suivants ont vu une augmentation encore plus importante de 2,6 ppm. Des conflits violents, déjà exacerbés par les  phénomènes météorologiques extrêmes et la  pénurie d'eau, éclateront à travers le monde dans des proportions sans précédent.

Le génocide est financé et soutenu par les alliés occidentaux d'Israël, une réalité sans mystère. Pas plus qu'il n'y en a sur les raisons pour lesquelles ces États bafouent les  Conventions de Genève, la  Cour internationale de justice, le  Traité sur le commerce des armes, la  Convention des Nations unies sur le droit de la mer et le  droit international humanitaire. Rien de mystérieux non plus dans l'aide militaire colossale de 21,7 milliards de dollars  accordée à Israël par les États-Unis depuis le 7 octobre 2023, ou dans le veto réitéré des États-Unis aux résolutions de l'ONU condamnant Israël, comme le décrit le dernier rapport de l'ONU sur Gaza, un "crime perpétré avec la complicité de la communauté internationale".

Les États-Unis fournissent les deux tiers des armes importées par Israël. Mais ils ne sont pas les seuls. Le rapport cite en effet  63 pays complices de la "machine génocidaire israélienne" à Gaza.

Selon un rapport du Quincy Institute et du projet "Costs of War", publié le 7 octobre de cette année,

"sans l'argent, les armes et le soutien politique des États-Unis, l'armée israélienne n'aurait jamais pu commettre de telles destructions de vies humaines et d'infrastructures à Gaza, ni intensifier aussi brutalement sa campagne militaire dans la région en bombardant la Syrie, le Liban, le Qatar et l'Iran".

Aucun mystère non plus quant aux raisons qui poussent des milliers de citoyens américains, russes, français, ukrainiens et britanniques à servir dans les forces d'occupation israéliennes sans être tenus responsables de leur participation au génocide.

"De nombreux États, principalement occidentaux, ont favorisé, légitimé, puis normalisé la campagne génocidaire menée par Israël",

peut-on lire dans le  rapport des Nations unies, rédigé par la rapporteure spéciale sur la situation des droits humains dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967,  Francesca Albanese.

"En présentant les civils palestiniens comme des 'boucliers humains', et l'offensive plus large à Gaza comme une lutte entre la civilisation et la barbarie, ils ont reproduit les perversions israéliennes du droit international et les stéréotypes coloniaux, cherchant à justifier leur propre complicité dans le génocide".

Selon le rapport, les États-Unis ont fourni à Israël, en septembre 2024,

"57 000 obus d'artillerie, 36 000 cartouches de munitions pour canons, 20 000 fusils M4A1, 13 981 missiles antichars et 8 700 bombes MK-82 d'une demi-tonne. En avril 2025, Israël enregistrait 751 transactions en cours d'une valeur de 39,2 milliards de dollars".

Ce n'est pas fini. Les mêmes massacres. La même diabolisation des pauvres et des vulnérables. Les mêmes discours sur la nécessité de sauver la civilisation occidentale de la barbarie. La même indifférence cynique envers la vie humaine. Les mêmes mensonges. Les mêmes milliards de dollars de profits pour l'industrie de la guerre, qui permettront non seulement de faire taire les voix extérieures, mais aussi les dissidents de l'intérieur.

Comment les nations les plus riches réagiront-elles lorsque leurs villes côtières seront inondées, que leurs récoltes diminueront et que des millions de personnes seront déplacées à l'intérieur de leurs frontières en raison de la sécheresse et des inondations ? Comment remplaceront-elles les ressources qui s'amenuisent ? Et que feront-elles face aux centaines de millions de réfugiés climatiques qui frapperont à leurs portes ? Comment réagiront-elles aux bouleversements sociaux, à la baisse du niveau de vie, à l'effondrement des infrastructures et à la décomposition de la société ?

Elles feront ce que fait Israël.

Elles recourront à une violence disproportionnée pour tenir les désespérés à distance. Elles s'empareront des terres fertiles, des aquifères, des rivières et des lacs. Elles feront main basse sur les minéraux rares, les gisements de gaz naturel et de pétrole. Et elles tueront quiconque se mettra en travers de leur route. Au diable les Nations unies. Au diable les tribunaux internationaux. Au diable le droit international humanitaire. Les États industrialisés sont en train de mettre en place, pour reprendre  les mot de Christian Parenti, un "fascisme climatique", une politique "fondée sur l'exclusion, la ségrégation et la répression".

"Ce que nous voyons à Gaza n'est qu'un aperçu de l'avenir",

a  affirmé le président colombien Gustavo Petro lors de la conférence des Nations unies sur les changements climatiques (COP28) en 2023.

Les agents masqués de l'Immigration and Customs Enforcement (ICE), déployés dans nos rues pour terroriser les travailleurs sans papiers, se présenteront à nos portes. Les  camps de concentration actuellement en construction dans tout le pays nous attendent déjà. La loi, pervertie pour persécuter toute une série d'ennemis intérieurs fictifs, criminalisera la dissidence et la liberté d'expression. Les milliardaires et les oligarques vivront reclus dans des complexes fortifiés, de mini-Versailles où ils assouviront leur insatiable soif de pouvoir, leur cupidité et leur hédonisme.

Finalement, la classe dirigeante des milliardaires finira elle aussi par en être victime, même si elle tiendra sans doute un peu plus longtemps que le reste d'entre nous. Et ce ne sont pas nos murs frontaliers, notre sécurité intérieure, l'expulsion des migrants, nos missiles, nos avions de chasse, notre marine, nos unités mécanisées, nos drones, nos mercenaires, notre intelligence artificielle, notre surveillance de masse ou nos satellites qui nous mettront à l'abri.

Mais avant l'extinction finale, une grande part de l'humanité, comme d'autres espèces, se consumera dans une orgie de feu et de sang. Gaza est un aperçu de l'avenir, à moins d'un revirement rapide dans le fonctionnement et la gouvernance de nos sociétés. Gaza n'est pas une simple anomalie. La guerre constituera le dénominateur commun de l'existence humaine. Et les forts prendront aux faibles.

La destruction de la société civile à Gaza est le modèle. Le chaos est l'objectif. Les populations soumises seront contrôlées par des milices et des gangs criminels  armés, comme l'a fait Israël à Gaza, comme en Cisjordanie où des milices juives criminelles sont aussi  armées par Israël. Elles subiront le même sort que la population de Gaza, privées de l'aide humanitaire comme lorsqu'Israël  interdit l' Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient. Elles seront contrôlées, comme Israël l'a fait, en  détruisant les  hôpitaux, les  cliniques, les  boulangeries, les  logements, les  stations d'épuration, les  sites de distribution alimentaire, les  écoles, les  centres culturels et les  universités, tout en assassinant son  élite instruite, dont  plus de 278  journalistes palestiniens. Quand les conditions de vie sont réduites au strict minimum, que les maladies et la famine sont endémiques, la résistance finit par s'effondrer.

Dans cette dystopie émergente, le langage fait fi de la réalité. Il frise l'absurde. Israël a par exemple  violé l'accord de cessez-le-feu dès sa  mise en oeuvre, mais la fiction du cessez-le-feu est maintenue. Israël a apparemment "le droit de se défendre", bien qu'il soit l'occupant, coupable d'apartheid et de génocide, et que la résistance palestinienne ne représente aucune menace existentielle.

Le " plan Trump", censé mettre fin au génocide, n'offre aucune perspective d'autodétermination pour les Palestiniens, aucun recours pour exiger des comptes à Israël et propose de confier Gaza à des vice-rois à la solde d'Israël, qui contrôlerait les frontières.

La lutte pour la Palestine est notre lutte. L'oppression des Palestiniens est la première étape vers notre propre perte de liberté. La terreur qui rythme la vie à Gaza sera nôtre. Le génocide aussi.

Nous devons mener ces combats tant que nous le pouvons encore. Les chances de pouvoir résister se réduisent à une vitesse alarmante. Nous devons stopper cette machine via la désobéissance civile. Nous devons refaire le monde. En éliminant la classe dirigeante mondiale. En démolissant une société basée sur la folie de l'expansion capitaliste. En mettant fin à notre dépendance aux combustibles fossiles. En faisant respecter le droit international, en démantelant les régimes coloniaux et génocidaires comme celui d'Israël. Si nous n'y parvenons pas, les Palestiniens seront les premières victimes. Mais ils ne seront pas les derniers.

Traduit par  Spirit of Free Speech

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