
Par Joaquin Flores, le 31 octobre 2025
L'idée est que si les atlantistes reprennent la Maison Blanche, la russophobie européenne pourra à nouveau être subventionnée par la puissance américaine.
Le 27 octobre, l'agence de presse Ukrinform a rapporté que le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, prévoit de présenter une proposition de cessez-le-feu dans environ une semaine, après sa rencontre infructueuse avec Donald Trump à la Maison Blanche, le 17 octobre. Comme chacun sait, il est rentré chez lui les mains vides. Cette fois, le refus a été plus poli que lors de la tristement célèbre réunion du Bureau ovale, il y a sept mois, au cours de laquelle Trump avait critiqué Zelensky en lui disant : "Soyez un peu reconnaissant, vous n'avez pas les cartes en main !" Quiconque suit de près ce conflit aura compris que les appels au cessez-le-feu lancés par Kiev et ses parrains de l'OTAN ne sont qu'un moyen de réarmer la junte de Kiev.
Quant aux Tomahawks, c'est - a priori - non. Trump n'a pas l'intention de provoquer la Russie, ou plus précisément de s'engager dans des actions que les États-Unis n'ont pas les moyens matériels ou les ressources nécessaires de mener à bien. Est-il nécessaire de rappeler une fois de plus au monde, comme l'a fait Lloyd Austin, que les États-Unis manquent de munitions de 155 mm ?
À l'exception du bellicisme de l'UE, Zelensky ne bénéficie plus d'aucun soutien. Mais les Européens ne raisonnent pas à court terme, ils pensent à l'avenir. Penchons-nous sur le Projet 2029, la stratégie qui nourrit l'agressivité russophobe et irrationnelle persistante de l'Europe et de Kiev.
Le Projet 2029 est une plateforme dédiée aux potentiels candidats démocrates à la présidence pour l'élection de 2028. On oublie souvent l'insistance des néolibéraux, toujours accros aux rêves de restauration atlantistes de la guerre froide. En 2017, ceux-ci ont immédiatement compris que Trump entendait modifier le fonctionnement de l'OTAN et améliorer les relations avec la Russie.
C'est pourquoi, trois jours seulement avant l'investiture de Trump pour son premier mandat, le Washington Post a publié, le 17 janvier 2017, un avertissement sévère affirmant que Trump constituait une menace pour le projet atlantiste.
Voilà ce qui sous-tend tous ces discours sur le "cessez-le-feu", émanant invariablement des néolibéraux de Washington, de leurs alter ego londoniens et de Kiev. Bien sûr, le terme "cessez-le-feu" est utilisé à tort et à travers, car ils ont oublié ce qui décrit mieux leur idée sans pour autant y parvenir : la paix. Bien sûr, ils aspirent au retour des accords de Minsk pour suspendre commodément le conflit avant que les forces armées ukrainiennes ne se disloquent, et que l'offensive lente et régulière des drones et de l'artillerie russes ne se transforme brusquement en une imposante offensive. L'objectif est de "se refaire une santé" puis, vers 2030, de rompre le cessez-le-feu en lançant une nouvelle offensive. Les démocrates ont besoin du Projet 2029 pour arriver au pouvoir et mettre ce plan à exécution.
Illustration © SCF
La guerre en Ukraine doit se poursuivre. L'hostilité anti-russe tenace de personnages tels qu'Ursula von der Leyen et Kaja Kallas, manifestée par la russophobie belliqueuse des élites européennes, révèle une facette plus sombre de la classe politique dirigeante du continent.
L'UE ne croit plus à une victoire militaire sur la Russie. Dans Re-division of Europe : The Real War Goals of the United States in Ukraine [La re-division de l'Europe : les véritables objectifs de guerre des États-Unis en Ukraine], l'objectif véritable de la campagne de l'administration Biden en faveur de la guerre contre la Russie en Ukraine n'est pas une victoire stricto sensu, mais plutôt le démantèlement de l'UE. En clair, il s'agit de contraindre l'Europe à sanctionner la Russie, afin de réduire drastiquement sa compétitivité économique, tout en l'incitant à dépenser et à emprunter pour un projet militaire promis à l'échec, conférant ainsi aux États-Unis un avantage concurrentiel sur l'Europe. Le conflit avec la Russie pourrait donc être un stratagème déployé au service d'un dessein plus ambitieux.
C'est pourquoi les atlantistes ont besoin de geler le conflit, voire de remplacer Zelensky par une personnalité plus populaire en Ukraine, comme Zaluzhny, qui est sans doute plus en phase avec Downing Street que tout autre candidat potentiel.
Ils misent sur ces changements. Ou plus exactement, ils croient en un changement prochain à Washington qui ressuscitera l'ancien projet transatlantique. Ces atlantistes s'accrocheront jusqu'en 2029, si l'Europe arrive à maintenir le cap assez longtemps sur les plans économique, politique et rhétorique.
En somme, ils sont convaincus, ou du moins le disent, que l'atlantisme n'est pas mort, qu'il ne s'agit que d'une pause. Selon eux, les États-Unis reviendront à la raison, éliront un gouvernement favorable à l'ordre international libéral et surveilleront à nouveau la frontière eurasienne.
Le cfr.org l'interprétation de l'ISW/AEI d'un plan de cessez-le-feu que Zelensky a rejeté en août 2025
Ce qu'ils refusent d'admettre, c'est que la page est déjà tournée. La présidence Trump, désormais sa deuxième édition, a réécrit sa vision des intérêts américains.
La nouvelle approche géopolitique des États-Unis ne permet pas de mener de guerres hasardeuses sur deux fronts, ni de subventionner le système de défense d'un continent qui refuse de se défendre lui-même. Oui, l'Europe peut acheter, au prix fort, des armes américaines coûteuses pour soutenir son complexe militaro-industriel. Cependant, la nouvelle stratégie américaine admet qu'il est impossible de contenir la Russie, car elle est le corridor indispensable à la nouvelle architecture énergétique, logistique et sécuritaire reliant l'Asie et l'Europe, et, pour les États-Unis, probablement via l'Alaska. Il est également impossible d'isoler la Chine, car elle est au cœur de tous les processus industriels dont la consommation occidentale est tributaire.
Admettre sa défaite signifie pour l'Europe reconnaître que les fondements de son identité post-guerre froide, notamment sa prétendue supériorité morale sur le monde oriental, sa dépendance vis-à-vis des États-Unis et l'illusion d'un modèle universel de gouvernance, ne sont en réalité que des châteaux en Espagne.
Plutôt que d'opérer une adaptation stratégique, ils se réfugient donc derrières des considérations éthiques. La russophobie devient non seulement un choix politique, mais aussi une croyance. Les déclarations quotidiennes d'hostilité envers Moscou visent moins à dissuader la Russie qu'à préserver une certaine continuité. Lorsque Josep Borrell, durant son mandat désastreux, répétait que l'Europe devait maintenir le cap, lorsqu'Ursula von der Leyen nous mettait en garde contre l'apaisement, et qu'aujourd'hui Kaja Kallas ânonne le même discours, ils ne s'adressent pas à la Russie. Ils se tournent vers Washington, un Washington qui n'existe plus et/ou pas encore, mais qu'ils aimeraient voir se concrétiser en janvier 2029. Ils font leur numéro devant un public d'oligarques et d'individus influents de la vieille garde, dont ils espèrent le retour prochain.
Trump ou Vance évoqueront-ils, l'année prochaine, l'ingérence européenne dans les élections américaines ? Cela étant, c'est à surveiller. C'est peut-être pour cette raison que nous lisons toujours dans leurs médias complaisants que nous devons nous préparer à 2030.
Politico a d'ailleurs signé la semaine dernière une nouvelle lettre d'amour à la guerre éternelle sur ce sujet précis. Ils évoquent la prétendue "Feuille de route pour la préparation de la Défense 2030" et nous disent :
"Les pays de l'UE ont cinq ans pour se préparer à la guerre, selon un scénario militaire qui sera présenté jeudi par la Commission européenne et dont POLITICO a obtenu une copie."D'ici 2030, l'Europe devra disposer d'une force de dissuasion suffisamment puissante pour décourager ses adversaires et répondre à toute agression », indique le projet de plan, qui sera discuté par les ministres de la Défense mercredi soir, puis présenté au Collège des commissaires jeudi, et enfin soumis aux dirigeants de l'UE la semaine prochaine.
"Ce plan illustre le rôle croissant de l'UE dans les affaires militaires, en réaction à l'invasion de l'Ukraine par le président russe Vladimir Poutine et à l'engagement ambigu du président américain Donald Trump envers la sécurité européenne".
Mais ce processus va affaiblir l'Europe de mois en mois. Le déclin industriel n'est pas ponctuel, il est structurel. La transition énergétique, marquée par l'hostilité envers la Russie, a réduit la compétitivité de l'industrie manufacturière européenne sur le marché mondial. Le gouffre financier que représente l'Ukraine a déjà mis à mal la stabilité budgétaire de l'UE. Et pourtant, la rhétorique n'en finit pas d'enfler, car ils ne peuvent admettre qu'ils ont déjà perdu.
Cette vision trouve son origine dans un héritage ancien : la logique de Mackinder et Spykman du Heartland et du Rimland. Depuis plus d'un siècle, les stratégies occidentales sont conditionnées à croire que contrôler la périphérie eurasienne garantit la domination mondiale. D'où leur obsession à déstabiliser l'espace post-soviétique, le Moyen-Orient, l'Asie centrale et maintenant l'Ukraine. Le but est de maintenir la Russie dans un contexte d'instabilité et de l'empêcher de coopérer avec l'Europe, et aujourd'hui avec la Chine. Cette logique ne fonctionnait toutefois que lorsque le Rimland était faible ou sous contrôle, que l'Inde et la Chine étaient sous-développées, la Russie isolée et l'Europe assez forte sur le plan industriel. Ce monde a cependant bel et bien disparu depuis des décennies.
Aujourd'hui, l'Eurasie opère sa propre transition. La "Belt and Road Initiative", l'Union économique eurasienne, les BRICS+ et l'OCS ont remplacé les anciens pipelines transatlantiques par de nouvelles "artères" continentales. La Russie et la Chine n'ont plus besoin de l'approbation ou du financement de l'Occident pour mener à bien leurs projets. Le dispositif d'endiguement, autrefois viable, est désormais hors de portée. Pourtant, l'Europe continue de se comporter comme si nous étions en 1853. Une stratégie désuète.
Rappelons que la dernière tentative de destruction de la Russie par l'Europe a pris la forme d'une agression militaire directe avec le projet nazi-fasciste. Les décideurs à l'origine de cet échec sont nés dans le dernier quart du XIX^e siècle. Le projet a des origines anciennes, fondées sur la conviction que la Russie est trop grande et sur l'illusion qu'elle peut être détruite, divisée et découpée en une douzaine de pays distincts, puis gérés et gouvernés de l'extérieur selon le principe "diviser pour régner".
Image tirée d'une vidéo diffusée le 10 juin 2023, montrant un blindé de l'AFU détruit dans le sud de Donetsk.
Ce choix s'expliquait au moins d'un point de vue stratégique. Seule la détermination inattendue de l'Armée rouge et du peuple soviétique a permis de détruire la machine de guerre nazie et de ramener la paix sur terre. Mais aujourd'hui, avec une Russie impossible à contenir en raison de la montée de la multipolarité et des pays composant les BRICS et l'émergence d'autres puissances, un tel projet est impossible, même en théorie. Soulignons que, dans un premier temps, l'oligarchie américaine a soutenu l'Allemagne nazie, avant de se ranger aux côtés de l'Union soviétique lorsque le conflit devenu inévitable a pris toute son ampleur. Au Royaume-Uni, Chamberlain a commodément laissé sa place à Churchill. On dit que l'histoire se répète, et il ne fait aucun doute que ces événements actuels font écho à ceux du passé.
La politique étrangère de Trump, malgré son extravagance, va à l'encontre de celle des atlantistes-mondialistes. Elle est plus transactionnelle qu'atlantiste, et repose plutôt sur la réalité irréversible de la multipolarité. Les élites européennes le méprisent non pas pour ses manières, mais parce que son réalisme expose leur dépendance. Elles ne peuvent exister sans une Amérique convaincue de la mission atlantiste. Et l'Amérique de Trump croit aux accords, pas aux missions.
Il en résulte d'étranges contradictions dont l'Europe fait les frais. Des dirigeants comme Scholz, puis Merz, Sunak et Starmer, Macron, Kallas et von der Leyen se trouvent pris au piège, coincés entre la réalité tangible du déclin et la nécessité idéologique de projeter une supériorité morale. Ils continuent de vanter l' "autonomie stratégique européenne", alors que chaque nouvelle décision vient démentir leurs propos. Les États-Unis définissent la politique de sanctions, l'UE l'applique. Les États-Unis vendent du GNL, l'Europe l'achète à des prix élevés. Les États-Unis redéfinissent leurs priorités militaires, se recentrant sur leur continent et même sur leur territoire. L'Europe s'accroche à une guerre perdue d'avance.
Leur entêtement aveugle ressort clairement des documents qui circulent à Bruxelles. Les scénarios pour 2029 ou 2030 sont rédigés comme les plans d'urgence d'une résurrection. Comme l' écrit EUobserver,
"la Commission européenne fixe à 2030 la date limite pour combler les lacunes militaires de l'Union européenne, alors que la guerre fait rage en Ukraine".
Ainsi, en cas de retour des atlantistes à la Maison Blanche, la russophobie européenne récupérerait le soutien de la puissance américaine. Les industries de défense pourraient être redéfinies, les médias retrouveraient leur posture moralisatrice et le projet de division interne de la Russie via la subversion culturelle, régionale et économique pourrait être relancé. Le fantasme d'une douzaine de mini-Russies, facilement gérable et sous dépendance, continue de hanter l'inconscient européen.
Or, cet avenir n'est qu'un fantasme. Même si les Démocrates revenaient au pouvoir, la base matérielle de l'atlantisme a disparu. Les États-Unis ne disposent plus de la capacité industrielle et militaire, ni de la puissance financière qui ont assuré leur hégémonie d'après-guerre. Les États-Unis de Trump semblent tenter d'inverser leur déclin endémique, mais cette démarche résulte d'une expansion mondiale excessive. Leur méthode ne consiste pas à accroître leur empire, mais plutôt à réinvestir dans les infrastructures américaines essentielles, notamment les transports et la production. Autrement dit, à "rendre sa grandeur à l'Amérique". Et la Russie, au fil de tous ces exemples de la grandeur de l'Amérique, a toujours été son alliée, de Washington à Lincoln, en passant par Roosevelt et Kennedy.
Le projet européen, autrefois présenté par Kalergi et ses semblables comme favorisant la paix et l'émergence d'une société transnationale, ne survit aujourd'hui que grâce aux conflits externes. Son unité dépend d'un ennemi.
D'où l'incapacité des dirigeants européens à lâcher prise, et la tendance à présenter chaque revers en Ukraine comme une victoire morale, ou à imputer tout déclin économique à l'agression russe. Ils préfèrent se projeter dans une confrontation éternelle plutôt qu'envisager l'indépendance.
D'ici 2029, l'illusion aura fait son temps. Même sous une hypothétique administration atlantiste, les États-Unis ne rétabliront pas la primauté de l'Europe. Les impératifs nationaux de reconstruction de l'industrie américaine et d'intégration dans l'ordre mondial multipolaire l'emporteront sur une quelconque nostalgie de l'Europe de la guerre froide. Le continent aura passé une décennie à détruire ses propres capacités au nom d'un avenir illusoire.
Et pourtant, tout se terminera ainsi. Sans coup d'éclat, et dans une perpétuelle attente. L'Europe guette un fantôme, et cette attente finit par la perdre. Il ne s'agit pas tant de la haine qu'ils éprouvent pour la Russie, ou du ridicule des propos de Zelensky affirmant qu'il déteste Poutine, que de leur incapacité à se rassembler autour autre chose que la haine. Le reste du monde tourne déjà la page, y compris les Américains désormais plus pragmatiques. La Russie n'a aucune raison d'accepter un cessez-le-feu que l'OTAN violera plus tard à sa guise, alors que les conditions d'une paix définitive et durable sont à portée de main, comme la démilitarisation et la dénazification de toute l'Ukraine. Les objectifs de l'opération militaire spéciale seront atteints avant même que le projet 2029 puisse voir le jour, et pourtant les atlantistes-mondialistes s'obstineront, leur démesure les poussant à la ruine.
Traduit par Spirit of Free Speech