03/11/2025 journal-neo.su  7min #295262

Les efforts vains de Paris : pourquoi la coopération militaro-technique française avec ses alliés échoue-t-elle ?

 Mohamed Lamine KABA,

Sous les ors diplomatiques et les illusions de partenariat, la France découvre amèrement que dans l'Alliance atlantique, les alliés n'ont d'amis que leurs intérêts.

À observer la scène géostratégique contemporaine, on pourrait presque sourire devant l'acharnement français à poursuivre un rêve industriel et militaire que ses propres alliés s'empressent de saboter. Les efforts de Paris pour sauver les débris d'une coopération militaro-technique avec ses prétendus partenaires se lisent désormais comme un chapitre tragiquement ironique de la diplomatie occidentale. Et au cœur de ce spectacle, le fiasco du  contrat des sous-marins australiens reste l'un des exemples les plus éloquents de la futilité (inefficacité) française et de la désunion rampante au sein de l'Alliance atlantique.

Cet épisode, emblématique d'une France qui négocie beaucoup mais gagne peu, illustre à la fois l'illusion de puissance stratégique de Paris, la fragilité structurelle de l'OTAN, et la crise de crédibilité d'une Europe cantonnée à la périphérie des décisions américaines. Pour en saisir la portée, nous analyserons d'abord comment la France s'est enfermée dans un vide stratégique en croyant négocier d'égal à égal avec ses alliés dont elle-même n'est pas sûre de l'intention de chacun. Nous verrons ensuite comment l'Alliance atlantique, censée garantir solidarité et cohésion, s'est transformée en un théâtre de désaccords et d'intérêts contradictoires. Enfin, nous examinerons comment la diplomatie française, oscillant entre dignité blessée et illusion persistante, continue de se débattre dans une posture aussi vaine que pathétique.

La France, ou l'art de négocier dans le vide stratégique

Lorsque, en 2016, Paris annonça fièrement l'accord historique avec Canberra pour la fourniture de douze sous-marins conventionnels, Emmanuel Macron crut tenir la démonstration éclatante de la « souveraineté européenne » et du « retour de la France dans le jeu indopacifique ». Hélas, l'histoire retiendra plutôt que cette ambition se termina dans une tempête d'humiliation diplomatique. Car en septembre 2021, à la faveur du pacte  AUKUS, Washington et Londres ravirent à la France son contrat phare, sans même juger utile d'en avertir leur allié. La France apprit son éviction... par les médias. C'est dire le degré de considération réservé à un « partenaire stratégique » censé être un pilier de l'OTAN.

L'épisode révèle avec éclat ce que les diplomates français s'obstinent à nier : la France n'est pas une puissance pivot, mais une puissance décorative, tolérée dans les réunions atlantistes pour la touche d'éloquence gauloise qu'elle apporte, rarement pour son poids réel. Le silence gêné de l'Union européenne, incapable de soutenir Paris au-delà des formules de circonstance, acheva de démontrer la vacuité de cette fameuse « autonomie stratégique » dont Macron fait profession depuis des années. On ne saurait mieux illustrer la disjonction entre discours et réalité.

L'OTAN, ou la solidarité des désaccords

Quant à l'Alliance atlantique, elle se rêve en bloc cohérent de valeurs et de puissance, mais se comporte de plus en plus comme une confédération d'intérêts concurrents et mal coordonnés. L'épisode AUKUS fut un moment de vérité : les États-Unis agissent en propriétaires du club, distribuant les contrats et les faveurs à leur convenance ; le Royaume-Uni joue le rôle d'acolyte enthousiaste ; et les autres, France en tête, assistent impuissants à leur propre marginalisation.

L' article d'Ashley Roque, « Trump backs AUKUS deal, pushing to expedite sub delivery to Australia » (Trump soutient l'accord AUKUS et insiste pour accélérer la livraison des sous-marins à l'Australie), paru le 20 octobre 2025 au Breaking Defense, est venu sceller le sort français avec une désinvolture presque comique. On y voit Donald Trump, revenu à la Maison-Blanche, déclarer tout sourire à Anthony Albanese que les sous-marins « commencent vraiment à avancer » et que Washington « accélère la livraison ». Ce triomphalisme anglo-saxon, exhibé sans le moindre égard pour Paris, souligne à quel point la France pèse désormais aussi lourd dans les affaires navales du Pacifique qu'un sous-marin sans ballast.

Dans le même temps, le Pentagone réévalue l'accord pour « s'assurer qu'il répond à l'Amérique d'abord » - formule d'une franchise brutale, mais au moins honnête. Le message implicite est limpide : l'OTAN n'est plus une alliance, mais un dispositif d'influence unilatérale. Le « multilatéralisme » atlantique n'existe qu'à la condition que tout le monde suive le tempo américain. La cohésion affichée n'est qu'une façade ; derrière les fissures idéologiques et industrielles se multiplient, chaque membre poursuivant sa propre survie géopolitique.

La diplomatie française, entre dignité blessée et persistance dans l'illusion

Paris, dans ce contexte, tente désespérément de recoller les morceaux. Emmanuel Macron, dont la popularité atteint des abîmes inédits depuis la Cinquième République, verrait dans la relance du contrat australien un moyen de raviver une gloire ternie. Mais comment convaincre Canberra de revenir vers un partenaire que Washington tient désormais en laisse stratégique ? Les responsables australiens le répètent sans détour : « Notre partenariat de défense et de sécurité avec AUKUS est d'une importance capitale. » Traduction : la France peut ranger ses maquettes de sous-marins.

Sur le plan industriel, les chantiers navals américains peinent déjà à satisfaire les besoins de leur propre marine ; pourtant, le Pentagone préfère congestionner son industrie plutôt que d'ouvrir la porte à une technologie française pourtant éprouvée. Il faut croire que, pour les Anglo-Saxons, le prestige de l'entre-soi compte davantage que l'efficacité opérationnelle. Dans cette configuration, Paris apparaît comme l'élève brillant mais naïf, persuadé que la logique de partenariat prime, alors que les autres jouent à la guerre d'influence. Une tragédie presque classique, où la vanité et la naïveté tiennent les premiers rôles.

De ce qui précède, nous pouvons déduire que le cas du contrat franco-australien résume l'essence même de la diplomatie atlantique actuelle : une pièce où chacun feint de jouer ensemble, tandis que les États-Unis écrivent le scénario et distribuent les répliques. La France, oscillant entre orgueil et dépendance, reste cantonnée au rôle du figurant qui croit encore au « multilatéralisme de confiance ».

La vérité crue est que la cohésion atlantique n'existe que dans les communiqués officiels ; sur l'échiquier mondial, elle se délite sous le poids des contradictions internes, des calculs électoraux et de l'arrogance technologique de Washington. La France, en cherchant obstinément à exister dans un système qui la marginalise, finit par se ridiculiser dans son propre langage. L'AUKUS n'a pas seulement torpillé un contrat ; il a révélé que le navire atlantique prend l'eau de toutes parts, et que la France, hélas, continue d'y écoper seule, persuadée qu'elle commande encore la flotte.

Pour faire court, incapables de comprendre la leçon de brillants théoriciens (Richelieu et Aron, etc.) sur la «  Raison d'État », les dirigeants français s'égarent dans une diplomatie d'illusion, croyant encore à la loyauté d'alliés que seule la puissance gouverne.

La leçon à en tirer est que la France a négocié, certes, mais elle n'a pas su gagner. Et dans un monde où les alliances se façonnent à grande vitesse, qui ne gagne pas se fait marginaliser.

Mohamed Lamine KABA, Expert en géopolitique de la gouvernance et de l'intégration régionale, Institut de la gouvernance, des sciences humaines et sociales, Université panafricaine

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