04/11/2025 investigaction.net  11min #295296

Dans la guerre civile au Soudan, Asmara reste la meilleure amie de Khartoum

Filippo Bovo

Dans la Corne de l'Afrique, où les tensions s'intensifient de toutes parts, la visite à Asmara du Premier ministre soudanais Kamil Idris a été perçue comme un signe positif pour la paix et la stabilité. Les solutions au conflit soudanais ne peuvent être décidées que par le Soudan lui-même. Khartoum est reconnaissant à l'Érythrée de le soutenir dans cette voie, non seulement par des paroles, comme l'a rappelé le Premier ministre, mais surtout par des actes.

Dans une Corne de l'Afrique où les tensions montent de tous les côtés, le renforcement des liens entre Asmara (Érythrée) et Khartoum (Soudan) semble être un contre-mouvement de plus en plus positif, qui offre aussi de bonnes perspectives pour trouver une issue au conflit civil dramatique qui ensanglante le Soudan depuis avril 2023. Le 10 octobre dernier, le Premier ministre soudanais, Kamil Idris, a fini sa visite officielle de deux jours à Asmara, où il a été reçu par le président érythréen, Isaias Afwerki, pour parler de questions bilatérales importantes, comme la coopération économique, la sécurité et la stabilité régionale. Cette rencontre était plus qu'un simple événement diplomatique bilatéral et a montré que l'Érythrée est de plus en plus active dans son soutien au Soudan : bien plus, comme on va le voir, qu'un « pays frère ». Le Premier ministre soudanais est arrivé à Asmara le 9 octobre 2025, accompagné d'une délégation de haut niveau composée du ministre des Affaires étrangères Mohi El-Din Salem et du ministre de la Culture, de l'Information et du Tourisme Khalid Ali Aleisir. L'objectif principal, comme l'a rapporté le Sudan Tribune, était de renforcer les relations bilatérales entre le Soudan et l'Érythrée, en mettant l'accent sur la sécurité, le renseignement et les projets économiques communs. Comme l'a dit le Sudan Horizon, pendant les discussions au palais présidentiel, Idris a transmis un message du président du Conseil souverain soudanais, le général Abdel Fattah al-Burhan, qui a salué la « position courageuse » de l'Érythrée pour avoir soutenu le Soudan pendant « les moments difficiles causés par une guerre imposée ». Le président Afwerki a dit que l'Érythrée soutiendrait toujours l'unité et la dignité du Soudan et que la position d'Asmara était « importante et inchangée ». À la fin de la visite, les deux parties ont aussi décidé de bosser plus ensemble dans d'autres domaines, comme la pêche, les raffineries et l'exploitation minière, et de coopérer dans les forums régionaux et internationaux, y compris la campagne pour le retour du Soudan dans l'Union africaine. Pendant une balade dans la capitale avec le président Afwerki, Idris a rencontré des membres de la communauté soudanaise du pays, dont beaucoup sont arrivés juste après le début du conflit civil et ont été accueillis par Asmara « comme des frères, avec qui on a partagé du pain et un toit ». Pour finir, il a donné une interview bien structurée à l'agence de presse érythréenne Shabait.

Cette visite s'inscrit dans un contexte de relations historiques très profondes et complexes entre les deux pays. L'Érythrée a des liens ethniques et culturels historiques avec le Soudan (pensez au peuple Beja, qui vit exactement entre l'ouest de l'Érythrée et l'est du Soudan, le long de toute la frontière) et a joué plusieurs fois un rôle de médiateur dans les conflits par le passé. Depuis le début de la guerre civile, Asmara a activement soutenu le gouvernement soudanais dirigé par les Forces Armées Soudanaises (SAF) contre les Forces de Soutien Rapide (RSF) dirigées par Mohamed Hamdan Dagalo Hemedti, en formant des militaires soudanais, en jouant le rôle de médiateur entre les parties qui s'étaient tournées vers elle, en ouvrant ses aéroports aux avions des SAF menacés par les drones des RSF et, enfin et surtout, comme mentionné plus haut, en accueillant des milliers de civils qui auraient autrement été tués ou auraient peut-être fini dans un camp de réfugiés. Selon la chaîne Dabanga Sudan, des groupes importants comme le Congrès Beja et le Front populaire uni pour la libération et la justice auraient rejoint les SAF. Mais, d'après certains analystes critiques, surtout ceux du camp atlantique, cette alliance pourrait mener à des conflits tribaux internes au Soudan, avec l'ingérence d'Asmara dans les affaires soudanaises, qui, selon eux, a commencé dès les années 90. Une opinion plutôt ridicule, étant donné que c'est précisément au cours de ces années, alors que Khartoum était sous le long règne d'Omar el-Béchir, que l'inverse s'est produit, l'Érythrée souffrant des tentatives de déstabilisation d'un « trio » inhabituel composé des gouvernements soudanais, éthiopien et yéménite de l'époque. Ce « trio », composé du Soudanais Bashir, de l'Éthiopien Zenawi et du Yéménite Saleh, agissait d'ailleurs avec le soutien plus qu'encourageant des États-Unis et de l'Union européenne. L'histoire nous montre aussi que ces mêmes pays, ou des groupes importants en conflit avec leurs gouvernements centraux, ont fini par demander l'aide diplomatique d'Asmara comme médiateur pour sortir de leurs conflits, ce qui a d'ailleurs été accompagné d'un soutien international inévitable, mais jamais assez mis en avant. On peut citer par exemple la médiation dans l'accord de paix entre le gouvernement soudanais et le Front oriental en 2006.

Aujourd'hui, comme le note le Mesob Journal, le soutien de l'Érythrée au Soudan est dû à plusieurs intérêts stratégiques, comme la sécurité aux frontières et la stabilité dans la mer Rouge et la Corne de l'Afrique, mais aussi aux liens historiques entre les deux pays, avec des populations et des cultures communes, et le soutien important que les gouvernements de Khartoum avant l'ère Bashir, comme celui de Jaafar Nimeyri, ont apporté à l'EPLF et aux citoyens érythréens pendant la guerre de libération contre l'Éthiopie. Pendant sa visite, Idris a souligné la nécessité de projets communs pour relever les défis régionaux, ce qui reflète la vision érythréenne d'un Soudan uni face aux influences déstabilisatrices extérieures. Le conflit civil soudanais, qui a éclaté en avril 2023 entre les SAF et les RSF, dure maintenant depuis trente mois et est sans cesse attisé par plein de parties extérieures intéressées. Selon des sources de l'ONU, The New Arab et Sudan Tribune, la guerre a fait plus de 150 000 morts en octobre 2025, sans compter les plus de 522 000 enfants morts de faim, les plus de 14 millions de personnes déplacées et les 24,6 millions de personnes qui ont besoin d'une aide humanitaire urgente. C'est surtout dans des régions comme le Nord-Darfour et les montagnes Nuba que la famine, combinée à la cruauté des combats, sévit de la manière la plus impitoyable. L'épicentre de la violence se trouve à El Fasher, la capitale du Darfour-Nord, assiégée par le RSF. Selon Al Jazeera, rien qu'entre le 5 et le 8 octobre, au moins 20 civils ont été tués dans une mosquée et un hôpital, et en quelques jours, on a dénombré plus de 53 morts et 60 blessés. À cause de la violence des conflits et de la recherche de nourriture, la population des villes a baissé de 62 % en deux ans et demi, laissant plus de 260 000 personnes dans des conditions catastrophiques. Le système de santé s'est effondré, l'inflation a grimpé à plus de 170 % (au taux de change officiel, il faut 600 livres soudanaises pour un dollar : imaginez sur le marché noir) et l'économie a reculé de 42 % par rapport à son niveau d'avant-guerre : voilà jusqu'où sont allés certains pays, ceux qui se sont vraiment immiscés au Soudan et y ont déclenché une guerre civile au printemps 2023, afin de saper le processus de transition politique qui avait commencé après Bashir. Comme en Somalie, le pays ne pourra être à nouveau uni et en paix que si les différents groupes au Soudan peuvent discuter librement entre eux, sans que personne ne s'en mêle. Et comme en Somalie, pas besoin de chercher sur la côte de la mer Rouge ceux qui font tout pour empêcher ça. Tant pour la Somalie que pour le Soudan, l'histoire et l'actualité nous indiquent des voies très différentes que nous pouvons suivre : il appartient en tout cas aux observateurs les plus attentifs et les plus raisonnables de tirer les conclusions évidentes et nécessaires.

Comme on l'a déjà dit, le conflit au Soudan est aggravé par un enchevêtrement d'intérêts extérieurs, les puissances régionales et mondiales soutenant des factions opposées, ce qui complique toute tentative de paix. Le premier nom à citer est celui des Émirats arabes unis (EAU), le principal soutien du RSF, qui fournit des armes, des fonds et un soutien logistique via le Tchad, la Libye, l'Éthiopie et les États somaliens du Somaliland et du Puntland. Addis-Abeba a en effet plus d'un intérêt à affaiblir le Soudan, favorisant ainsi une nouvelle fragmentation afin de renforcer son emprise sur le Nil et d'acquérir une zone importante pour son accès, certes indirect, à la mer Rouge. Les intérêts des Émirats arabes unis et de l'Éthiopie se sont souvent facilement rejoints sur ce point, tout comme ils se sont mis d'accord, dans la perspective du golfe d'Aden, pour encourager les tendances centrifuges internes en Somalie, en premier lieu en soutenant les rêves séparatistes de ce qui reste du Somaliland (depuis sa proclamation en 1991, les régions orientale et occidentale se sont à leur tour séparées pour revenir à Mogadiscio, laissant la « capitale » Hargeisa avec peu de pouvoir). En Libye, profitant des frontières poreuses du sud-est du Sahara, contrôlées par les tribus, les Émirats arabes unis, qui ont généralement de bonnes relations avec Benghazi, fournissent d'importants stocks à la RSF, tout comme le Tchad ; là aussi, la perméabilité des frontières et la familiarité entre des groupes comme le RSF, qui sont toujours liés aux communautés claniques et tribales des Baggara tchadiens, permettent des transferts importants et similaires. Jusqu'à l'année dernière, quand les Français avaient encore des bases au Tchad, les Émirats arabes unis en profitaient pour fournir tout le nécessaire au RSF, mais maintenant qu'ils sont hors jeu, Abu Dhabi compense avec du matériel militaire neuf et plus moderne, livré par avion et acheté sans que les pays producteurs le sachent (c'est ce qui s'est passé, par exemple, avec les armes chinoises, ce qui a provoqué une crise diplomatique entre Pékin et Abu Dhabi dès que Pékin a été informé par Khartoum, qui avait saisi quelques exemplaires de la RSF), en plus des avions remplis de mercenaires colombiens et européens. Certains de ces avions ont même été abattus par la défense aérienne des SAF : un coup dur pour les hommes de Hemedti, la RSF anciennement connue sous le nom de tristement célèbre Janjaweed de Bashir.

Il y a aussi une interaction pas trop éloignée d'Israël, qui s'intéresse toujours beaucoup à tout ce qui touche aux régions de la mer Rouge à la vallée du Nil, jusqu'aux Grands Lacs et à l'Afrique du Sud : ça fait partie de son histoire, ceux qui connaissent la stratégie israélienne de l'Alliance de la périphérie savent de quoi on parle. Les États-Unis, qui ont rendu visite à une certaine Victoria Nuland, alors secrétaire d'État (qui s'est également rendue à Kiev à l'époque et y a joué un rôle « salutaire »), juste avant le début du conflit civil à Khartoum, n'ont jamais eu grand-chose à redire à ce sujet, à juste titre ; et maintenant qu'ils essaient de se décharger de cette lourde responsabilité en se posant en médiateurs et en se cachant derrière un Quatuor hétéroclite composé de l'Égypte, de l'Arabie saoudite et des Émirats arabes unis, ils se sont fait montrer la porte. Les Européens, qui avaient organisé avec les États-Unis et le Quad des « réunions marathon » à Paris et à Londres, ont également glissé comme la pluie sur les tuiles. Le Kenya, qui essayait de les rallier à sa cause, avait aussi tenté d'accueillir un hypothétique gouvernement parallèle de Hemedti, qui, avec la reconnaissance d'une partie d'entre eux, aurait validé la « quasi-sécession » au Soudan. Après ce qu'on a déjà vu avec le Soudan du Sud, qui traverse maintenant un conflit civil similaire, une nouvelle fragmentation du Soudan plongerait la partie centrale de la vallée du Nil dans le chaos total, avec une déstabilisation qui toucherait la Corne de l'Afrique, le Sahel, les Grands Lacs et l'Afrique centrale, unissant en un seul bloc les crises énormes qui touchent déjà la République démocratique du Congo, l'Éthiopie, le Tchad, la République centrafricaine et l'AES, entre autres, seraient regroupées en un seul bloc.

Les SAF sont soutenues par Asmara, mais aussi par l'Égypte, partenaire de longue date de Khartoum, l'Arabie saoudite, qui a essayé plusieurs fois de jouer les médiateurs entre les SAF et les RSF avec des discussions à Djeddah, et l'Iran, qui fournit des armes et des drones à Khartoum. Riyad, pour montrer le climat de paix et de neutralité créé par la paix entre l'Arabie saoudite et l'Iran, négociée par Pékin au printemps 2023, laisse entre autres les avions cargo iraniens passer par son espace aérien pour approvisionner les SAF en armes. L'Arabie saoudite et l'Iran s'accordent d'ailleurs à dire que la croissance potentielle de l'influence de leurs principaux adversaires, comme les Émirats arabes unis et Israël, au Soudan et en Somalie, entre la vallée du Nil, la mer Rouge et le golfe d'Aden, représente une menace majeure pour leur propre sécurité régionale. La Chine, un partenaire économique, infrastructurel et énergétique important de Khartoum, avec une forte vocation diplomatique, espère pouvoir jouer un rôle de médiateur pour résoudre les conflits internes et rétablir la cohésion et la stabilité dans le pays. Enfin, la Russie, qui a d'abord été accusée de soutenir le RSF via Wagner (ce qui a aussi attiré l'attention des services de renseignement ukrainiens et des mercenaires, qui y ont vu non seulement une nouvelle occasion d'internationaliser le conflit avec Moscou en Afrique en affrontant les Russes, mais aussi la possibilité de profiter de la guerre civile soudanaise en vendant des armes initialement destinées au front du Donbass), mais a rapidement fait savoir qu'il soutenait Khartoum comme seul gouvernement légitime et garant de la stabilité dans ce pays déchiré, surtout quand Wagner a été dissous et transféré en grande partie vers le nouveau Corps africain de Russie, contrôlé par l'armée russe.

Source :  Opinione Pubblica

Traduit de l'italien.

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