06/11/2025 legrandsoir.info  9min #295532

L'Afrique doit se mobiliser pour la paix et la dignité des Soudanais

Mustapha STAMBOULI

Le Soudan, doté de vastes ressources naturelles comme l'or, le pétrole, et des ports stratégiques sur la mer Rouge, ainsi que d'une proximité avec les pays du Golfe, porte en lui un potentiel de développement considérable. Pourtant, il demeure plongé dans une guerre civile dévastatrice, alimentée par des violences internes et une instabilité politique chronique. L'accord de paix global de 2005, bien que porteur d'espoirs, n'a pas réussi à apporter la stabilité nécessaire. Face à l'effondrement des institutions et aux souffrances quotidiennes, la population soudanaise semble abandonnée, dans l'incapacité de tirer profit des richesses naturelles qui pourraient transformer son avenir.

Introduction

Le Soudan traverse une crise humanitaire et géopolitique sans précédent, qui touche l'ensemble de la société. Les violences intercommunautaires, l'effondrement des infrastructures publiques essentielles et la famine ont plongé le pays dans une situation d'urgence. Parallèlement, l'ingérence étrangère, notamment l'exploitation des ressources naturelles, exacerbe encore la situation. Face à ce tableau complexe, une initiative régionale portée par des États africains arabophones, en particulier la Tunisie et l'Algérie, pourrait constituer un levier de stabilité. Cet article propose d'explorer les mécanismes qui pourraient permettre à ces pays de jouer un rôle central dans la médiation, la coordination économique et l'assistance humanitaire, tout en respectant la souveraineté du Soudan.

Genèse et dynamiques du conflit

Le Soudan, riche en ressources naturelles et en diversité culturelle, connaît depuis des décennies une instabilité due à des causes profondes : des inégalités sociales et économiques, des conflits ethniques récurrents et des affrontements entre autorités centrales et régions périphériques. Depuis l'indépendance du pays en 1956, ces tensions ont alimenté plusieurs guerres civiles, laissant derrière elles des traumatismes et une rupture des institutions publiques essentielles. La crise actuelle a débuté avec des luttes internes pour le pouvoir et l'accès aux ressources, un phénomène exacerbé par l'effondrement de l'État et l'absence de politiques publiques cohérentes.

Le rôle de l'ingérence internationale

Les puissances internationales, notamment les pays occidentaux et certaines puissances régionales comme l'Égypte et l'Éthiopie, ont souvent agi dans l'intérêt de leurs propres stratégies géopolitiques. Ces interventions ont souvent manqué de cohérence, alternant entre soutien aux régimes en place et pression pour un changement politique. Par ailleurs, les groupes armés, soutenus par des acteurs extérieurs, ont exacerbé les violences et le déplacement de populations. Cette ingérence externe complique non seulement les efforts de médiation, mais aussi l'accès humanitaire, car l'aide se retrouve souvent détournée ou utilisée comme levier de pression politique.
Dans ce contexte, l'implication d'États africains arabophones, neutres et proches culturellement et géographiquement, peut jouer un rôle décisif. Leurs relations bilatérales avec le Soudan et leur absence d'intérêts géopolitiques conflictuels en font des médiateurs naturels dans le processus de paix.

Le rôle des initiatives africaines arabophones : Tunisie et Algérie

Pourquoi la Tunisie et l'Algérie ?

La Tunisie et l'Algérie, bien qu'ayant des histoires politiques distinctes, partagent une vision commune pour la stabilité régionale et un engagement actif pour la préservation des acquis démocratiques et de la souveraineté nationale. Ces deux pays ont une expérience en matière de réconciliation nationale, la Tunisie ayant montré son modèle avec le dialogue national de 2013, et l'Algérie ayant une longue histoire de gestion de conflits internes (comme la guerre civile des années 1990). Leur crédibilité auprès des différentes parties prenantes au Soudan, y compris les groupes rebelles et le gouvernement, leur permettrait de jouer un rôle de modérateur privilégié.

Cadre d'action proposé

1. Médiation régionale : Il est essentiel d'établir un mécanisme de dialogue inclusif où les autorités soudanaises légitimes, les représentants des communautés locales et les organisations civiles pourront se retrouver. Le soutien d'un cadre régional neutre est crucial pour que cette médiation soit perçue comme crédible par tous les acteurs.
2. Corridors humanitaires et sécurité des populations : La coordination des routes d'acheminement de l'aide, garantissant l'accès aux zones isolées et aux camps de déplacés, est fondamentale. Ces corridors devraient être supervisés par des forces de sécurité impartiales, pour assurer la protection des civils et l'intégrité de l'aide humanitaire.
3. Coopération économique et gestion des ressources : L'exploitation des ressources naturelles du Soudan, qu'il s'agisse du pétrole ou des ressources agricoles, doit être régulée. Il est nécessaire de mettre en place des mécanismes transparents de gestion, pour éviter l'extraction illégale et favoriser des projets de développement durable qui bénéficient directement aux populations locales.
4. Soutien technique et institutionnel : Les institutions soudanaises doivent être renforcées dans leurs capacités à gérer les services publics. Cela inclut des programmes d'appui aux secteurs de la santé, de l'éducation, de la sécurité et du système judiciaire, ainsi qu'à la mise en place de mécanismes de justice transitionnelle pour la réconciliation.
5. Financement et reddition de comptes : Il est impératif que les fonds destinés à l'aide humanitaire et à la reconstruction soient tracés et gérés de manière transparente. Des mécanismes de reddition de comptes devront être mis en place pour garantir une gestion efficace et équitable de l'aide.

Principes directeurs

• Souveraineté et droit international humanitaire : Le respect de la souveraineté du Soudan est essentiel, tout en garantissant l'accès humanitaire et la protection des civils conformément aux normes internationales.
• Neutralité et transparence : Les mécanismes de médiation devront être neutres, impartiaux et transparents pour éviter toute instrumentalisation politique des actions.
• Inclusion des voix locales : Les communautés locales, y compris les femmes et les groupes vulnérables, doivent être incluses à chaque étape de la planification, de l'évaluation et de la mise en œuvre des projets.
• Coordination avec les acteurs locaux et internationaux : Il est crucial d'éviter les duplications d'initiatives et d'assurer une coopération efficace entre les acteurs régionaux et internationaux.
• Propriété locale des solutions : Bien que le soutien international soit nécessaire, les solutions doivent être construites par et pour les Soudanais, afin de garantir la durabilité et la légitimité des processus.

Impacts attendus et bénéfices potentiels

• Réduction des violences et protection des civils : L'objectif immédiat est de réduire les violences, en garantissant une protection accrue pour les populations civiles.
• Amélioration de l'accès humanitaire : Grâce à la mise en place de corridors humanitaires sécurisés, l'aide pourra parvenir de manière plus équitable à ceux qui en ont le plus besoin.
• Stabilisation du pays : À long terme, les initiatives proposées devraient contribuer à la stabilisation politique et économique, posant les bases d'une reconstruction durable et inclusive.
• Préservation des ressources naturelles : Une gestion plus transparente des ressources naturelles permettra de prévenir leur détournement et de garantir leur bénéfice pour le développement du pays.

"Points de vigilance"

• Instrumentalisation politique : Il faut veiller à ce que l'aide humanitaire ne soit pas utilisée à des fins politiques, ni détournée par des acteurs externes ou internes.
• Impartialité des actions humanitaires : Il est essentiel de garantir l'impartialité des efforts humanitaires et d'éviter toute accusation de favoritisme envers un groupe ou une faction.
• Respect des processus internes : L'initiative doit veiller à ne pas remplacer les processus de paix internes légitimes, mais à les soutenir de manière complémentaire.
• Transparence des financements : La traçabilité des fonds et des projets est cruciale pour éviter la corruption et garantir l'efficacité des actions entreprises.

Cadre juridique et mécanismes de coopération

• Droits humains et droit international humanitaire : Il est impératif que les actions de médiation, d'aide humanitaire et de reconstruction respectent les principes du droit international humanitaire, notamment la protection des civils et la poursuite des responsables de violations.
• Justice transitionnelle et recours : La mise en place de mécanismes de justice transitionnelle permettra aux victimes de violences d'obtenir réparation, tout en facilitant le processus de réconciliation nationale.
• Coopération économique et développement régional : Le cadre régional de coopération économique doit prévenir l'exploitation des ressources et favoriser un développement inclusif.

Le Soudan, malgré ses richesses naturelles et son potentiel de développement, demeure un pays meurtri par la guerre et la souffrance. Avant de conclure sur les pistes de solution proposées, il est essentiel de rappeler la réalité de ce peuple qui, au cœur du chaos, continue de rêver d'un avenir meilleur. Ce poème, qui illustre la douleur et l'espoir d'une nation en crise, résonne comme un appel à l'action, une incitation à ne pas oublier que derrière les chiffres et les analyses se trouvent des vies humaines, des rêves et des espoirs partagés.

Soudan, Terre de Larmes

Dans les plaines dorées où le Nil s'étire,
Un peuple rêve, mais la guerre le déchire.

Des cris de détresse, des cœurs en émoi,
Sous le poids des conflits, ils cherchent la foi.

Les enfants jouent, mais leurs rires s'éteignent,
Leurs yeux, des miroirs où la peur se traîne.

La pauvreté danse, spectre affamé,
Dans les ruelles sombres, l'espoir émoussé.

Des familles déracinées, en quête d'un abri,
Errent sans repos, la nuit comme un cri.

Des rêves brisés, des souvenirs envolés,
Dans ce chaos cruel, que reste-t-il à aimer ?

Les terres jadis fertiles, aujourd'hui désolées,
Rendent hommage aux âmes qui ont tant pleuré.

Au cœur de la tempête, qu'une lumière jaillisse,
Appel à l'union, à la paix qui se tisse.

O monde, entends-tu ces voix qui s'élèvent ?
Unissons nos forces, pour que l'espoir s'achève.

Pour ce Soudan meurtri, pour son avenir,
Que la solidarité puisse enfin fleurir.

Conclusion

La crise au Soudan nécessite une réponse collective, mais cette réponse doit être africaine avant tout. Une initiative régionale menée par la Tunisie et l'Algérie pourrait non seulement jouer un rôle clé dans la médiation, mais aussi contribuer à la reconstruction durable du pays. En soutenant la souveraineté soudanaise, en renforçant les capacités locales et en garantissant une aide humanitaire transparente et efficace, ces pays peuvent aider à transformer cette crise en une opportunité de paix, de dignité et de justice pour le peuple soudanais.

Mustapha STAMBOULI, Ingénieur ENIT/EPFL à la retraite et ancien Expert auprès des agences des Nations Unies

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