09/11/2025 europalestine.com  4min #295783

Le Monde, un journal colonial. La preuve par Sari Hanafi*

Sari Hanafi, professeur franco-palestinien de sociologie, qui a été président de l'Association internationale de sociologie, directeur du Centre d'études arabes et moyen-orientales, auteur de nombreux articles et de 18 livres, président du programme d'études islamiques de l'Université américaine de Beyrouth, vient d'écrire au Monde.

Le quotidien français lui avait demandé un article, qu'il a envoyé mais qu'il a ensuite refusé. Il écrit donc ceci - qu'il nous autorise à publier- au journal Le Monde :

« J'ai reçu une demande du Monde pour écrire une tribune sur «l'après-Gaza ». J'ai soumis mon article, mais après deux semaines de silence, j'ai finalement reçu un refus. J'ai écrit ceci à la personne qui m'avait initialement sollicité pour ce texte :

« Merci pour votre réponse. Permettez-moi de réagir à votre message - cette remarque ne vous est pas adressée personnellement, mais à l'équipe éditoriale du Monde.

Pour être honnête, j'ai été surpris de recevoir une demande du Monde pour écrire une tribune sur « l'après-Gaza », connaissant la ligne éditoriale du journal (similaire- mais avec quelques nuances, à celle de Libération et Le Figaro) concernant le conflit israélo-palestinien, particulièrement depuis le 7 octobre. Je qualifierais cette position d'aveuglement face à l'invocation du « droit d'Israël à la légitime défense », malgré le caractère manifestement disproportionné de ses actions.

Contrairement à toutes les organisations de défense des droits humains respectées - la Fédération internationale des ligues des droits de l'homme, Human Rights Watch, Amnesty International, B'Tselem, les Médecins israéliens pour les droits de l'homme, entre autres - Le Monde ne reconnaît pas ce qui s'est passé à Gaza comme un génocide.

Vous avez contesté mon utilisation du terme « droit des Palestiniens à la résistance armée » contre l'occupation, alors même que le droit international reconnaît ce droit après plus de cinq décennies d'occupation militaire, depuis 1967. Ce qui m'a le plus choqué, cependant, c'est votre insistance à ce que je limite ma tribune à la manière dont les Gazaouis vivent « l'après », sans aborder la question de la façon dont les Israéliens - et les puissances euro-américaines qui ont participé, activement ou passivement, au génocide - vivront leur propre « après ».

Pour Le Monde, il semble qu'un sociologue franco-palestinien ayant étudié en France ne puisse être qu'un informateur sur Gaza. C'est un schéma récurrent : je me souviens qu'au moment où le président Macron avait tenu ses propos islamophobes sur le « séparatisme islamique », j'avais rédigé une tribune pour y répondre - alors que j'étais président de l'Association internationale de sociologie. Le Monde (comme Libération) a refusé de la publier. Le fait qu'un universitaire français, à la tête d'une prestigieuse association internationale, en soit l'auteur n'a compté pour rien ; à vos yeux, je n'étais et ne reste qu'un « informateur local », limité au Liban ou à Gaza - et rien au-delà.

Il convient de rappeler que durant la campagne de Macron sur le prétendu « séparatisme islamique », aucun grand quotidien français n'a publié d'articles d'opinion signés par des Français musulmans - comme le confirme mon analyse de contenu systématique menée à cette période. Même un sociologue de renom comme Farhad Khosrokhavar n'a pas pu publier de critique de cette campagne.

Le Monde pourrait peut-être réfléchir à la manière dont les médias et le monde académique français ont développé une tendance paroissiale, réticente à l'internationalisation des sciences sociales. J'ai d'ailleurs abordé cette question dans mon entretien publié dans Socio-logos : Revue de l'Association française de sociologie :  journals.openedition.org. «

Bien cordialement,

Sari Hanafi

  • Sari Hanafi, né le 4 mai 1962, obtient son diplôme d'ingénieur civil de l'université de Damas en 1984, puis un diplôme de sociologie de la même université. Il obtient ensuite le DEA Sciences et techniques dans l'histoire, la culture et l'organisation des sociétés de l' université de Strasbourg, puis un doctorat, avec une mention Très honorable, en sociologie de l' École des hautes études en sciences sociales de Paris. Il travaille pour le CNRS de 1991 à 1994.
  • Président (2018-2022) de l' Association internationale de Sociologie (ISA), il a été le directeur du Palestinian Refugee and Diaspora Centre à Ramallah ainsi que chercheur au Centre d'études et de documentation économique juridique et sociale au Caire ( CEDEJ) et chercheur à l' Université Al-Qods.
  • Il est aujourd'hui professeur (« associate professor ») de sociologie à l'université américaine de Beyrouth.

 europalestine.com