10/11/2025 arretsurinfo.ch  4min #295878

Et si l'on renversait les cartes !

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Par Guy Mettan

Et si, pour rafraîchir notre vision étriquée du monde, on renversait, non pas les tables, mais les cartes ? En mettant par exemple la Terre de Feu, l'Afrique du Sud et l'Australie en haut et la Russie, l'Europe et l'Amérique du Nord en bas ? Après tout, sur une planète en forme de sphère et dans un univers qui se déploie dans toutes les directions, la façon de représenter la Terre dans l'espace, avec l'hémisphère nord en haut et l'hémisphère sud en bas, est une convention qui n'est pas plus rationnelle qu'une autre.

A une époque où la vision occidentale du monde est contestée, où le Sud essaie de prendre sa revanche sur un Nord qui l'a dominé pendant cinq siècles et où la planète humaine entre dans une phase de décomposition/recomposition accélérée, cet effort d'imagination n'est pas superflu.

Car la représentation traditionnelle n'est que le reflet du point de vue du cartographe qui a imaginé en 1569 la première projection moderne sur une surface rectangulaire et inventé le premier globe terrestre, le Flamand Gérard Mercator. La facilité qui a consisté à afficher cette carte sur un mur et à fixer ce globe autour d'un axe nord-sud grâce à des attaches qui permettaient de le faire tourner sans peine a fait le reste.

Mais si la projection de Mercator a été un immense progrès et a rendu d'inestimables services à la navigation, elle a aussi gravement faussé la perception du monde chez ceux qui l'ont adoptée. Sur le plan moral d'abord. Le haut étant perçu comme supérieur au bas, ces représentations ont accrédité de façon inconsciente l'idée que les ressortissants du haut, à savoir les Européens du nord, étaient forcément supérieurs aux peuples du sud habitant le « bas » de la planète.

Que se serait-il passé si l'on avait fait une carte inversée, en mettant le sud en haut et le nord en bas ? Les Européens auraient-ils fait preuve de la même ardeur colonisatrice ? Du même sentiment de supériorité sur les autres races du globe ? On peut sérieusement se poser la question.

Second problème, physique cette fois. La projection de Mercator agrandit les pôles - et donc l'Europe et l'hémisphère nord qui rassemblent la plupart des terres émergées - et rapetisse les territoires proches de l'Equateur, soit, essentiellement, l'Afrique. Le Groenland parait démesurément grand alors que l'Afrique apparait deux fois plus petite que sa taille réelle. L'ile de Madagascar semble de la même taille que la Grande-Bretagne alors qu'elle est deux fois plus grande qu'elle. En taille réelle, l'Afrique est aussi vaste que la Russie, les Etats-Unis et l'Inde réunis. La taille étant souvent associée à la puissance et à la grandeur dans notre imaginaire, on voit tout de suite l'effet qu'une Afrique rétrécie peut exercer sur nos schémas mentaux.

Ces distorsions n'ont évidemment pas échappé aux géographes. En 1945, pour contourner le syndrome de Mercator et le tropisme américain, le drapeau de l'ONU a adopté une projection centrée sur le pôle Nord et le méridien de Greenwich qui a l'avantage de mettre à la fois l'Europe et l'Afrique sur un même axe central.

En 1974, le géographe allemand Arno Peters, dans la foulée de l'Ecossais James Gall, a imaginé une carte qui restitue la surface réelle de chaque pays et inverse le nord et le sud. Effet renversant garanti ! Aucune des projections n'étant parfaite puisqu'il faudrait pour cela réussir à opérer la quadrature du cercle, il existe des dizaines de projections différentes. Mentionnons deux tentatives intéressantes baptisées Equal Earth et Authagraph, qui ont le mérite de conserver les proportions des continents tout en évitant le stéréotype nord-sud classique. Mais le chemin est encore long avant qu'on les adopte comme des modèles standard.

Signalons pour terminer l'essai ludique de l'artiste allemand Nikolaj Jesper Cyon qui a imaginé une carte de l'Afrique inversée qui la représente non pas telle qu'elle est mais telle qu'elle aurait pu être si elle n'avait pas été colonisée par les Européens. Elle adopte le méridien de Tombouctou plutôt que celui de Greenwich et vise à reconstituer les centaines d'Etat et de groupes culturels qui se partageaient l'Afrique avant 1844, soit avant le début de la grande colonisation européenne, en reprenant l'un de ses plus anciens noms vernaculaires, d'origine arabe, Alkebulan, qui signifie « mère de l'humanité » ou « jardin d'Eden ».

Un retour aux sources en quelque sorte...

Par  Guy Mettan, journaliste indépendant

 Arrêt sur info, 10 novembre 2025

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