
par Serge van Cutsem
Après la colonisation de l'esprit par la censure numérique vient celle de la matière par la norme écologique. L'Europe, au nom du bien, se punit elle-même : elle détruit son énergie, ruine sa production, et appelle cela vertu. Ce texte poursuit Le Réveil numérique: là où s'éteint la pensée, c'est désormais le feu qui s'éteint.
L'illustration représente l'Europe de nuit, toutes ses lumières éteintes, sauf une flamme autour de la Sicile : le feu de Prométhée. C'est la même lumière symbolique qui relie chacun des «Réveils» : celle du savoir, de la désobéissance créatrice et du refus de l'extinction (1).
Dans sa dernière vidéo, que je vous invite vivement à regarder sur YouTube , Aldo Sterone met en lumière un événement passé presque inaperçu : le Qatar et ExxonMobil annoncent leur retrait progressif du marché énergétique européen. Silence médiatique total. Et pourtant, cette décision signe peut-être le point de bascule d'un continent qui, au nom du climat, s'interdit désormais de vivre. Ce texte prolonge directement ma publication précédente Le Réveil numérique : après la colonisation de la conscience vient celle de la matière. Après la censure des mots, la coupure du courant et de l'énergie.
Le Qatar a prévenu : il ne livrerait plus de pétrole à l'Europe l'an prochain et ExxonMobil s'apprêterait à suivre. Ce n'est pas un chantage, c'est une réaction rationnelle et normale face à une bureaucratie européenne devenue létale. Et pourtant, rien...Pas une ligne dans la presse, ni un débat dans les parlements. Le silence n'est plus une omission : c'est une stratégie. Les rédactions, oscillent comme à leur habitude entre propagande et omerta. Les peuples, eux, croient encore que l'énergie se produit à Bruxelles par décret. Ils ne voient pas que leur confort repose désormais sur une illusion, sa pérennité.
Souvenez-vous du RGPD, cette loi sur la protection des données qui n'était pas un progrès : c'était le prototype d'une punition morale. L'idée géniale consistait à faire payer non pas la faute, mais la simple participation à l'économie. Les amendes, indexées sur le chiffre d'affaires mondial, ont donné à l'Union européenne un goût nouveau : celui du pouvoir sans responsabilité. Depuis, la même mécanique s'applique à tout : climat, genre, inclusion, biodiversité. Chaque valeur devient prétexte à prélèvement. Chaque règlement transforme la vertu en impôt (2)
C'est dans cette logique qu'apparaît aujourd'hui la directive CS3D, la Corporate Sustainability Due Diligence Directive (3). Sous couvert de "devoir de vigilance", elle oblige toute entreprise active en Europe à prouver que toute sa chaîne mondiale respecte les idéaux climatiques et sociaux de Bruxelles. Un fournisseur asiatique qui brûle trop de charbon, un sous-traitant africain sans "politique de genre", un fabricant américain non conforme aux accords de Paris : tout devient motif à sanction. L'amende peut atteindre 5 % du chiffre d'affaires global. Exxon et le Qatar ont simplement fait le calcul : plutôt se retirer que risquer la ruine. L'Europe, déjà coupée de la Russie, NordStream 2 détruit, s'isole maintenant du reste du monde, et ceci volontairement (4)
Moraliser, normer, punir, ruiner : voilà le cycle vicieux parfait. Ce que la guerre n'a pas détruit, la norme l'efface. Ce qu'une bombe ne peut pas faire en une seconde, une directive le fera très bien en dix ans. L'Europe s'inflige la guerre qu'elle prétend éviter : une guerre contre sa propre énergie. Ce que les stratèges appellent «ciblage des infrastructures vitales», la Commission le pratique au nom du climat. Résultat : plus de feu, plus de souffle, plus d'énergie et donc une production qui meurt, une civilisation à bout de watts.
Il faut cesser de croire que tout cela est absurde. Ce n'est pas de l'incompétence, c'est une stratégie. L'Europe post-souveraine, et bientôt totalement fédérale, veut se dissoudre dans une gouvernance mondiale. Pour y parvenir, elle doit d'abord rendre ses peuples dépendants, ses entreprises coupables et ses États impuissants. C'est la rationalité du suicide : on détruit sa puissance pour mieux s'adosser à celle des autres. Le chaos n'est pas un échec : c'est un mode de gouvernement. La rareté devient le nouvel instrument de contrôle : quand on gère la pénurie, on n'a plus besoin de convaincre, il suffit de distribuer des tickets de rationnement, et cela avec l'identité et la monnaie numérique, ce sera très simple et automatisé (5)
Dans Le Réveil numérique, j'évoquais la colonisation de l'esprit, voici maintenant la colonisation du réel. Ce que la censure a fait à la pensée, la norme le fait à la production. La propagande filtre les mots tandis que les directives filtrent les kilowatts. La censure prépare la pénurie et la pénurie achève la servitude. Bientôt, il ne s'agira plus seulement de ce que vous avez le droit de dire, mais de ce que vous aurez le droit de chauffer.
Une civilisation meurt toujours en deux étapes : elle perd d'abord dans son âme et ensuite dans sa matière. L'Europe a cessé de croire à la liberté, puis à la puissance, puis à l'énergie. Elle a troqué Prométhée pour Greta Thunberg, la forge pour le slogan, le feu pour le QR code. Ses dirigeants rêvent d'un continent propre, froid et silencieux. Un musée certifié neutralité carbone, mais un musée n'est pas un monde, et un peuple qui ne produit plus finit toujours par ne plus penser.
Le Réveil numérique traitait de celui de la conscience, ici on parle du réveil matériel tout aussi nécessaire, celui qui consiste non pas à débrancher les écrans, mais à rallumer les moteurs (les vrais). Il faut retrouver la maîtrise de l'énergie, du travail, de la matière, du réel. Il faut refuser la pauvreté morale et physique imposée au nom du climat, car sans énergie il n'y a pas d'économie; sans économie il n'y a pas de liberté et sans liberté il n'y a pas de civilisation (Et sans feu, l'homme cesse d'être homme).