
pour toujours, et à jamais
Par Ahmad Ibsais, le 6 novembre 2025
Avant octobre 2023, je n'aurais jamais cru pouvoir comprendre comment un crâne d'enfant se brise sous le poids d'un bâtiment, ni comment le sang coagule après qu'un tireur embusqué a tiré sur ceux qui agitent un drapeau blanc. Il y a deux ans, je n'aurais jamais pensé écrire sur les mille et une façons dont mon peuple se fait tuer, être réduit en miettes, à l'image de notre terre. Être Palestinien, c'est subir la terrible injustice d'assister, impuissant, à l'anéantissement de son peuple. Mais être Palestinien, c'est aussi ne jamais capituler, et perpétuer son nom et sa patrie avec fierté. Mahmoud Darwish a un jour écrit :
"Nous, Palestiniens, souffrons d'une maladie incurable : l'espoir".
Ces 24 derniers mois, j'ai découvert un nouveau sens à ce que signifie "être palestinien". Être Palestinien, c'est incarner un monde qui n'existe pas encore, c'est croire à la libération de la Palestine, et que ce qui a été volé lui sera rendu.
Plus de 65 000 Palestiniens ont été tués, soit une moyenne de 91 morts par jour pendant vingt-quatre mois. Des bilans indépendants font état de 680 000 morts, principalement des enfants, tandis que des études plus prudentes évoquent plus de 200 000 personnes assassinées. 70 % de toutes les infrastructures de Gaza, dont 92 % des logements, sont rasées ou en ruines. Toutes les universités ont été bombardées. 95 % des écoles sont endommagées ou détruites. Près de 1 600 soignants ont été massacrés depuis mai 2025, et plus de 1 000 Palestiniens venus chercher de quoi nourrir leurs familles ont été abattus par les forces israéliennes.
Le plan en vingt points révélé par Trump en septembre 2025 illustre parfaitement la situation actuelle. Il élimine le droit au retour pour faire avancer le projet colonialiste qu'il qualifie de "paix". Dans la bouche des colonisateurs, il désigne l'asservissement et la mort, tant qu'il ne fait pas la une des journaux. Selon ce plan, Gaza serait sous l'autorité d'un "Conseil de paix" dirigé par Trump et Tony Blair, l'ancien Premier ministre britannique qui a largement contribué à la destruction de l'Irak. Cette tutelle reproduit les mêmes mécanismes de gestion coloniale que ceux mis en place par les Européens à la Conférence de Berlin, par le biais des mandats de la Société des Nations et des territoires sous tutelle de l'ONU. Ces cadres racistes ont toujours traité les peuples colonisés comme des enfants que l'Occident devrait superviser jusqu'à ce qu'ils "grandissent". Aujourd'hui, ils tentent le même scénario, sous couvert d'aide humanitaire.
Le prétendu "cessez-le-feu" est une honte. On continue d'assassiner des journalistes palestiniens, comme Saleh al-Jafarawi. Le Dr Hussam Abu Safiya, notre compatriote, est toujours emprisonné. Israël occupe toujours 58 % de la bande de Gaza et resserre son emprise asphyxiante sur la Cisjordanie. Le droit au retour est donc plus impératif que jamais. Rappelons que le droit au retour n'est ni négociable, ni conditionnel, ni subordonné à l'approbation de nos oppresseurs. Ce droit existe par-delà les cessez-le-feu qui n'en sont pas, par-delà les plans de paix conçus pour pérenniser notre dépossession.
Le plan exige le désarmement total du Hamas et son retrait de la gouvernance de Gaza. Israël se réserve le droit de répondre à ses "impératifs de sécurité" (armes nucléaires et autres armes de destruction massive) comme il l'entend. Une force internationale est déployée à Gaza dans une zone tampon, c'est-à-dire sur davantage de terres volées, et y assure la gouvernance. Et simultanément, des villes de Cisjordanie comme Sinjil et des villages proches de Jérusalem sont annexés à un rythme sans précédent.
Le genre de colonialisme qui attend de ses victimes un peu de gratitude pour les chaînes. Le plan en vingt points n'esquisse qu'une vague perspective de création d'un État, sans jamais rien garantir, assorti de conditions, sans cesse reporté, avec pour objectif de verrouiller un contrôle étranger permanent sur ce qui reste de Gaza, et bientôt de la Cisjordanie. Le système qui a causé la Nakba devient la politique internationale officielle.
Lorsque la Nakba a commencé en 1948, plus de 750 000 Palestiniens ont été expulsés, soit plus de la moitié de la population palestinienne de l'époque. Plus de 400 villages ont été rayés de la carte et plus de 70 % de la Palestine historique a été confisquée. Depuis, les massacres ont jalonné notre histoire, se perpétrant chaque décennie, entre deux déplacements massifs : Deir Yassin en 1948, où des femmes enceintes ont été tuées à coups de baïonnette et des enfants jetés dans des puits. Kafr Qasem en 1956, où quarante-neuf agriculteurs revenant des champs ont été exécutés de sang-froid. Sabra et Chatila en 1982, où des milliers de réfugiés ont été massacrés en présence des forces israéliennes. Jénine en 2002, où des bulldozers ont écrasé des familles dans leurs maisons. Et Gaza plusieurs fois entre 2008 et 2025. Chaque attaque a été plus dévastatrice que la précédente. Chaque massacre ne cherche qu'à terroriser les Palestiniens pour qu'ils se résignent à l'exil permanent. Tous ces massacres pour nous faire comprendre que notre retour est interdit.
Et même si le monde refuse d'agir ou met des années à admettre l'évidence, les Palestiniens tiennent bon quant à leur droit au retour. Malgré les bains de sang, nous savons que notre terre nous attend.
Je n'y suis pas retourné depuis des années, mais je sens encore la chaleur du soleil sur ma peau. La chaleur semble plus intense et le parfum des oliviers et du yannsoune (l'anis), et je me sens chez moi dans n'importe quel magasin de quartier ou marché populaire. Je revois aussi la teinte unique du ciel au-dessus des terres de mon grand-père. Quand j'y pense, quand je rêve de la Palestine, je pense avant tout à la vie. C'est ce qu'Israël a tenté de faire disparaître : la vie tout court.
Rien ne justifie un génocide. Le génocide consiste à commettre des actes "dans l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux". C'est le crime le plus grave contre l'humanité, strictement illégal selon le droit international. Rien ne peut le légitimer. Aucun fait antérieur ne le cautionne. Suggérer le contraire revient à condamner les peuples colonisés au même sort et à renier les valeurs juridiques issues des tragédies du passé.
Ce que je sais aujourd'hui, après deux ans d'extermination, c'est que le droit au retour des Palestiniens n'a jamais été une question d'autorisation. Nous ne sommes pas là pour les convaincre de notre humanité ou attendre patiemment que le droit international fasse son œuvre. Le droit au retour, c'est d'abord notre refus de les laisser nous effacer, même s'ils s'y emploient. C'est le fil conducteur qui unit tous les Palestiniens de 1948 à aujourd'hui, cet élan indéfectible de détermination, le talon d'Achille de leur projet colonial.
La résolution 194 des Nations unies garantit notre droit de retour dans nos maisons et nos propriétés, et stipule que "les réfugiés désireux de rentrer chez eux et de vivre en paix avec leurs voisins doivent en avoir la possibilité dans les meilleurs délais". La Déclaration universelle des droits de l'homme, dans son article 13, établit le droit de chacun de rentrer dans son propre pays. Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques rend ce droit contraignant. La résolution 3236 de l'ONU affirme que le droit au retour est "inaliénable". Il s'agit là d'obligations juridiques bafouées depuis soixante-dix-sept ans, alors que le monde se prétend respectueux du droit international.
Les décennies de pratiques constantes des États et l'opinio juris (norme coutumière) sur le principe d'autodétermination ont contribué à ancrer le droit au retour des Palestiniens dans le droit international coutumier, faisant d'une aspiration politique la norme juridique contraignante. Cette évolution montre comment le droit international s'adapte pour reconnaître des droits humains fondamentaux qui transcendent les frontières arbitraires imposées par les puissances coloniales. Le droit au retour s'inscrit directement dans ce principe d'autodétermination, reconnu par la Cour internationale de justice en tant que norme erga omnes (obligations des États envers la communauté des États)), engageant ainsi tous les États à le respecter et le garantir, indépendamment de leurs relations bilatérales avec les parties concernées.
En vertu du jus cogens (droit contraignant), certaines normes du droit international sont si cardinales qu'aucune dérogation n'est admise. L'autodétermination relève toujours plus de cette catégorie de normes impératives, et les violations de l'autodétermination palestinienne constituent donc non seulement des violations de traités, mais aussi des atteintes fondamentales à l'ordre juridique international lui-même. Le refus systématique d'Israël de garantir le droit au retour et à la vie des Palestiniens depuis soixante-dix-sept ans constitue une violation permanente du droit international. Ces violations impliquent des obligations, y compris une intervention militaire active et immédiate.
Et l'obstacle à notre retour, c'est l'incapacité à admettre ce que représente Israël : une colonie de peuplement fondée sur le nettoyage ethnique, qui a perfectionné pendant soixante-dix-sept ans l'art de faire disparaître les populations autochtones. Notre retour suppose de reconnaître que la "seule démocratie du Moyen-Orient" n'est en réalité qu'un État d'apartheid qui commet un génocide au ralenti depuis 1948, et à un rythme accéléré depuis octobre 2023.
Israël tente de prétendre que le droit au retour est irréalisable, mais une fois encore, il ment. Les accords d'Arusha de 1993 au Rwanda reconnaissent explicitement le "droit inaliénable" des réfugiés tutsis de rentrer dans leur pays après trente-quatre ans d'exil, même si leur retour modifie l'équilibre ethnique du pays. Les accords de Dayton de 1995 ont fait du retour des réfugiés un élément central de l'accord de paix en Bosnie, stipulant que "tous les réfugiés et les personnes déplacées sont en droit de retourner librement dans leur foyer d'origine". À Chypre, les tribunaux européens ont toujours soutenu les demandes de retour des Chypriotes grecs pendant cinquante ans, malgré l'occupation du nord de l'île par la Turquie. Le Kosovo a inscrit dans sa constitution de 2008 le droit au retour de tous les citoyens présents sur son territoire avant 1998, quelle que soit leur nationalité ou leur allégeance politique actuelle.
Les Palestiniens n'ont pas besoin de précédent pour justifier ce qui leur revient de droit. Les États génocidaires ne sont pas habilités à fixer les conditions de survie de leurs victimes. Ils ne sont pas en droit de dicter la manière dont nous vivons, l'endroit où nous allons ou la justice que nous reconnaissons. Notre retour n'est pas soumis à l'approbation d'Israël, pas plus que la survie des Juifs au consentement des nazis. Nous reviendrons parce que c'est notre terre, parce que le droit international l'exige, et parce qu'aucune violence ne peut détruire un peuple autochtone à jamais.
Notre retour sera la preuve que les peuples autochtones peuvent survivre au génocide et rentrer chez eux. Notre retour permettra à tous les peuples déplacés de la planète d'exiger le même droit. Voler des terres, même en les occupant pendant des décennies et en tuant massivement, ne les rend pas légalement acquises.
Nous reviendrons, car la terre se souvient de nos noms, même quand le monde refuse de les prononcer. Mais nous ne reviendrons pas en réfugiés reconnaissants, mendiant un abri dans notre propre patrie. Nous reviendrons en tant que peuple ayant survécu au génocide, résisté au nettoyage ethnique et refusé d'être effacé. Nous reviendrons la tête haute, avec nos droits intacts, car tout autre choix perpétuerait la domination coloniale à l'origine de ce désastre. On ne peut tuer une idée dont l'heure est venue - du fleuve à la mer.
Parce que je suis un étranger
Parce que notre bien-aimée Palestine
est enchaînée derrière des cieux sans ciel,
C'est à elle, à elle, que je m'adresse : Palestine !
Et me revient le chant
Des pneus sur les rues couvertes de poussière de char
Mon cœur est toujours là-bas
à Khan Younis
Sous le plafond effondré
D'une boulangerie où autrefois levait le pain
J'effleure les murs de la mémoire
Où s'accroche la poussière
Des pierres
Des pierres, pas même le sel de mer
Ni les vagues de Haïfa
Des pierres, ni même le parfum des oranges de Jaffa
Des pierres imprégnées de la fumée
Des vergers en feu
Ma voix, comme une pierre
Mes dents, des douilles de balles
Mes mains, pleines des sacs de sable de Gaza.
Les sacs de dattes que nous ne mangerons jamais
Et mes pas
Le vent tourmente
Un arbre à Beit Hanina - Il porte le dernier fruit vert
Pour un fils qui n'est jamais rentré.
- Ahmad Ibsais
Traduit par Spirit of Free Speech