16/11/2025 ssofidelis.substack.com  5min #296451

Une spoliation sous les radars

Nabi Samwil, en septembre. Le village se trouve dans la zone de jonction : un immense territoire accessible aux Israéliens mais interdit aux Palestiniens. Crédit photo © Yahel Gazit

Par  Amira Hass &  Savage Minds, le 15 novembre 2025

Un transfert de population silencieux et permanent en Cisjordanie.

Alors que les troupes de Yesha-stan (combinaison de Yesha, acronyme officiel de Judée, Samarie et Gaza, et du suffixe -stan, en référence à un État) vaquent avec zèle à leurs missions en Cisjordanie, délogeant autant de Palestiniens que possible de leurs terres, une expulsion plus silencieuse est en cours, sans faire la une de l'actualité.

Elle ne s'exerce pas à coups de barres de fer ou de balles réelles, mais par le biais d'ordonnances et de règlementations élaborées par des experts juridiques anonymes et en col blanc, validées par les généraux de l'armée et entérinées par la Haute Cour de justice d'Israël.

Ce transfert de population prend le nom de  "zone de jonction", soit un immense territoire d'environ 320 000 dunams (près de 320 km²) entre la barrière de séparation au cœur de la Cisjordanie et la Ligne verte. Les Israéliens y ont accès, mais pas les Palestiniens.

Israéliens et touristes peuvent s'y déplacer à leur guise et y implanter des colonies de peuplement illégales au regard du droit international. Pour les Palestiniens vivant dans le territoire occupé par Israël en 1967, cette zone essentiellement rurale qui constitue leur unique ressource est désormais repoussée aux confins proverbiaux du royaume des ténèbres.

Seuls quelques agriculteurs des villages situés entre Qalqilya et Ya'bad qui se sont vus accorder des permis, ont pu accéder à leurs terres ces deux dernières années. Grâce à des pétitions déposées par  l'ONG israélienne de défense des droits humains HaMoked, quelques agriculteurs ont récemment décroché l'autorisation de récolter leurs olives pendant deux ou trois jours seulement. Ils ont cependant vite regretté le déplacement, leur cœur brisé à la vue des arbres desséchés et des oliveraies à l'abandon depuis tant d'années.

Lorsque les véritables spécialistes de la politique israélienne - les Palestiniens, la gauche et les organisations de défense des droits humains - ont prédit au début des années 2000 que le tracé de la barrière de séparation visait à s'emparer des terres les plus fertiles, les responsables gouvernementaux ont levé les yeux au ciel et se sont moqués : "Nous ? Pourquoi vouloir autant de terres avec moins de Palestiniens dessus ? Quelle ineptie ! D'où vous vient cette idée ? Notre unique préoccupation est la sécurité".

Mais les colons de Yesha-stan ont installé des caravanes illégales et des enclos à bétail à quelques mètres seulement des oliveraies palestiniennes, puis ont prétendu que l'activité de récolte constitue une menace pour leur sécurité. Ils se sont donc arrogé le droit divin d'attaquer les saisonniers jusqu'à verser leur sang.

L'État, quant à lui, condamne la population qu'il contrôle depuis 1967 à un éternel statut de citoyens de seconde zone, qualifiant chaque puits, marché ou visite organisée dans la zone artificiellement baptisée " zone C" d'infraction passible de sanctions. Dans la zone de jonction, surnommée "zone C au carré", les interdictions sont si draconiennes que les quelques milliers de Palestiniens qui vivent dans les villages enclavés ne peuvent occuper leurs propres maisons que si Israël daigne leur délivrer des permis spéciaux.

Les habitants de trois villages situés au nord-ouest de Jérusalem, Beit Iksa, Nabi Samwil et Khalaila, ont récemment rejoint ces populations piégées. Ce reclassement n'a guère d'importance pour eux, car ils sont depuis longtemps totalement coupés de leurs proches, de leurs amis et de leurs lieux de travail. Ils sont soumis depuis 20 ans à un régime de restrictions drastiques en matière de circulation et de construction. Une région autrefois animée reliait autrefois ces villages entre eux et leurs champs et vergers. Aujourd'hui, elle a été "purgée" de sa population palestinienne, et annexée de fait à Israël.

Aujourd'hui, les habitants de ces trois villages ont en outre besoin d'un permis israélien pour vivre dans leur propre maison. Plusieurs centaines d'entre eux n'ont pas obtenu ces permis et plusieurs dizaines ont été informées qu'elles ne les obtiendront jamais. Les bureaucrates israéliens, en exécutants zélés, décideront à l'avenir quels permis révoquer, libres d'inventer de nouvelles "clauses de résidence" au gré de leurs besoins.

Nous assistons à une expulsion silencieuse et permanente, opérée sous les radars. C'est pourquoi la plupart des Israéliens ne sont pas particulièrement choqués par les expulsions brutales et massives menées par les "envoyés du Tout-Puissant", et pourquoi ils ne descendent pas dans la rue pour protester et mettre fin à ces pratiques. Car au fond, tous soutiennent la mainmise immobilière bénéficiant aux seuls Israéliens.

Traduit par  Spirit of Free Speech

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