19/11/2025 reseauinternational.net  14min #296689

Chine : Le Xve plan quinquennal : l'opportunité d'une nouvelle frontière de coopération franco-chinoise de la technologie à la gouvernance ?

par Jean Pégouret

Le 4e Plenum du XXe Congrès du PCC vient de se terminer fin octobre à Pékin. Les recommandations pour la définition du XVe Plan quinquennal pour la période 2026-2030 ont été formulées.

Lors d'une réunion le 30 octobre à l'Ambassade de Chine à Paris, les grandes lignes ont été présentées par le Chargé d'Affaires par interim, S.E. CHEN Dong. Ayant été invité à présenter mon analyse en tant qu'observateur français, j'ai souligné qu'une nouvelle ère de coopération franco-chinoise pourrait s'ouvrir dans le domaine de la gouvernance, au-delà de la seule collaboration industrielle et économique.

Cet article analyse les documents issus du 4e Plenum et explicite l'opportunité pour la France d'aujourd'hui de s'inspirer de l'exemple d'une gouvernance chinoise couronnée de succès et de l'expérience passée de la France lors des Trente Glorieuses les deux appuyées sur des Plans. Les obstacles à surmonter sont également abordés.

Mon analyse sera reprise dans les n°12 de  La Chine au Présent et n°26 de Dialogue Chine-France à paraître en novembre-décembre.

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Dans une  émission sur BFM Business le 8 novembre 2025 consacrée à la préparation du XVe plan quinquennal, les deux intervenants français s'accordaient pour affirmer que pour les entreprises françaises en Chine, le plan quinquennal est la «boussole» qui guide leurs anticipations et leurs futurs investissements en Chine.

Ce sont les orientations données dans la préparation du XVe Plan quinquennal qui permettent de discerner à partir de 2026 les nouvelles opportunités pour les relations économiques franco-chinoises.

Par ailleurs, tous les intervenants ont aussi appelé les entreprises françaises à participer aux très nombreux salons organisés en Chine afin de découvrir la réalité des secteurs stimulés par le Plan, qui feront la Chine de demain et de nouer des coopérations dans ces domaines.

Ce plan, fruit d'un processus démocratique et participatif exceptionnel, ne se contente pas de tracer la voie du développement chinois pour les cinq prochaines années - il représente l'aboutissement d'un système de gouvernance unique qui a prouvé son efficacité dans la transformation spectaculaire de la Chine.

Mais en fait, la coopération franco-chinoise peut aussi franchir de nouvelles frontières, de la technologie à la gouvernance, en dépassant la recherche d'effets d'aubaine et en portant son regard sur «la méthode de la méthode», comme l'écrivait le philosophe Edgar Morin. Pourquoi ne pas se pencher à nouveau sur les bénéfices du plan quinquennal qui fait ses preuves en Chine, d'autant plus que la France l'a déjà pratiqué avec succès pendant la période faste des Trente Glorieuses qui a suivi la Deuxième Guerre mondiale ?

1. Le contexte est l'esprit du XVe plan quinquennal

Les documents foisonnants produits à l'occasion du 4e Plenum du XXe Congrès méritaient d'en faire la synthèse que voici pour en extraire d'une part l'esprit et les objectifs de ce plan et d'autre part la façon dont la Chine conçoit et procède à sa gouvernance.

À travers son introduction explicative à la préparation du XVe Plan, lors du 4e Plenum du XXe Congrès du CCPC, Xi Jinping a rappelé le rôle attendu d'un Plan quinquennal.

«L'idée générale des Propositions (pour le XVe Plan quinquennal) est qu'il faut planifier de manière systématique et organiser de façon stratégique le développement économique et social de notre pays durant cette période, et ce conformément aux dispositions stratégiques globales, en vue d'établir en deux étapes la transformation de la Chine en un grand pays socialiste moderne dans tous les domaines, objectif énoncé lors du XXe Congrès du Parti».

En résumé, le XVe Plan s'inscrit dans un processus de progrès continuel devant aboutir à la Modernisation socialiste de la Chine dont l'essentiel doit être réalisée en 2035.

Le XIVe Plan, conçu dans le contexte des conséquences de la pandémie de Covid19, était la première étape que devrait consolider le XVe Plan en renforçant les avantages, combler les carences et occuper une position stratégique favorable dans la concurrence internationale.

Le communiqué du Comité Central au 4e Plenum souligne que le XVe Plan couvre une période cruciale pour la modernisation socialiste où se produiront «des changements complexes qui affecteront le développement du pays», avec à la fois «des opportunités stratégiques et des risques sérieux» et des «facteurs d'incertitude croissants».

La préparation du XVe plan prend donc en compte l'évolution actuelle de l'économie chinoise marquée par un ralentissement de sa croissance et une situation internationale qualifiée de «difficile et complexe».

Il faut entendre pour ce dernier point les pressions sur le voisin russe confronté à une guerre avec l'OTAN en Ukraine mais surtout les décisions erratiques du président Trump qui remettent en cause les accords commerciaux internationaux et donc les exportations de la Chine.

Aussi, les objectifs du développement économique et social, définis scientifiquement, selon une procédure de concertation très large, cherchent à répondre à ce contexte précis avant d'entamer le XVIe plan de consolidation suivant à horizon 2035.

L'accent du XVe Plan est donc mis sur le soutien à la consommation intérieure plus qu'à une économie tirant sa croissance des exportations. Le XIVe Plan avait déjà adopté cette orientation en exposant le concept de «double circulation».

Pour comprendre l'esprit de la démarche du PCC vis-à-vis du Plan quinquennal, il n'est pas inutile d'expliciter les concepts récurrents dans son discours de «Plan global en Cinq axes» et de «Quatre intégralités» employés lors du 4e Plenum.

Le «Plan global en cinq axes» se réfère à la construction économique, politique, culturelle, sociale et écologique, qui est la disposition globale du socialisme à caractéristiques chinoises.

Les «Quatre intégralités» se réfèrent à la réalisation intégrale de la construction d'une société modérément prospère, à l'approfondissement intégral des réformes, à la gouvernance intégrale du pays selon la loi et à la gouvernance intégrale et stricte du Parti, qui est la disposition stratégique pour réaliser le rêve chinois de la grande renaissance de la nation chinoise.

Le principe général reste «d'aller de l'avant d'un pas assuré» en s'appuyant sur la réforme et l'innovation comme forces motrices essentielles.

La priorité est de satisfaire l'aspiration croissante de la population à une vie meilleure.

Cette priorité est rappelée dans tous les documents eu PCC : placer le Peuple comme principale préoccupation et le Parti Communiste Chinois à son service.

Les objectifs du XVe Plan quinquennal

Le marqueur de la modernisation socialiste retenu est le PIB par tête qui doit rejoindre d'ici 2035 le niveau des pays moyennement développés.

Ceci passe par le soutien à une croissance raisonnable, à la productivité, à la synchronisation de la progression des revenus avec la croissance économique et des rémunérations suivant l'amélioration de la productivité, à l'agrandissement de la classe moyenne.

Compte-tenu de la baisse de l'économie chinoise et de l'insuffisance de la demande, le XVe Plan devra définir les exigences quantitatives et concrètes pour que la demande intérieure devienne la principale force motrice de la croissance économique.

Le rapport du Secrétaire général Xi Jinping expose en détail comment le XVe Plan doit promouvoir le développement de la qualité de l'économie chinoise à travers l'innovation scientifique, l'éducation, la recherche de l'indépendance technologique, les nouveaux systèmes énergétiques, numériques et écologiques.

Il insiste sur le renforcement des circuits économiques intérieurs pour compenser la conjoncture extérieure mais sans négliger l'ouverture réglementaire, la sauvegarde du commerce multilatéral et une «coopération de haute qualité» dans le cadre de l'initiative «La Ceinture et la Route».

Xi Jinping aborde ensuite le volet social du XVe Plan par l'engagement à réfléchir du point de vue du Peuple pour garantir le bien-être social, éradiquer la pauvreté. Il rappelle l'objectif d'aboutir à une «société de moyenne aisance» et à un développement régional coordonné.

Il cite les objectifs sociaux à atteindre : plein emploi, répartition des revenus, système éducatif répondant aux attentes de la population, protection sociale renforcée, secteur immobilier, une Chine «saine», développement démographique, uniformisation des services publics de base.

Enfin, le Rapport du président aborde les questions de la sécurité comme condition préalable au développement et du renforcement de la direction du Parti, garanti de la gouvernance de la Chine et de sa progression à pas assurés vers la modernisation socialiste.

Un processus de concertation exceptionnel dans l'élaboration du XVe Plan

Le rapport du Secrétaire général du Comité central du PCC nous permet aussi d'apprécier la succession des étapes dans le processus à la fois démocratique et participatif de préparation du XVe Plan :

Enquêtes, collectes d'avis et de propositions ;

Enquêtes dans 12 provinces, régions autonomes et municipalités par six équipes sur 35 questions d'importance majeure ;

Discussions entre économistes, scientifiques, avec les échelons de base et membres de la direction du Parti ;

Consultations en ligne obtenant 3 millions de commentaires débouchant sur 1500 propositions.

Après consultation du texte élaboré à l'issue de ce processus, celui-ci a été enrichi de propositions de vétérans du PCC, des Comités Centraux, des représentants des industries et du commerce et de personnalités sans parti. Le résultat est une unanimité sur les défis et un schéma directeur de propositions pour les cinq prochaines années après 218 additions, simplifications et corrections.

La prochaine étape, après la reprise des consultations sur les aspects concrets de sa mise œuvre, sera l'adoption du Plan définitif lors des «Deux Réunions» qui se tiendront au printemps 2026.

Le nouveau paradigme économique chinois

Le 4e Plenum donne la priorité à une croissance nouvelle de la Chine basée sur la production et la consommation intérieure, et plus à une économie basée sur l'exportation. Cette transition stratégique s'inscrit dans la vision à long terme qui caractérise la planification chinoise. Depuis le premier Plan quinquennal en 1953, la Chine nouvelle a systématiquement utilisé cet outil pour transformer son économie et sa société. Les plans quinquennaux ont été les architectes silencieux du miracle chinois : ils ont permis la modernisation accélérée des infrastructures, l'émergence de champions industriels, et l'élévation spectaculaire du niveau de vie de la population.

Cette nouvelle croissance est attendue des industries émergentes et d'avenir. Les moteurs de cette nouvelle croissance sont l'innovation, la recherche, les infrastructures et des pôles industriels - autant de domaines où la planification à long terme a montré sa supériorité. Le système de planification chinois allie vision stratégique et flexibilité opérationnelle, permettant à la fois de maintenir le cap sur les objectifs fondamentaux et de s'adapter aux nouvelles réalités mondiales.

Les nouveaux domaines prioritaires de coopération technique France Chine

Les nouvelles opportunités de coopération franco-chinoise sont à rechercher autour des nouveaux domaines définis comme des priorités, à savoir :

  • Informatique quantique
  • Bioproduction
  • Hydrogène
  • Fusion
  • Interface cerveau-ordinateur
  • Intelligence artificielle
  • La 6G

La France ne manque pas de compétences et d'interlocuteurs dans ces domaines, que ce soit les grands organismes de recherche, les pôles de compétitivité qui intègrent des écosystèmes de PME et des laboratoires, des entreprises privées de la start-up spécialisée aux grands groupes industriels. Il n'est pas nécessaire de les citer ici, les lecteurs avertis les connaissent.

2. La gouvernance : le véritable atout de la chine

Je voudrais maintenant venir à un deuxième aspect, politique cette fois, d'une possible coopération franco-chinoise dont la France tirerait le plus grand bénéfice aujourd'hui, celui de la gouvernance.

La Chine a pendant plusieurs dizaines d'années construit sa nouvelle prospérité et s'est fait une réputation sur le travail à partir de la politique d'ouverture et de réforme entamée dans les années 80, qui lui a valu la qualification «d'atelier du monde». Aujourd'hui, la Chine a dépassé de loin cette qualification. Elle est devenue à mes yeux le «laboratoire des idées pour le monde», et ceci par l'exemple qu'elle nous donne de sa gouvernance.

Mais pas seulement un laboratoire : elle a franchi avec succès en 45 ans les étapes de la recherche, du développement et de la production efficace dans le domaine de la gouvernance de son économie et de sa modernisation socialiste.

Le Plan quinquennal élaboré et appliqué dans l'esprit d'être au service du Peuple et en suivant les principes qui animent le Parti Communiste chinois du marxisme-léninisme, de la pensée de Mao Zedong, de la théorie de Deng Xiaoping, de la «théorie des Trois représentations» et de la gouvernance de la Chine de Xi Jinping a été le bras tenant le gouvernail de la Modernisation socialiste de la Chine.

Les objectifs, la ligne, les tâches, les mesures du Plan ainsi élaboré, tenant compte des opportunités et des risques, sont de raffermir les bases de la modernisation socialiste de la Chine. Cette démarche pourrait bien inspirer les politiques français.

L'héritage français de la planification

Pour ne blesser personne, parce que tout le monde connaît le contexte de la prise de décision politique actuelle dans notre pays, il y aurait beaucoup à gagner à porter un regard au minimum curieux sinon attentif et approfondi, sur la planification à la chinoise d'aujourd'hui.

En 1985, je rédigeais mon mémoire au Centre d'Étude de Programmes Économiques du Ministère des Finances sur le thème du Plan quinquennal français. À cette époque, la France en était à son 9e Plan, dont l'origine remontait au Conseil de la Résistance à la fin de la deuxième Guerre Mondiale en 1945. La France avait connu un développement remarquable pendant les «Trente Glorieuses» alors que son économie était encore pilotée par le plan et avant qu'elle ne s'insère dans l'Europe de Bruxelles.

Le système français de planification indicative, brillamment théorisé et mis en œuvre par Jean Monnet, avait permis la reconstruction accélérée du pays puis son entrée dans la modernité industrielle. La méthode du Commissariat au Plan, fondée sur la concertation entre l'État, les partenaires sociaux et les experts, avait fait ses preuves. Mais contrairement à la Chine qui n'a jamais renoncé à cet outil stratégique, la France l'a progressivement démantelé sous la double influence de l'intégration européenne et de l'idéologie néolibérale.

Ce que la France pourrait apprendre de la Chine et la Chine de la France

La Chine a montré qu'il était possible de réaliser une croissance planifiée et efficace, selon un processus mêlant concertation et démocratie, sous la direction d'un État fort au service du Peuple ayant pour horizon une belle Chine.

La France gagnerait à s'inspirer de l'expérience chinoise pour :

Rétablir une vision stratégique à long terme au-delà des cycles électoraux

Développer une méthode de concertation systématique intégrant tous les acteurs

Maintenir une cohérence politique sur la durée

Allier planification indicative et mécanismes de marché

Orienter l'innovation vers les défis structurants (transition écologique, souveraineté technologique)

L'obstacle principal n'est pas technique, mais culturel et politique : notre système actuel, fragmenté et court-termiste, résiste à cette approche. Pourtant, face aux défis du changement climatique, de la transformation numérique et des nouvelles rivalités géoéconomiques, la planification stratégique redevient une nécessité.

Vers une nouvelle coopération de gouvernance

Au-delà des coopérations techniques, économiques et commerciales, la coopération sur la gouvernance devrait être le premier axe de coopération pour poser les bases d'un monde où la politique serait réellement au service du peuple et de la paix.

La France et la Chine, chacune avec leur histoire et leurs spécificités, pourraient co-construire un nouveau modèle de gouvernance adapté au XXIe siècle - un modèle qui saurait allier l'efficacité de la planification stratégique, la vitalité de la démocratie participative, et la responsabilité environnementale. Le dialogue entre nos deux civilisations pourrait ainsi donner naissance à une nouvelle façon de penser le développement économique et social, au service de l'humanité tout entière.

Les défis du monde contemporain - changement climatique, crises sanitaires, transformations technologiques - exigent plus que jamais cette capacité à penser et agir sur le long terme que la Chine a su préserver et que la France aurait tort d'oublier. Le renouveau d'une certaine idée de la planification, enrichie de nos expériences respectives, pourrait être l'un des grands chantiers intellectuels et politiques des décennies à venir.

Les obstacles à franchir pour la France pour une renaissance indispensable

Évidemment, la réintroduction d'une planification quinquennale en France, même sous une forme modernisée et indicative, nécessiterait en effet des adaptations profondes, tant sur le plan constitutionnel qu'institutionnel et culturel.

Sur le plan politique, un plan quinquennal exige une stabilité qui dépasse le cycle politique et les aléas parlementaires à moins de lui donner une force juridique contraignante le rendant plus contraignant qu'une simple loi de programmation.

L'obstacle le plus important est la compatibilité avec les traités européens, en particulier les règles sur la concurrence et les aides, interdisent largement le «pilotage» ciblé de l'économie et le soutien à des «champions nationaux» comme le permettaient les premiers plans français.

Sur le plan culturel et politique, il s'agirait de rompre avec une culture politique et médiatique court-termiste, focalisée sur l'immédiateté et les «coups» politiques.

Il faudrait reconstruire une capacité de dialogue et de construction de consensus entre l'État, les partenaires sociaux, les collectivités locales et la société civile, dans un contexte social souvent plus conflictuel que durant les Trente Glorieuses.

Par rapport à la période française du Plan, il faudrait restaurer les leviers d'action comme le «circuit du Trésor» qui permettait à l'État d'orienter massivement le crédit.

L'économie française est aujourd'hui bien plus intégrée dans les chaînes de valeur mondiales, ce qui la rend moins «pilotable» uniquement depuis Paris.

Toutefois, l'espoir est permis d'un sursaut : l'heure la plus sombre est celle qui précède l'aube. Et le soleil se lève à l'Est...

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