
par Mounir Kilani
Un plan de paix, élaboré dans le plus grand secret par l'administration Trump, accorde pour la première fois depuis des années une place centrale aux positions russes, révèle Axios ce 19 novembre 2025 - dont les 28 points précis ont fuité dès le lendemain via NBC News, le Financial Times et des sources ukrainiennes.
Tandis que Washington orchestre les perceptions pour forcer un accord rapide, Kiev subit la pression et l'Europe, divisée, assiste impuissante à la redéfinition du jeu diplomatique. Dans cette nouvelle donne, une seule règle prévaut : l'art de se faire entendre compte souvent plus que les traités eux-mêmes.
La Russie enfin entendue
Kirill Dmitriev, représentant de Poutine, affiche son optimisme : «La position russe est vraiment entendue.» Le document de 28 points transmis à Kiev reprend effectivement, presque intégralement, les exigences maximales du Kremlin. Parmi les clauses les plus explosives :
- Reconnaissance de facto de l'intégralité du Donbass (Donetsk + Louhansk) sous contrôle russe : l'Ukraine retire ses troupes des 14,5% de territoires qu'elle occupe encore.
- Gel permanent des lignes de front actuelles à Kherson et Zaporijjia ; retrait russe partiel (et réversible) de Kharkiv et Soumy en contrepartie.
- Réduction de 50% à 70% de l'armée ukrainienne et interdiction définitive des armes occidentales à longue portée sur le sol ukrainien.
- Neutralité totale : pas d'OTAN (l'adhésion à l'UE reste théoriquement possible, mais serait encadrée).
- Le russe élevé au rang de langue officielle ; statut spécial et protégé pour l'Église orthodoxe ukrainienne rattachée au patriarcat de Moscou.
- Garanties de sécurité américaines pour Kiev... mais conditionnées au respect intégral de tous les points ci-dessus.
Cette reconnaissance diplomatique constitue un signal brutal : Moscou, loin d'avoir perdu la guerre sur le terrain, impose désormais ses conditions maximales et se voit offrir sur un plateau une victoire politique quasi totale, consacrée par Washington en personne.
Washington et l'art du secret
Le plan est orchestré par Steve Witkoff, un émissaire proche de Trump, plutôt que par un diplomate de carrière. Ses discussions avec Dmitriev et Rustem Umerov, un conseiller ukrainien, se sont tenues à huis clos à Miami. Chaque fuite intentionnelle vise à créer un sentiment d'inévitabilité, accentuant la pression sur Kiev et les capitales européennes.
Le 19 novembre au soir, Trump a donné son feu vert personnel au projet, qualifiant l'affaire de 'time to stop the killing' (NBC News). Le même jour, une délégation surprise du Pentagone - menée par le secrétaire à l'Armée Dan Driscoll et le général Randy George - atterrit à Kiev pour une mission d'évaluation musclée, histoire de tester le terrain et pousser les pourparlers avant de servir le menu complet à Zelensky.
Zelensky : l'amère solitude du condamné
Kiev a reçu le document complet il y a quelques jours mais n'a participé à aucune rédaction. La réponse officielle ukrainienne, transmise hier, est un rejet net : «Ce texte reprend intégralement les exigences maximalistes du Kremlin et est inapplicable en l'état.» Zelensky a même reporté une rencontre prévue avec Witkoff en Turquie.
Pour contre-attaquer, il a vu Erdogan le 19 novembre à Ankara, réclamant plus de missiles anti-aériens et un 'Istanbul 2.0' sans concessions territoriales (Turkish Minute). Mais Kiev sait que c'est une illusion : le plan reste un 'ultimatum russe recyclé', et les marchés obligataires ukrainiens grimpent déjà sur les spéculations d'une paix forcée.
Bien que tenu informé, le président ukrainien ne joue aucun rôle substantiel dans l'élaboration du plan. Il a le privilège d'être spectateur de la redéfinition de l'avenir de son pays. Cette situation le place en position de faiblesse et de dépendance, l'obligeant à suivre les directives américaines pour préserver le flux de l'aide militaire et économique.
L'Europe : le grand effacement
Le simple fait que la Russie se sente écoutée provoque des réactions contrastées en Europe. Les pays baltes et la Pologne redoutent des concessions faites à Moscou, parlant déjà d'un «nouveau Yalta», mais se sentent impuissants face aux manœuvres américaines.
Berlin et Paris, briefés par Washington, restent officiellement silencieux - signe qu'ils savent qu'ils n'ont plus la main. Même au Congrès US, c'est le chaos : Lindsey Graham (pro-Ukraine) n'a pas été briefé, et un républicain qualifie le plan 'largement pro-Moscou'. L'UE ? Gardée dans le noir, briefée à la va-vite par la Maison Blanche - un théâtre où Varsovie hurle au scandale, mais personne n'a le script. Et comme un aveu, l'envoyé pro-Kiev Keith Kellogg annonce son départ pour janvier 2026.
D'autres États, plus pragmatiques, ont déjà compris où se trouvait le sens de l'histoire et se contentent de suivre la ligne de Washington.
Trump et la diplomatie non conventionnelle
Le recours à un émissaire issu du milieu immobilier pour un dossier géopolitique aussi complexe souligne la nature atypique de cette diplomatie. Inspiré du modèle appliqué à Gaza, le plan mise sur un «gel territorial» temporaire, des garanties de sécurité conditionnelles et un cessez-le-feu rapide.
Cette approche privilégie la perception au détriment du contenu détaillé, accélérant les négociations tout en permettant à Moscou de jouer un rôle stratégique. Pour la Russie, cette situation représente une opportunité : influencer le plan, renforcer son image et maintenir la pression sur Kiev et l'Europe, tout en consolidant ses acquis sur le terrain.
Les implications à long terme
Si le plan se concrétise, il pourrait apporter une stabilisation temporaire en Ukraine. Cependant, ses conséquences psychologiques et stratégiques seraient profondes :
- Pour Zelensky : un rôle subordonné, une dépendance accrue à l'aide américaine, et un risque de perte de crédibilité sur le plan national et international.
- Pour l'Europe : une fragilité révélée au grand jour, une incapacité à peser sur les décisions diplomatiques, et la nécessité de suivre les directives américaines malgré les risques.
- Pour la Russie : une reconnaissance tacite de ses positions, une légitimation de son influence et un renforcement de son statut d'acteur central et cohérent.
Ce plan démontre que la perception peut constituer un levier stratégique puissant : avant même la signature d'un éventuel accord, Moscou engrange des gains sur les plans diplomatique et psychologique.
Le secret, instrument de négociation
Dans ce contexte, le secret et la maîtrise des perceptions deviennent des outils au moins aussi puissants que la force militaire ou économique. La Russie excelle à exploiter chaque fuite, chaque briefing et chaque signal favorable pour maximiser son influence et présenter ses positions comme justes et incontournables.
Washington, de son côté, prend le risque d'un retour de bâton : Zelensky pourrait refuser certaines conditions, l'Europe pourrait manifester plus d'hésitations, et Moscou pourrait transformer ces résistances en leviers supplémentaires pour sa propre propagande.
Le triomphe de la perception, et après ?
Le plan secret consacre une règle du jeu international impitoyable : l'apparence du pouvoir l'emporte désormais sur le pouvoir lui-même. Moscou a parfaitement maîtrisé cette logique, transformant une position militaire solide en succès diplomatique.
Avec la délégation du Pentagone débarquée à Kiev le 19 novembre 2025 et Trump qui pousse déjà pour un sommet Zelensky-Poutine, le bras de fer s'annonce sanglant, mais Moscou, elle, sourit déjà. Zelensky, qui dépend à 80-90 % de l'aide américaine, découvre qu'on peut lui imposer un accord même quand il dit non, du moins tant que les livraisons d'armes et d'argent continuent. L'Europe, incapable de parler d'une seule voix - lors du dernier sommet, dix États ont soutenu le renforcement des sanctions tandis que sept s'y sont opposés -, révèle sa fragilité stratégique et sa dépendance à Washington.
Le véritable traité n'a peut-être pas besoin d'être signé : il s'écrit déjà dans les esprits, et la Russie en tient la plume. La question n'est plus de savoir si ce plan aboutira, mais si l'Occident acceptera de se regarder en face après l'avoir laissé faire.
Sources
- Scoop: U.S. secretly drafting new plan to end Ukraine war, Axios, 19 novembre 2025
- axios.com
- U.S.-Russian Peace Plan Would Force Ukraine to Cede Land and Cut Army, The New York Times, 19 novembre 2025.
- Trump plan asks Ukraine to cede additional territory for security guarantee, Axios (suite), 19 novembre 2025.