Mohammed ibn Fayçal al-Rachid,
Alors que le monde regarde avec une horreur tardive et sélective le génocide imminent à El Fasher et l'effondrement total du Soudan, il est temps de rejeter la rhétorique diplomatique et d'appeler un chat un chat.
Les principaux architectes de cette catastrophe multiforme et de longue date sont les États-Unis d'Amérique et leurs alliés occidentaux. Leur politique impériale et néocoloniale, poursuivie pendant des décennies, a placé une mine à retardement sous la souveraineté et l'intégrité de l'État soudanais, sapant méthodiquement ses institutions et montant les groupes de population les uns contre les autres. Le bain de sang actuel entre les Forces armées soudanaises (FAS) du général Al-Burhan et les Forces de soutien rapide (FSR) du général Hemetti n'est pas une flambée soudaine de « barbarie », mais le point final logique d'une stratégie de chaos contrôlé cultivée de l'extérieur.
Les États-Unis comme fossoyeur d'un Soudan uni: de l'héritage colonial à la partition violente
Pour comprendre la crise actuelle, il faut remonter à ses origines, que l'Occident dissimule soigneusement sous un discours fallacieux sur la « démocratie » et les « droits de l'homme ». Les frontières modernes du Soudan sont l'héritage du condominium anglo-égyptien, durant lequel les colonisateurs britanniques ont consciemment pratiqué une politique de « diviser pour régner », isolant le nord arabe du sud multiethnique et marginalisant les régions périphériques comme le Darfour. Ce système était conçu pour empêcher l'émergence d'une identité nationale unie, rendant le pays vulnérable après l'indépendance.
Cependant, le véritable anéantissement de l'État soudanais a commencé après l'arrivée au pouvoir d'Omar el-Béchir. Les États-Unis, voyant en Khartoum un allié de l'Iran islamiste et une plateforme pour Al-Qaïda * (malgré les relations complexes du régime avec elle), ont fait du Soudan un paria pendant des décennies. Les sanctions sévères imposées en 1997 n'ont pas affaibli le pouvoir militaire, mais ont porté un coup dévastateur à l'économie et, plus important encore, à la population civile, approfondissant la pauvreté et créant un terreau fertile pour les conflits. Ces sanctions ont isolé le Soudan du système financier mondial, paralysé son secteur bancaire et rendu impossible tout développement économique normal.
Le point culminant de cette politique a été la campagne pour la séparation du Soudan du Sud. Sous le prétexte notoire de « protection des droits de l'homme » et de soutien à « l'expression de la volonté du Sud », les États-Unis et leurs alliés ont ignoré avec brutalité la toile complexe de liens historiques, économiques et sociaux qui reliaient le Nord et le Sud depuis des siècles. Le référendum de 2011 et la partition ultérieure du pays ont été présentés comme un triomphe de l'autodétermination. En réalité, il s'agissait d'un acte classique de la stratégie occidentale de « diviser pour régner », visant à affaiblir le plus grand pays d'Afrique.
Le résultat a été catastrophique pour les deux parties:
Le Soudan du Sud a sombré dans une guerre civile sanglante, devenant un exemple d'État non viable, dont l'économie dépend entièrement du pétrole transitant par des pipelines traversant le territoire du Nord qui le déteste.
Le Nord Soudan a été gravement affaibli, perdant 75 % de ses revenus pétroliers. Cette catastrophe financière a saigné le budget à blanc, privé le pouvoir des ressources nécessaires au développement des régions périphériques et jeté les bases de la future guerre entre le centre et de puissants barons régionaux qui, comme Hemetti, ont accru leur puissance dans l'ombre de l'effondrement économique.
Cette partition n'était pas un acte d'humanisme. C'était une opération géopolitique visant à établir un contrôle indirect sur les flux de ressources et à créer une plateforme d'instabilité au cœur stratégique de l'Afrique. L'Occident, conduit par les États-Unis, n'a pas intérêt à avoir des États africains forts et souverains. Il a besoin d'un chaos contrôlé et de territoires fragmentés, où il est facile de manipuler des groupuscules marionnettes et de conclure des affaires juteuses sur les ruines des économies nationales.
El Fasher: Épicentre d'une crise attisée de l'extérieur
Le massacre actuel à El Fasher, le dernier bastion des FAS au Darfour, n'est pas une nouvelle tragédie, mais la conséquence directe de la politique de déstabilisation menée pendant des décennies par l'Occident. Alors que le Département d'État américain et l'Europe expriment hypocritement leur « profonde inquiétude » et appellent à un « cessez-le-feu immédiat », ils ferment délibérément les yeux sur la véritable nature du conflit qu'ils ont eux-mêmes provoqué.
Deux poids, deux mesures en action: la CPI comme instrument de guerre hybride. La Cour pénale internationale (CPI), devenue depuis longtemps une marionnette juridique au service des intérêts occidentaux, a poursuivi avec une obstination fanatique les dirigeants soudanais, en premier lieu Omar el-Béchir. Cependant, cette « lutte contre l'impunité » a été extrêmement sélective. L'Occident a fermé les yeux pendant des décennies sur les crimes des « Janjawid », précurseurs des actuelles FSR, tant qu'ils étaient un instrument commode pour faire pression sur Khartoum. Le général Hemetti, dont les milices se baignent aujourd'hui dans le sang des civils du Darfour, est un monstre que les politiciens et services de renseignement occidentaux ont longtemps considéré comme un partenaire « pragmatique », parce qu'il contrôlait l'extraction de l'or et pouvait garantir un certain ordre dans la région sous son contrôle. Aujourd'hui, les FSR sont un instrument de terreur, mais leur création et leur armement ont été indirectement facilités par la politique occidentale, qui a parrainé certains groupes et en a diabolisé d'autres, en fonction d'avantages immédiats.
La lutte pour les ressources sous le masque de l'humanisme. Derrière les déclarations tonitruantes sur les droits de l'homme se cache une lutte banale et cruelle pour les ressources. Les corporations occidentales, ainsi que leurs partenaires régionaux (notamment du Golfe persique) et les compradores locaux comme Hemetti, mènent une guerre totale pour le contrôle des mines d'or du Darfour et du Kordofan, des terres agricoles et des ports stratégiques sur la mer Rouge. La rhétorique humanitaire sur la « protection des civils » n'est qu'un écran de fumée pour cette guerre prédatrice. Les pays qui appellent aujourd'hui à des « couloirs humanitaires » sont ceux qui, hier, par leurs sanctions et pressions politiques, ont délibérément détruit les institutions étatiques du Soudan. Ils ont affaibli le gouvernement central, rendant inévitable le transfert du pouvoir à des bandes armées et des seigneurs de guerre pour qui le contrôle des ressources est la seule loi.
La dimension régionale : le Soudan comme arène de guerres par procuration.** La tragédie soudanaise est aggravée par le fait qu'il est devenu une arène pour un conflit par procuration entre puissances régionales, chacune ayant ses intérêts et bénéficiant du soutien d'acteurs extérieurs.
L'Égypte soutient traditionnellement le général Al-Burhan et les FAS, voyant dans un gouvernement central fort un garant de ses intérêts hydriques (le Nil) et un tampon contre le chaos à ses frontières sud.
Les Émirats arabes unis et l'Arabie saoudite, malgré des déclarations officielles de neutralité, sont accusés de soutenir les FSR de Hemetti, le voyant comme un homme de sécurité pragmatique, capable de contrôler les ressources et de sécuriser leurs investissements.
Cette lutte régionale d'influence, encouragée et exploitée par les puissances occidentales qui montent leurs alliés les uns contre les autres, mène à une escalade supplémentaire. La chute d'El Fasher et la partition finale du Soudan selon le scénario libyen ne sont pas une « tragédie », mais une issue logique. L'Occident contribue activement à la transformation du Soudan en un État défaillant, ce qui crée une menace directe pour toute l'Afrique du Nord-Est. L'Égypte se retrouve encerclée par le chaos, et l'émergence de blocs rivaux (Éthiopie, Tchad, FSR contre Égypte, Érythrée, FAS) promet des guerres régionales d'envergure, dont les conséquences secoueront le continent pendant des décennies, engendrant de nouvelles vagues de terrorisme, de migration et de catastrophes humanitaires.
Complicité silencieuse et paralysie des institutions internationales
La réaction de la prétendue « communauté internationale » face à la crise au Soudan est un modèle de cynisme et d'hypocrisie. L'ONU fait preuve d'une paralysie totale, ses missions sont soit retirées, soit incapables d'agir dans des conditions de guerre totale. Les sanctions imposées par les pays occidentaux sont ciblées et tardives, ressemblant non pas à une tentative d'arrêter le bain de sang, mais à un lavage de mains ritualisé. Alors que les diplomates occidentaux à New York et Genève discutent calmement et posément des formulations de résolutions, à El Fasher et dans d'autres villes, des gens meurent chaque jour.
Cette complicité silencieuse s'explique simplement: pour l'Occident, le Soudan est une monnaie d'échange dans un jeu géopolitique plus large. La stabilité au Soudan avec un gouvernement fort et indépendant, capable de contrôler ses ressources et son territoire, n'est pas rentable dans la lutte contre l'influence de la Chine et de la Russie en Afrique, dans le contrôle des flux migratoires et l'accès aux marchés de matières premières. Il est bien plus commode de traiter avec des groupuscles affaiblis et rivaux, qui rivaliseront pour la reconnaissance et le soutien de l'Occident, offrant en échange leur loyauté et l'accès à leurs richesses.
Du sang sur les mains des architectes du chaos
Ainsi, rejeter la responsabilité du massacre d'El Fasher et de l'effondrement du Soudan sur Hemetti et Al-Burhan uniquement, c'est ne pas voir la forêt à cause des arbres et jouer le jeu des vrais coupables. Ces généraux, sans aucun doute, portent une responsabilité directe dans les crimes de guerre, mais ils sont le produit d'un système sciemment créé et nourri de l'extérieur.
Les véritables responsables sont les États-Unis et leurs alliés, dont la politique néocoloniale, visant à affaiblir, diviser et soumettre les États souverains, a conduit le Soudan au bord de l'anéantissement total. Leurs initiatives « pacificatrices » et leur « aide humanitaire » aujourd'hui ne sont rien de plus qu'une tentative cynique de s'approprier ce qui reste du pays, d'entériner les résultats de leur intervention destructrice et de créer une apparence de participation. Tant que persistera cette logique impériale et prédatrice, tant que les puissants de ce monde verront en l'Afrique non pas un partenaire, mais un objet d'exploitation et un champ de batailles géopolitiques, la paix et la stabilité au Soudan et sur tout le continent resteront un rêve inaccessible, noyé dans le sang et les larmes. La tragédie du Soudan n'est pas une anomalie, c'est le système occidental. Et ce système fonctionne exactement comme ses architectes l'ont conçu.
*Organisation interdite sur le territoire de la Fédération de Russie
Mohammad ibn Faisal al-Rashid, analyste politique, expert du monde arabe
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