23/11/2025 reseauinternational.net  11min #297010

 Les technologies «sans homme» changent le sens de la guerre

Politikaly Inkorrect

par Rémi

Réseau international vient de publier un article sur les drones dans la guerre moderne.

 Les technologies «sans homme» changent le sens de la guerre - Réseau International

Il m'a rappelé, un de mes textes, écrit il y a plus de vingt ans. Après une ultime relecture, le voici offert à votre sagacité.

Attention, texte dur, comme notre monde pour ceux qui veulent le voir.

«J'ai toujours été bon aux jeux de guerre. Avec mes copains, nous avons même gagné le championnat en équipe. Je crois d'ailleurs que c'est pour cela que nous avons été sélectionnés».

Le jeune nerd reprend son verre de café. Sa main passe dans sa tignasse brune comme un peigne pour écarter une mèche importune. Probablement la seule forme de soin qu'il s'accorde. Colran l'interroge, même elle, la dure agente peine à dissimuler une once de tendresse face à la jeunesse du gamin.

Celui-ci reprend son histoire.

«Nous avons reçu le nouveau jeu de chez virtuak. Politikaly Inkorrect».

Je me demande ce qu'il faudrait faire pour conduire Colran à perdre son attitude froide et professionnelle lors des interrogatoires.

«Ca l'était ?»

C'est drôle, à chaque fois que j'entends André le jeune nerd raconter son histoire je me dis que malgré tout, le gosse amateur de jeux vidéo n'est pas mort en lui. Une fois de plus, ses yeux brillent à l'évocation de son jeu favori.

«Pour sûr m'dame. Le jeu était basé sur le concept du nettoyage ethnique. Il fallait faire fuir les villageois en un minimum de temps. On avait le droit de tuer, et il y avait parfois des guerillas. C'était le jeu le plus cool de la décennie. On a été des millions à y jouer».

Dans notre arrangement, Colran doit valider mes propositions de recrutement. Elle ne comprend pas mes raisons pour lui présenter un joueur. Elle y viendra.

«Tu avais quel âge ?»

Pour un enfant, quelques années sont une éternité. En tenant compte de ce qu'il a vécu au cours de ces dernières années, c'est antédiluvien. Pourtant, le garçon répond sans l'ombre d'une hésitation.

«13 ans. Depuis deux ans, je gagnais régulièrement des tournois de combats de méchas. Je suis très vite devenu un des meilleurs à Politikaly Inkorrect. Il y avait un système de points pour les meilleurs scores. En plus les cadeaux étaient géniaux».

«Géniaux ?» interroge Colran interloquée par ce terme inattendu !

Bien planqué dans mon coin de la pièce pendant que Colran interroge, je m'amuse à voir l'ado refaire surface sous le vernis du mercenaire qu'est devenu André.

«Oui, ils étaient très généreux. C'est comme cela que j'ai gagné ma tenue de combat virtuelle. Une vraie avec retour de force. Il fallait cent mille points pour en obtenir une. Nous ne sommes pas vingt à avoir passé ce cap».

Il en est fier. Toute sa jeunesse, ses parents lui ont seriné qu'il devait être le meilleur. Bien sûr, ils ne pensaient sûrement pas aux jeux, mais après tout ? D'une certaine manière, il a atteint ce niveau. Sa fierté se justifie.

«Vous voyez, c'était le meilleur jeu qui ait jamais été mis sur le marché. Les IA étaient géniales. Les armes étaient terribles. De vraies armes avec de vrais effets. On se demandait comment ils avaient pu programmer cela».

Évidemment, mais Colran voudrait passer à la vitesse supérieure :

«Mais ils n'avaient rien programmé, n'est-ce pas ?»

Le gosse redevient nerveux. Il aurait préféré ne pas vivre tout ça.

«Non, des trucs auraient dû nous mettre la puce à l'oreille. Au début, les serveurs étaient vachement lents. Et puis, les missions étaient très variables : Parfois, il n'y avait pas de guerillas. Parfois, ils étaient tellement nombreux que tout ce que l'on pouvait faire, c'était de succomber après s'être battu autant que possible. Et puis, ils refusaient qu'on enregistre les parties».

Oui, il aurait dû réfléchir. Il se fait des reproches, et pourtant. Est-ce sa faute si on lui a présenté un jeu avarié comme un steak de bœuf nourri aux antibiotiques ? Après tout, sommes-nous capables de faire la différence ? Nous aussi, nous faisons confiance. Nous non plus, nous ne pouvons pas faire autrement que de croire à la sagesse de nos décideurs. Qu'y pouvons-nous si certains d'entre eux décident que : «C'est pour notre bien» Si leurs intérêts ne coïncident pas avec les nôtres ? L'univers est devenu trop complexe. Que l'humain l'accepte ou non, il ne peut plus peser dessus. Trop de choses lui échappent, à commencer par ces grandes organisations que nous fondons et dont nous dépendons. Alors, Colran ne jettera pas la pierre à ce gosse.

«Et comment t'en es-tu rendu compte ?»

Le gosse passe la main sur son menton comme pour y chercher la barbe de l'adulte qu'il devrait être. Il en a vu assez pour avoir mille ans, seulement, son corps se refuse obstinément à vieillir plus vite.

«Eh bien un jour, j'ai fait un voyage sur le continent sud. C'est là que vivent les Peuhls. Ça devait être une semaine à l'hôtel. Plage et sport dans un de ces clubs où vous n'avez qu'à vous laisser vivre. Ces vacances en conserve. Mes vieux espéraient que ça me ferait oublier mon ordi et mes potes».

Si elle le décide, Colran peut paraître parfois presque maternelle. Pour un peu, j'en serais presque amusé. Pour l'instant, elle encourage le gamin.

«Et ?»

L'adolescent note à peine l'interruption. Il a vécu suffisamment de débriefings pour distinguer la politesse creuse et ce qui est intéressant.

«Comme d'hab, je me faisais chier. J'aurais préféré parler à mon pote Karim, mais mes vieux avaient pris mon portable. Dans ces clubs, c'est soit sport, soit plage. Si les moniteurs de sport étaient intelligents, ils ne se comporteraient pas comme des arriérés et feraient quelque chose d'utile de leurs jours. Reste la plage : Recto, verso, recto, et lycée de Versailles, jusqu'à ce que le homard soit bien cuit. Alors, je me suis mis à marcher. Pas beaucoup, mais j'avais repéré une petite antenne pas loin, et je voulais voir ce que c'était».

«Était-ce important ?»

«Non, un tas de ferraille. Mais ça, je ne l'ai su que plus tard. Car je n'ai pas atteint l'antenne».

«Comment ça ?»

«Voyez-vous m'dame, les Peuhls subissaient des pertes. Alors, ils voulaient des prisonniers pour savoir comment lutter contre les Hercs de l'armée. Les pauvres, ils espéraient tirer des informations des touristes. Autant se tirer tout de suite une roquette dans la tête».

Colran ne peut s'empêcher de le contredire.

«Ils ont pourtant eu de la chance».

«Avec moi, vous voulez dire ? Oui, on peut le voir comme cela. Pour le jeu j'ai effectivement appris beaucoup de choses sur les Hercs. Ce n'est pas vraiment confidentiel lorsque vous avez accès au réseau. Et puis, ce n'est pas non plus vraiment complexe. Deux pattes, une cabine de guidage, et autant d'armes que possible. Ces trucs-là pètent à vitesse grand V, mais bon, comme tous les drones, c'est du sacrifiable».

Colran comprend, dans la galaxie, tout le monde connaît les Hercs et leurs défauts.

«Oui, donc vous êtes devenu leur conseiller militaire ?»

«Plus ou moins, au début, j'ai appris leur langue, mais je ne voyais pas ce qui se passait. Puis, un jour dans un village, un herc a surgit. Il a tué la moitié du groupe. Alors, j'ai pris des mines, et je les ai lancées sur le herc. J'avais eu à affronter ce truc une fois. À l'époque, ça avait bousillé mon herc».

Brusquement, le jeune homme cesse de parler. Colran essaie de l'encourager.

«Et vous l'avez eu ?»

Le garçon s'effondre.

«Non, dit-il entre deux sanglots. Il a fait une rotation de 360° avant de repartir à l'attaque. J'ai évité la rafale et j'ai couru m'abriter. Deux minutes plus tard, j'avais détruit le Herc au lance-roquette. C'est là que j'ai compris».

«Compris quoi «le presse Colran incapable de saisir le sens de l'explication.

«Ce n'est pas une parade d'un Herc, m'dame. Ils n'auraient jamais eu l'idée de programmer un herc pour faire ça. Cette tactique, seules deux personnes sur la planète pouvaient l'appliquer : Moi, et mon meilleur ami : Karim».

Optimiste, le petit. Et évidemment, Colran qui déteste que l'on pète plus haut que son cul lui rentre dedans.

«Quand même, il ne manque pas de bon pilotes dans la galaxie».

Elle en connaît d'ailleurs certains. Face à cette mise en doute de ses compétences, le môme en chialerait presque.

«Sûr M'dame, mais le herc n'avait pas de pilote. C'était un techno drone. Pour faire un 360 comme ça, vous devez laisser la machine se déséquilibrer et la reprendre avec un bras d'armement. Aucun ordi ne peut faire ça. Il faut un pilote avec une tenue à retour de force et une sacrée expérience. En plus, j'avais revu cette tactique avec Karim et on comptait s'en servir pour le prochain championnat. C'était une sorte de secret. Et puis, c'était sa tactique et sa config d'arme favorite».

Colran admet d'un geste et laisse l'adolescent poursuivre son récit.

«Que dire de plus ? Nous avions été utilisés pour massacrer des civils. Après ce combat, les Peuhls m'ont fait confiance. J'ai pu récupérer des pièces sur des hercs détruits et construire ma machine. Je les ai aidés à en construire d'autres, et je les ai formés. Vu le nombre de machines détruites, ça n'a pas été compliqué. En deux mois, nous étions un petit escadron : lasers antiaériens, canons anti-chars, Gatlings... Nous avons commencé à attaquer les formations de l'armée. En six mois, j'avais formé six compagnies de hercs. Pendant ce temps-là, en piratant les coms de l'armé, j'ai contacté des copains qui nous ont rejoints. À la fin, nous étions une centaine. Ensuite, les peuhls ont utilisé les cristaux mémoriels pour se former, et le matériel de l'armée pour mettre sur pied une petite industrie. En un an, on construisait des hercs. L'armée devait envoyer de plus en plus de troupes pour tenir».

Colran ne comprend pas.

«Mais pourquoi, avoir fait ça ? Pourquoi une telle guerre ?»

«Vous ne connaissez pas ma planète pas vrai m'dame ? Moi aussi, la géographie et l'économie me faisaient chier. Quand j'allais au bahut, je séchais les cours. Aschley m'a expliqué».

Bien évidement Colran a compris que c'était important.

«Aschley ?»

Le regard du jeune homme se perd un instant sur son café comme s'il revoyait les plaines de sa planète.

«Oui, je suppose que vous diriez qu'elle était folle».

Tiens, lui aussi a compris que Colran est une fanatique des faits. En tout cas, pas le genre sentimental.

«Elle avait seize ans. Je suppose que vous diriez qu'elle avait de beaux yeux, de mignonnes fossettes. Pour moi, c'est la plus jolie fille que j'aie jamais rencontré».

Évidemment, avant sa capture par les peuhls, André était trop jeune pour s'intéresser aux filles, et depuis, il a eu une vie assez agitée. Cette môme, c'est son dernier souvenir de sa vie antérieure. Alors André raconte sans se faire prier :

«Elle était venue aider les peuhls. Pacifiquement. Elle jouait à l'infirmière. Je l'ai assez vite rencontrée pour une décalcification Comme tous les joueurs, je me nourris mal. Alors après deux semaines avec les peuhls, j'étais malade. Aschley m'a soigné et elle m'a expliqué que ma planète dépend de l'élevage et du traitement de la viande. Mais pour augmenter encore notre production, il fallait les vastes prairies du continent sud. Et pour cela, le plus simple était de liquider les peuhls. Aussitôt dit, aussitôt fait : Cinq milles hercs pour faire le ménage. Le top de la guerre propre. Pas de soldat, pas de perte. Pratiquement pas de guerre. Le plus drôle, c'est que le père d'Aschley était le propriétaire de Virtuak».

«Et où est-elle aujourd'hui ?»

Colran a parfois de ces questions ! Si elle n'est pas avec le jeune homme c'est que la question doit être sensible. J'ai parfois l'impression qu'elle n'a ni cœur ni sensibilité. Ce qui est sûr, c'est qu'un jour, on lui a greffé un ordi à la place du cerveau.

Pourtant, le garçon ne s'effondre pas. Aschley c'est sensible, je le sais, mais il se contient. Un jour, il m'a raconté ces longues soirées sans un mot à côté de la jeune fille. Ces moments sans ordinateur où il redécouvrait la joie d'être avec un semblable. Ces espoirs partagés, ces rêves de retours de rencontre des familles. Pas le genre de vulnérabilités à exposer à un employeur. Pour Colran, il opte pour la version courte.

«En fait, à un moment, nous avons pensé pouvoir gagner. Nous avons vite compris la faiblesse du blindage des hercs. Alors, avec Karim, nous avons construit des armures mobiles. Aschley nous a aidés. Sans ses connaissances en biologie, nous n'y serions pas parvenus. Il a fallu remplacer de nombreuses machines par des bio systèmes, mais nous avons fini par avoir une machine de cinq tonnes, stealth, raisonnablement armée, et bien blindée. Grâce aux armures mobiles, on a commencé à mettre les hercs dehors. C'est alors que les troupes d'élite de l'armée ont débarqué. Des centaines de milliers de soldats clones. Des tanks, des avions, de l'artillerie et les commandos. Des repris de justices formés en escadrons de la mort. Nous avons commencé à perdre du terrain. Nous n'étions pas de taille face à ça. Et puis, un jour un de leurs hélicos a repéré le camp de base».

C'est assez clair pour moi. Mais je sais ce qui s'est passé. Colran, elle, elle veut savoir, alors elle encourage le gamin, pour qu'il finisse.

«Que vous dire ? Je suppose que quelqu'un n'a pas observé les règles de sûreté. Toujours est-il qu'un matin, leurs hélicos sont arrivés. Les commandos ont tout détruit. Les femmes, les enfants, les pilotes de repos, tout a été passé au lance-flammes et à la baïonnette. À l'infirmerie, les commandos ont soigné leurs névroses et leur manque de femmes. Lorsque je suis revenu d'opération, ils étaient déjà repartis. J'ai retrouvé Aschley. Je crois qu'elle était plus belle que jamais. J'ai brûlé son corps, fait parvenir son portefeuille à son père. Et puis j'ai continué à lutter. Deux mois plus tard, Karim est mort. Il avait fait partie des premiers à me rejoindre. Un tank l'a eu d'un tir direct. Trois mois, plus tard, il n'y avait plus rien à faire. Un trafiquant d'armes nous a proposé un contrat de mercenaire. Je suis parti».

source :  Rémi

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