Julie Jauffrineau
AFP
La semaine dernière, le Conseil de sécurité de l'ONU a adopté un plan de paix pour Gaza, une initiative du président états-uniens, Donald Trump. Pour en analyser les tenants et aboutissants, nous avons sollicité l'éclairage de Jean-Pierre Bouché, militant internationaliste et fin connaisseur de la cause palestinienne. Il est co-auteur, avec Michel Collon, de l'ouvrage 7 octobre. Enquête sur la journée qui a changé le monde.
Que vaut ce fameux plan de paix : signe-t-il la « paix perpétuelle » dans la région ou légitime-t-il un « mandat colonial » sur Gaza ?
Pour voir ce que vaut ce fameux plan de paix, il faut partir de la réalité à Gaza. Israël a réduit l'espace pour les Palestiniens à un rectangle de 6 x 30 km, où il n'y a rien que du sable et des ruines. Son contrôle sécuritaire et civil est opéré par le Hamas, qui y a éliminé les bandes mafieuses soutenues par Israël. D'un accord commun entre Israël et Trump, il n'y aura aucune reconstruction dans cette zone « rouge » ou « blanche » suivant les sources.
Cette zone est séparée du reste de la bande de Gaza par une « ligne jaune » matérialisée. Côté israélien, vidé de sa population, se trouve la zone «jaune » ou « verte », parsemée d'une trentaine de bases militaires, et où quelques centaines de mafieux palestiniens équipés par Israël ont pour principale activité de perturber à leur profit l'arrivée de l'aide alimentaire. Une petite reconstruction est envisagée, pour y faire venir des collaborateurs.
Depuis deux mois, Israël n'a cessé de grignoter l'espace palestinien au moyen de nouvelles destructions et massacres.
Le plan Trump adopté par le Conseil de Sécurité ne fait aucune allusion à cette réalité. Aussi en plus d'être un plan colonial - les Palestiniens en sont les grands absents - c'est un plan surréaliste voué à l'échec. Il envisage un « Conseil de paix » dont l'action serait appuyée par une « Force internationale de stabilisation » jusqu'à désarmement total de la résistance palestinienne, un « comité palestinien à caractère technocratique et apolitique composé de Palestiniens de la bande de Gaza compétents », et éventuellement un retour d'une l'Autorité Palestinienne préalablement « réformée ».
Trois noms seulement sont connus ou envisagés pour le « Conseil de paix », Trump, Tony Blair et dans doute Mohammed Ben Salman. Les USA ne participeront pas à la « Force de stabilisation » et aucun pays ne s'y bousculera. Chacun sait qu'en 78 ans, Israël a toujours refusé toute ingérence militaire étrangère dans ses offensives militaires et à Gaza la seule force militaire est l'armée israélienne, dont l'objectif reste uniquement le nettoyage ethnique du territoire palestinien. Netanyahou a accepté le plan parce qu'en deux ans, il a échoué à vider la bande de Gaza mais ceci reste l'objectif d'Israël, toutes factions confondues.
Selon-vous, pourquoi la Chine et la Russie se sont-ils abstenus ? Au-delà de montrer une réserve de fond sur le texte lui-même, doit-on y voir une manœuvre diplomatique pour ne pas apparaître comme les seuls bloqueurs dans un contexte géopolitique tendu ?
Le contexte géopolitique actuel n'est pas plus tendu qu'il y a quelques années. La Chine affronte avec succès les menaces essentiellement commerciales des USA et de ses alliés, et Trump a une toute autre attitude vis à vis de la Russie que celle des Démocrates. Je pense que la raison principale est que ni la Chine, ni la Russie, n'ont des alternatives à proposer. Un veto aurait signifié un feu vert à Israël pour une reprise de la guerre totale contre les Palestiniens. La Chine n'a proposé aucune résolution alternative. La résolution envisagée par la Russie ne prévoyait ni « Comité de paix », ni « Force de stabilisation » mais ne proposait pas d'autres moyens. Aussi n'a t-elle pas été présentée le jour du vote. Le suivisme des pays arabes derrière Trump a certainement joué aussi un rôle.
Maintenant que le « plan de paix » est adopté par le Conseil de Sécurité, quels sont, selon vous, les tout premiers obstacles pratiques qui vont se poser pour sa mise en œuvre ?
Les résolution du Conseil de sécurité sont en principe exécutoires, mais celle-ci a de particulier de laisser dans le flou les moyens de l'exécuter. En particulier, rien n'est dit d'un rôle de l'ONU. L'obstacle pratique permanent s'appelle Israël. Si les USA s'impliquent, ce sera via des entreprises privées, une certaine Tetra Tech est déjà pressentie. C'est le même schéma que pour la « zone verte » de Bagdad, mais sans présence militaire étasunienne. Sa réalisation sera dont dépendante de la mauvaise volonté d'Israël, qui a déjà saboté les initiatives étasuniennes : port artificiel, colis de la Gaza Humanitarian Foundation. Il ne faut pas oublier qu'Israël contrôle à tout moment tous les déplacements dans la bande de Gaza, dans ces conditions l'arrivée de forces étrangères me semble voué à l'échec.
