25/11/2025 investigaction.net  7min #297231

Marche de l'indépendance en Pologne: Un 11 novembre au goût amer

Jacques Kmieciak

Des milliers de Polonais ont défilé dans les rues de Varsovie - JK

Lancée en 2010 par des mouvements d'extrême droite, la Marche de l'Indépendance a, en marge des cérémonies officielles, réuni, à Varsovie, plusieurs dizaines de milliers de manifestants, ce mardi 11 novembre 2025 pour la Fête nationale.

Le 11 novembre 1918, la Pologne, sous le joug de ses puissants voisins depuis la fin du XVIIIe siècle, proclamait son indépendance à Varsovie. 107 ans plus tard : gare de Lodz à une centaine de kilomètres de la capitale. Dans le hall d'une station ultramoderne, mais quasiment déserte, un adolescent arbore un drapeau blanc et rouge aux couleurs de la Pologne. Avec ses proches, il s'apprête à gagner Varsovie afin de participer à un rassemblement désormais organisé par l'association Marche de l'indépendance (Marsz Niepodległości) présidée par Bartosz Malewski. Les quais, les wagons et même les contrôleurs sont parés aux couleurs du pays. Le train s'élance vers Varsovie. Un groupe de voyageurs entonnent des chants patriotiques. Ils font partie d'une chorale religieuse et sont, eux aussi, en partance pour cette Marche décrite comme « la plus grande manifestation patriotique d'Europe ».

Au « village » nationaliste

Un peu plus d'une heure plus tard : arrivée à la gare principale de Varsovie, qui n'a de « principale » que le nom. Des quais au milieu de nulle part. Direction la gare centrale en travaux. A l'étage, de bien curieux nationalistes savourent des hamburgers au McDonald's, symbole ardent de l'impérialisme américain. Ils s'apprêtent à se rendre au rond-point Roman-Dmowski où doit être donné le coup d'envoi de la manifestation. Ici, à deux pas du gigantesque Palais de la science et de la culture offert, dans les années 1950, par l'URSS au peuple polonais, se déploient une quarantaine de stands. Tout ce que le pays compte de forces réactionnaires s'y est donné rendez-vous.

« La Pologne aux Polonais »

De jeunes femmes se font photographier une affiche à la main : « Tu jest Polska » (« Ici, c'est la Pologne »). La Jeunesse panpolonaise (MW) exprime son rejet de la démocratie « libérale qui a détruit notre patrie et nos familles ». Le Mouvement national (RN) prône un « État fort » tout en pourfendant « l'immigration de masse, le multiculturalisme et la mondialisation ». La Sainte-Vierge est invoquée par une organisation religieuse fondamentaliste. Le Mouvement de défense des frontières (ROG) dit son opposition à « l'immigration de masse et les menaces qu'elle représente ». Le Mouvement patriotique (RP) exprime son ras-le-bol « du pouvoir des nuisibles ». Quant au Cercle des amis de la jeunesse polonaise (KPMW), il rappelle sa vocation d'« éduquer les jeunes dans l'esprit des valeurs nationales, catholiques et patriotiques ». Sur l'étal de l'association organisatrice, les autocollants fustigeant les symboles antifascistes, communistes et LGBT ou encore des brassards revendiquant « la Pologne aux Polonais » se vendent comme des petits pains.

En présence du président de la République

Il est environ 14h quand débute la Marche dans la foulée, tradition oblige, d'une prière du Rosaire. « Face aux défis de la modernité, nous défendons l'identité polonaise, la souveraineté, l'intérêt national et l'ordre chrétien », avaient pris soin de rappeler, sur leur site, les organisateurs, mobilisant leur compatriote Karol Wojtyla (Jean-Paul II) pour l'occasion : « Le sort de la Patrie est entre vos mains aujourd'hui, pas demain ! » La Marche a cette année pour devise : « Une nation, une Pologne forte » ! Elle vise particulièrement « l'immigration massive et incontrôlée conduisant à la dévastation de l'ordre social, au chaos et à la menace réelle pour la sécurité ». Le rond-point Roman-Dmowski est noir de monde. Figure de l'extrême droite polonaise, Krzysztof Bozak du Mouvement national fustige la perte de souveraineté auquel serait confronté son pays. Tout est dit des motivations des initiateurs d'un évènement qui se déroule en présence de Karol Nawrocki figure de proue de Droit et Justice (PiS), le tout nouveau président de la République polonaise.

« Dieu, honneur et patrie »

Les discours terminés, ils sont des dizaines de milliers à s'élancer en famille, en couple ou seuls. Des patriotes bon enfant côtoient des ultranationalistes assumés et autres néonazis cagoulés. Damien, 30 ans, originaire de Cracovie, se fait un devoir de « célébrer l'indépendance de la Pologne. Elle a été rayée de la carte pendant 123 ans, mais a survécu ». Il est accompagné de sa mère et de son oncle. Tout sourire, ce dernier nous salue, en anglais, d'un « Vive la liberté ! » nous invitant à poser avec le drapeau national. L'atmosphère est détendue. D'emblée, les slogans fusent. « Bog, Honor, Ojczyzna » (« Dieu, Honneur, Patrie ») aura les faveurs des manifestants. Michal, 23 ans, est présent par « amour de la patrie et de Dieu ». Anna, 43 ans, dit être venue « pour célébrer ces héros qui se sont battus pour notre indépendance », de Boleslaw le Vaillant (1er roi de Pologne) aux « soldats maudits » en lutte contre la soviétisation de l'après-Seconde Guerre mondiale...

Haro sur les Ukrainiens

Puis la jeune femme de s'inquiéter du nombre de réfugiés ukrainiens présents sur le territoire polonais depuis 2022 et la contre-offensive russe en Ukraine. Ils seraient aujourd'hui jusqu'à 1, 5 million (soit 4 % de la population totale). Une certaine défiance s'est progressivement installée à leur endroit. L'ukrainophobie va ainsi crescendo comme si la Pologne redoutait à terme la fin du monoethnisme qui la caractérise depuis la Libération ? Certes, d'aucuns « travaillent dans le commerce et le bâtiment, mais d'autres profitent aussi du système, de santé notamment », fait remarquer Anna. Elle rappelle que, durant la Seconde Guerre mondiale, Stepen Bandera, aujourd'hui adulé par le régime de Kiev, dirigeait l'Armée insurrectionnelle ukrainienne (UPA). Celle-ci « a tiré sur des Polonais. Bandera est un meurtrier ». Ici, le souvenir du massacre des Polonais de Volhynie perpétrés par l'UPA reste vif.

La crainte de la guerre

Dans ce pays maintes fois occupé (mais aussi occupant), le spectre de l'invasion est souvent agité afin de légitimer des postures bellicistes. Alice, 49 ans, fait partie d'un bataillon de citoyens qui traquent les clandestins aux frontières. Elle milite au ROG et exprime sa«  peur d'une guerre car l'Histoire peut se répéter »et sa«  crainte tant des Russes que des Allemands ». Anna estime pour sa part qu'« en cas de conflit, je ne ferais ni confiance à l'Angleterre, ni à la France qui nous ont abandonnés en 1939. Les États-Unis me semble par contre être un bon partenaire ».

Une démonstration de force

Il est environ 19h quand les derniers marcheurs franchissent le pont de la Vistule qui mène du côté du stade national construit en vue d'accueillir l'Euro de football de 2012. Un concert... metal attend les amateurs du genre. Contrairement à certaines éditions précédentes marquées par des affrontements avec le police, celle-ci aura été épargnée par des actes de violence. 100 000 personnes y auraient participé selon la municipalité de Varsovie. « Trois fois plus », d'après Bartosz Malewski.

Des conséquences de la dépolitisation

L'Union européenne (UE) et le libéral Donald Tusk de la Coalition civique (KO), l'actuel et très belliqueux président du Conseil des ministres, auront eu les faveurs du public tout au long du parcours. Son projet de sanctionner toutes critiques de l'armée polonaise, de l'UE ou du soutien à l'Ukraine ne manque pas d'inquiéter dans un contexte de droitisation de l'espace politique polonais, théâtre d'une rivalité croissante entre la droite réactionnaire (PiS) et l'extrême droite (Confédération (K), etc). Ce rassemblement a renvoyé l'image d'un pays divisé dont une partie de la population se vit en « forteresse assiégée » et semble repliée sur elle-même. Il serait cependant faux de croire que les participants seraient dans leur masse pétris de convictions ultranationalistes tant la conscience collective reste marquée par le dépeçage du pays de 1772 à 1795 ou en 1939. Bon nombre se faisaient simplement un devoir de célébrer une journée remise au goût du jour au début des années 1990 à l'heure de la restauration capitaliste. Ils souhaitaient ainsi «exprimé leur peur de la guerre et un certain rejet de l'Ukraine sans vraiment faire le lien avec l'idéologie portée par les organisateurs. L'extrême droite, ils ne comprennent pas vraiment ce qu'elle représente. La dépolitisation en Pologne, encore plus poussée qu'en France, est telle que des gens ne se rendent pas compte que des fascistes se sont emparés de cette date du 11-novembre. Tout le problème est là », soutient Bruno Drweski, politologue, spécialiste de l'Europe de l'Est.

Source:  Investig'Action

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