Le géant de la tech a supprimé les comptes de trois groupes palestiniens de défense des droits humains de premier plan, capitulant ainsi face aux sanctions de Trump.
Source : The Intercept, Nikita Mazurov, Jonah Valdez
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Un documentaire montrant des mères ayant survécu au génocide perpétré par Israël à Gaza. Une enquête vidéo révélant le rôle d'Israël dans le meurtre d'une journaliste palestino-américaine. Une autre vidéo dévoilant la destruction par Israël de maisons palestiniennes en Cisjordanie occupée.
YouTube a supprimé en douce toutes ces vidéos début octobre en effaçant les comptes qui les avaient publiées sur son site web, mais aussi les archives de leurs chaînes. Ces comptes appartenaient à trois éminentes organisations palestiniennes de défense des droits humains : Al-Haq, le Centre Al Mezan pour les droits humains et le Centre palestinien pour les droits humains.
Cette décision fait suite à une campagne menée par le gouvernement américain pour étouffer les poursuites judiciaires concernant les crimes de guerre présumés commis par Israël contre les Palestiniens à Gaza et en Cisjordanie.
Les chaînes YouTube des groupes palestiniens hébergeaient des heures d'images documentant et mettant en évidence les violations présumées du droit international par le gouvernement israélien à Gaza et en Cisjordanie, notamment le meurtre de civils palestiniens.
« Je suis vraiment scandalisée que YouTube fasse preuve d'un tel manque de courage », a déclaré Sarah Leah Whitson, directrice exécutive de Democracy for the Arab World Now. « Il est vraiment difficile d'imaginer une raison sérieuse qui ferait que le partage d'informations provenant de ces organisations palestiniennes de défense des droits humains violerait d'une manière quelconque les sanctions. Il est décevant et très surprenant que YouTube cède ainsi à la dénonciation arbitraire de ces organisations palestiniennes et décide désormais de les censurer. »
Après que la Cour pénale internationale (CPI) a émis des mandats d'arrêt et inculpé le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou et l'ancien ministre israélien de la Défense Yoav Gallant pour crimes de guerre à Gaza, l'administration Trump a intensifié sa défense des actions d'Israël en sanctionnant les responsables de la CPI et en ciblant les personnes et les organisations qui travaillent avec la Cour.
« YouTube poursuit l'agenda de l'administration Trump visant à supprimer les preuves de violations des droits humains et de crimes de guerre. »
« Il est scandaleux que YouTube soutienne la volonté de l'administration Trump de supprimer de la vue du public les preuves de violations des droits humains et de crimes de guerre », a déclaré Katherine Gallagher, avocate expérimentée au Center for Constitutional Rights. « Le Congrès n'avait pas l'intention de permettre au président de couper le flux d'informations vers le public américain et le monde entier. Au contraire, les informations, y compris les documents et les vidéos, sont spécifiquement protégées en vertu de la loi que le président a invoquée pour justifier les sanctions contre la CPI. »
« Un revers alarmant »
YouTube, qui appartient à Google, a confirmé à The Intercept avoir supprimé les comptes des groupes suite à une enquête, en réponse directe aux sanctions prises par le département d'État à leur encontre. L'administration Trump a imposé ces sanctions en septembre pour la collaboration de ces organisations avec la Cour pénale internationale dans des affaires accusant des responsables israéliens de crimes de guerre.
« Google s'engage à respecter les sanctions applicables et les lois sur la conformité commerciale », a déclaré Boot Bullwinkle, porte-parole de YouTube, dans un communiqué.
Selon la politique de Google en matière de conformité aux sanctions, « les produits Google destinés aux éditeurs ne sont pas accessibles aux entités ou aux personnes visées par des sanctions commerciales ou des lois sur la conformité en matière d'exportation ».
Al Mezan, une organisation de défense des droits humains de Gaza, a déclaré à The Intercept que sa chaîne YouTube avait été brusquement interrompue le 7 octobre dernier, sans notification préalable.
« La fermeture de la chaîne nous empêche d'atteindre notre objectif, qui est de transmettre notre message et de remplir notre mission », a déclaré un porte-parole du groupe, « elle nous empêche d'atteindre nos objectifs et limite notre capacité à atteindre le public avec lequel nous souhaitons partager notre message. »
La chaîne d'Al-Haq, basée en Cisjordanie, a été supprimée le 3 octobre, a déclaré un porte-parole du groupe, décision justifiée par YouTube par un message indiquant que son « contenu contrevenait à sa charte. »
« La suppression par YouTube de la plateforme d'une organisation de défense des droits humains, effectuée sans avertissement préalable, est une grave violation de principe et un recul alarmant pour les droits humains et la liberté d'expression », a déclaré le porte-parole d'Al-Haq dans un communiqué. « Les sanctions américaines sont utilisées pour paralyser les efforts visant à établir les responsabilités en Palestine et réduire au silence les voix palestiniennes et les victimes, ce qui a un effet domino sur les plateformes qui agissent également dans le cadre de ces mesures pour faire taire encore davantage les voix palestiniennes. »
Le Centre palestinien pour les droits humains (PCHR), que l'ONU décrit comme la plus ancienne organisation de défense des droits humains à Gaza, a déclaré dans un communiqué que la décision de YouTube « permet aux auteurs de ces actes d'échapper à toute responsabilisation. »
« La décision de YouTube de fermer le compte du PCHR n'est qu'une des nombreuses conséquences auxquelles notre organisation est confrontée depuis que le gouvernement américain a décidé de prendre des sanctions à l'encontre de notre travail légitime », a déclaré Basel al-Sourani, responsable international du plaidoyer et conseiller juridique du groupe. « YouTube a déclaré que nous ne respections pas sa politique en matière de charte communautaire, alors que tout notre travail consistait essentiellement à présenter des rapports factuels et fondés sur des preuves concernant les crimes commis contre le peuple palestinien, en particulier depuis le 7 octobre, début du génocide en cours. »
« En agissant ainsi, YouTube se rend complice du silence imposé aux victimes palestiniennes », a ajouté al-Sourani.
Au-delà des États-Unis
Selon un décompte effectué par The Intercept, la suppression des comptes des trois organisations de défense des droits humains a entraîné la disparition de plus de 700 vidéos.
Les vidéos supprimées couvrent divers sujets, depuis des enquêtes, telles qu'une analyse du meurtre par Israël de la journaliste américaine Shireen Abu Akleh, jusqu'à des témoignages de Palestiniens torturés par les forces israéliennes, en passant par des documentaires comme « La Plage », qui raconte l'histoire d'enfants jouant sur une plage et tués par une frappe israélienne.
Certaines des vidéos sont encore disponibles grâce à des copies enregistrées sur Wayback Machine de l'Internet Archive ou sur d'autres plateformes, telles que Facebook et Vimeo. La suppression n'a concerné que les chaînes officielles du groupe. Les vidéos produites par les organisations à but non lucratif mais hébergées sur des chaînes alternatives restent actives. Cependant, il n'existe pas d'index cumulatif des vidéos supprimées par YouTube, et beaucoup semblent ne plus être disponibles ailleurs en ligne.
Les groupes craignent que les vidéos publiées ailleurs en ligne ne soient bientôt supprimées, dans la mesure où la plupart des plateformes qui les hébergent sont également basées aux États-Unis. L'ICC a commencé à explorer la possibilité de faire appel à des prestataires hors des États-Unis.
Al-Haq a déclaré que le groupe chercherait également des alternatives aux entreprises américaines pour héberger son travail.
YouTube n'est pas la seule entreprise technologique américaine empêchant les groupes de défense des droits des Palestiniens d'utiliser ses services. Le porte-parole d'Al-Haq a déclaré que Mailchimp, le serveur de liste de diffusion, avait également supprimé le compte du groupe en septembre. (Mailchimp et sa société mère, Intuit, n'ont pas immédiatement répondu à une demande de commentaires.)
Céder aux exigences de Trump
Tant le gouvernement américain que l'israélien se soustraient depuis longtemps à la compétence de la CPI et à toute responsabilité pour les crimes de guerre qui leur sont reprochés. Aucun des deux pays n'est signataire du Statut de Rome, le traité international qui a institué la Cour.
En novembre 2024, les procureurs de la CPI ont émis des mandats d'arrêt contre Netanyahou et Gallant, accusant ces dirigeants d'avoir intentionnellement affamé les civils en empêchant l'aide humanitaire d'entrer à Gaza. Les administrations Biden et Trump ont toutes deux rejeté la légitimité de ces mandats.
Depuis sa réélection, Trump a adopté une posture plus agressive pour dénier toute responsabilité de la part d'Israël. Au début de son second mandat, Trump a renouvelé les sanctions contre la CPI et a pris de nouvelles mesures plus sévères à l'encontre des fonctionnaires de la Cour et de toute personne accusée de les aider dans leurs efforts. En septembre, dans un nouveau décret, il a spécifiquement sanctionné les trois groupes palestiniens.
Les mesures prises par les États-Unis font suite à la qualification par Israël d'Al-Haq comme « organisation terroriste » en 2021 et à une campagne de dénigrement en ligne menée par des militants pro-israéliens qui tentent d'établir un lien entre le Centre palestinien pour les droits humains et des groupes terroristes.
Les sanctions consistent à geler les avoirs des organisations aux États-Unis et à interdire aux personnes sanctionnées de se rendre dans le pays. Les juges fédéraux ont déjà rendu des injonctions préliminaires en faveur des plaignants dans deux affaires, faisant valoir que les sanctions violaient les droits que le Premier amendement leur garantissait.
« L'administration Trump entend contribuer à la censure des informations relatives aux atrocités commises par Israël en Palestine, et les sanctions prises à l'encontre de ces organisations sont délibérément élaborées pour dissuader les Américains, qui seraient susceptibles de se sentir concernés par les lois sur le soutien matériel, de s'associer à celles-ci », a déclaré Whitson, de DAWN, qui s'est jointe en septembre à une coalition d'associations pour demander à l'administration Trump de lever ses sanctions.
Comme de nombreuses entreprises de la tech, YouTube s'est montré disposé à se conformer aux exigences des administrations tant de Trump que d'Israël. La plate-forme a collaboré à une campagne organisée par des travailleurs israéliens du secteur de la tech visant à supprimer les contenus jugés critiques envers Israël sur les réseaux sociaux. Aux États-Unis, Google, la société mère de YouTube, a secrètement transmis des informations personnelles issues de comptes Gmail à l'agence américaine de contrôle de l'immigration et des douanes (ICE) afin de permettre l'arrestation d'un étudiant activite-militant pro-palestinien.
Bien avant la campagne génocidaire menée par Israël à Gaza, YouTube avait déjà été accusé de ne pas appliquer de manière équitable sa charte communautaire, afin de censurer les voix palestiniennes tout en s'abstenant d'exercer un contrôle similaire sur les contenus pro-israéliens. Selon un rapport de Wired, cette pratique s'est poursuivie pendant la guerre.
Au début de l'année, YouTube a fermé le compte officiel de l'association Addameer Prisoner Support and Human Rights Association. Cette décision fait suite à la pression exercée par UK Lawyers for Israel, qui a signalé à YouTube par écrit que l'organisation avait fait l'objet de sanctions de la part du Département d'État américain.
Whitson a mis en garde contre le fait que la capitulation de YouTube pourrait créer un précédent et pousser d'autres entreprises technologiques à se soumettre à la censure..
« Ils permettent en fait à l'administration Trump de dicter les informations qu'ils partagent avec le public dans le monde », a-t-elle déclaré. « Cela ne s'arrêtera pas à la Palestine. »
Source : The Intercept, Nikita Mazurov, Jonah Valdez, 04-11-2025
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises