01/12/2025 reseauinternational.net  8min #297719

Je ne comprends toujours pas la haine

Quinze jours à Fleury-Mérogis pour des jouets et une affichette

Anna Novikova, mère de deux enfants, est emprisonnée depuis quinze jours à Fleury-Mérogis pour avoir envoyé de l'aide humanitaire au Donbass.

Le 27 novembre, la chaîne YouTube de SOS Donbass - quatre cents vidéos de convois humanitaires - a été effacée en une seconde. Preuve supprimée, crime parfait.

par Anna Novikova

JE NE COMPRENDS TOUJOURS PAS LA HAINE

Je ne la comprendrai jamais.

On met une mère de deux enfants en prison depuis quinze jours parce qu'elle a envoyé et convoyé de l'aide humanitaire au Donbass et soutenu une campagne d'affichage au slogan de paix «La Russie n'est pas mon ennemi».

Et le 27 novembre, alors même que je rédigeais mon précédent article intitulé «L'affaire Anna Novikova ou la cabale infernale du nouvel État français» (1), la chaîne YouTube de SOS Donbass - quatre cents vidéos de convois humanitaires filmés, lait infantile, fauteuils roulants, jouets - a été effacée en une seconde. Preuve supprimée, crime parfait.

DES ESPIONS QUI SE FILMENT EN HD

On parle de «nid d'espions» alors que ces gens ont passé dix ans à tout publier, tout filmer, tout justifier. Des «espions» qui se filment distribuant du lait infantile, postent leurs convois sur YouTube, signent des pétitions, collent des affiches en plein jour. Des «agents dormants» qui militent ouvertement pour la paix, manifestent devant l'Arc de Triomphe, donnent des interviews. Quelle étrange clandestinité ! Si c'est ça l'espionnage russe, le FSB recrute décidément chez les clowns. À croire que nos services DGSI, si prompts à «décrypter» des activités humanitaires filmées en HD et diffusées publiquement, auraient mieux fait de s'abonner directement à la chaîne YouTube «SOS Donbass».

LA PRESSE S'EN RÉGALE

Titres assassins : «Trois espions russes présumés écroués» (Le Figaro), «Nid d'espions pro-russes démantelé (LCI), «Ils filmaient les usines Caesar» (BFMTV) - alignés au mot près, sans la moindre investigation, sans une question élémentaire, se contentant de glaner les commérages des voisins à Pau pour faire couleur locale.

Les griefs officiels ? Secret-défense. Les preuves ? Scellées. Le dossier ? Inaccessible. On ne sait rien, mais on condamne.

Elle ne pose pas de questions. Elle ne demande pas l'acte d'accusation écrit.

Elle ne s'inquiète pas de l'opacité, du secret-défense, de la violation de la Convention de Vienne, de l'arrêt Buzadji (2) bafoué, de l'absence de motifs concrets. Elle fait saliver le public avec des révélations anonymes, des titres racoleurs, des photos floutées.

Le public s'habitue. La norme se déplace. Et tout ça paraît presque normal. Presque anecdotique.

EN CONSTRUISANT UN ENNEMI PARFAIT

Un ennemi qu'il faut haïr pour pouvoir se sentir supérieur, phare de l'humanité à la destinée exceptionnelle, qui décide seul des bons usages du droit universel : «Faites ce que je dis, ne vous mêlez pas de ce que je fais.»

Pour le construire, il a fallu :

  • Oublier huit ans de bombardements de 2014 à 2022 sur des civils du Donbass : 14 000 morts, 4 000 civils, 3 millions d'obus - auxquels se sont ajoutés, depuis le début de l'opération spéciale, les tirs meurtriers des canons Caesar français. Notre argent, nos armes, leurs morts ;
  • faire disparaître les aveux publics de Merkel et Hollande : les accords de Minsk n'étaient qu'une ruse pour « donner du temps à l'Ukraine de s'armer »;
  • enterrer les lois ukrainiennes qui ont interdit la langue russe à l'école, dans l'administration, à la télévision (jugées discriminatoires par la Commission de Venise) ;
  • transformer Bandera, collaborateur nazi avéré, en héros national dont une avenue menant à Babi Yar porte le nom, acclamer les défilés aux flambeaux sous l'œil bienveillant de Zelensky, et punir ceux qui osent le rappeler - pendant que le bras droit de Zelensky, Andriy Yermak, voit son appartement perquisitionné le 28 novembre pour 100 millions détournés sur le nucléaire ukrainien, démissionne en se posant martyr au front (New York Post, 29 nov), qualifié par la Rada de «noyau d'un gouvernement criminel» (Dmitruk) : silence radio en France - pas de couverture, pas d'indignation. Parce qu'il est du bon côté ;
  • présenter la conscription forcée ukrainienne (enlèvements dans la rue, exécutions filmées de déserteurs) comme héroïque, et la mobilisation russe (300 000 réservistes déjà engagés) comme barbare. Et coffrer à Fleury-Mérogis, surpeuplée à 180%, ceux qui osent dire que la France n'a pas à armer un camp contre l'autre.

LA MÊME GÉOMÉTRIE VARIABLE

La même fabrication de l'ennemi parfait. Car exprimer une indignation sur une affaire française ne devrait jamais valoir une accusation d'appartenance à un camp géopolitique. Mais aujourd'hui, la guerre en Ukraine a polarisé les sociétés européennes au point que toute critique de la politique française ou de l'OTAN est immédiatement assimilée à un soutien à un camp, toute nuance vue comme une trahison.

Ce n'est pas sain, ce n'est pas démocratique. Nous, citoyens, avons parfaitement le droit de contester une détention que nous jugeons arbitraire, d'exiger transparence et justice, sans que cela signifie que nous sommes les soutiens d'un État étranger.

À vrai dire, au cas où vous l'ignoreriez, nous ne sommes même pas en guerre ; la guerre, ce sont nos élites qui la préparent.

ON PRÉPARE L'ÉCHANGE D'ESPIONS

C'est la raison d'État qui n'ose pas dire son nom.

On arrête des militants hyper-visibles, on les accuse d'espionnage, on les garde au chaud quelques mois, le temps de négocier la libération d'un prisonnier français détenu à Moscou - comme Laurent Vinatier, dont le procès pour espionnage aura lieu le 28 février 2026, avec vingt ans de prison à la clé.

DEUX POIDS, DEUX MESURES

La comparaison des deux parcours est implacable :

D'un côté Laurent Vinatier - vingt ans entre France et Russie, passé OTAN, missions peu claires à Genève sur des dossiers ultra-sensibles, un profil qui colle pile à une «légende d'agent dormant» - et l'Occident hurle à l'injustice quand Moscou applique sa propre loi sur les agents étrangers.

De l'autre, Anna Novikova, mère de famille organisant des convois humanitaires au grand jour, association loi 1901 ultra-surveillée - et Paris la jette en prison comme une espionne du Kremlin. La bonne blague !

UN NID D'ESPIONS TOMBE À PIC

On monte une campagne dérivée, bruyante, pour faire taire les problèmes intérieurs : inflation, retraites, insécurité, hôpital en ruine.

Un «nid d'espions» tombe à pic. On détourne l'attention. On fait peur. On fédère autour de l'ennemi russe. Et pendant ce temps, les vrais sujets disparaissent des écrans.

Tout cela n'est pas de l'ignorance. C'est une entreprise délibérée. Un révisionnisme d'État.

Une cabale juridique et médiatique parfaitement orchestrée. Une rumeur publique répétée jusqu'à l'épuisement.

LE VRAI PEUPLE N'EST PAS UN TROUPEAU

Le vrai peuple n'est pas une meute de chacals, n'a ni la vocation d'être un troupeau de moutons bêlants et tondus. Il est fatigué, apeuré, bombardé d'images.

Il croit ce qu'on lui répète vingt fois par jour.

LA HAINE VIENT D'EN HAUT

Mais la haine vient d'en haut.

Elle est distillée par des élites cyniques, insouciantes, qui accommodent la réalité jusqu'à la faire rentrer de force dans le moule de leurs convictions idéologiques.

Certains brandissent et revendiquent à outrance et de grands cris leur identité intime - ce qui devrait rester du domaine strictement privé - comme une référence civilisationnelle, voire comme un brevet de supériorité morale absolue agité à l'intention d'un monde qu'on voudrait globaliser selon les seules règles occidentales.

Bref, de leur choix de vie personnelle, ils en font un statut incontournable, un totem, un bouclier, une arme. Et soudain la Russie devient l'Ennemi homophobe absolu.

On oublie commodément que personne n'y risque la prison ou la mort uniquement pour son orientation, contrairement à sept pays musulmans que l'OTAN arme, finance et invite à ses sommets.

À Moscou ou Saint-Pétersbourg, des gays et des lesbiennes vivent leur vie, sortent en couple, tiennent des bars, organisent des soirées. Ce qui y est refusé - comme dans la plupart des pays slaves ou méditerranéens, comme en Pologne, en Hongrie, dans l'Italie du Sud ou, il y a vingt ans encore, dans bien des régions de France profonde - c'est le militantisme ostentatoire, l'idéologie imposée aux enfants, la parade politique dans l'espace public.

Mais là-bas, on ne pend pas, on ne lapide pas, on ne jette pas du haut des immeubles.

Ici, on ferme les yeux sur ceux qui le font encore, et on transforme un simple refus de la parade en casus belli.

LE GOÛT ÂCRE DE L'OCCUPATION

Je sens remonter le goût âcre que je n'avais connu qu'en lisant les souvenirs de mes grands-parents sous l'Occupation. Le même goût. Les mêmes lettres de cachet 2.0.

La même géométrie variable de la liberté. La même fabrication de l'ennemi parfait.

Je ne comprends pas cette haine militante, propre, parfumée à la « morale ». Je ne comprends pas comment on peut dormir tranquille quand une mère est en prison pour des jouets.

Je ne comprends pas comment on peut acclamer des néo-nazis un jour et traiter une humanitaire d'« agente du Kremlin » le lendemain.

JE NE COMPRENDS PAS

Et tant que je ne comprendrai pas cette haine,

je refuserai de la laisser gagner. C'est mon plaidoyer pour la raison, mon réquisitoire contre l'idéologie qui fabrique l'ennemi et nous déshumanise.

Parce que si nous laissons cette haine gagner, ce n'est pas seulement Anna, Vincent et Vyacheslav que nous condamnons.

C'est notre capacité à penser, à douter, à rester humains.

Cassandre G - Automne 2025

Deux poids, deux mesures : en 2025, en France, convoyer de l'aide humanitaire au Donbass et coller une affiche «La Russie n'est pas mon ennemi» vaut plus de prison que bien des délits de sang.

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