
Par Nour Dawoud pour Quds News Network, le 30 novembre 2025
Le petit Abood, de Gaza, ne cesse de poser cette question depuis qu'Israël a tué son père.
Abood ne cesse de poser une question qu'aucun enfant ne devrait jamais avoir à poser.
Chaque soir depuis mai 2024, Abood Mhjez, quatre ans, s'assied dans la tente de son grand-père avec sa mère et pose la même question : "Où est mon papa ?"
Au début, sa mère lui disait : "Il est parti travailler. Il reviendra bientôt". Mais elle a déclaré à Quds News Network qu'Abood n'arrêtait pas d'entendre des proches et des amis dire des choses comme
"Le pauvre enfant, comment pourra-t-il oublier son père ?" et
"Qu'Allah ait pitié de l'âme de son père".
"Puis il a insisté pour que je lui dise la vérité", a-t-elle déclaré."Où est mon papa ?" a demandé Abood à nouveau.
"Il est parti au paradis, habibi. Il reviendra... ou peut-être irons-nous le rejoindre", lui a-t-elle répondu.
"Je tremblais. Il ne sait pas vraiment ce qu'est le paradis. Ses questions m'épuisaient. J'étais perdue, tout comme lui", a ajouté Amani, la mère d'Abood, à Quds News Network.
Mais Abood était-il convaincu ? Non.
"Il me regardait sans cesse, les yeux pleins de larmes et de désarroi. Habibi Abood aimait tellement son père qu'il dormait à côté de lui chaque nuit et ne mangeait jamais avant que son père soit là".
- "D'accord... Peut-être qu'on le retrouvera au paradis. Il me manque tellement", a répondu Abood à sa mère.
Sa mère a raconté qu'Abood vit très mal l'absence de son père et qu'il est particulièrement triste lorsqu'il voit d'autres enfants du quartier jouer avec leur père, ou qu'il entend l'un d'eux dire que son père va lui faire un cadeau.
"Une fois, il est venu en pleurs me demander de laisser son père lui acheter une voiture à trois roues. Il insistait aussi pour que je l'appelle au téléphone pour qu'il rentre tout de suite à la maison", raconte-t-elle.
Abood a été privé de son enfance, des bras de son papa et du droit à une vie normale, comme n'importe quel enfant dans le monde.
Son père a été tué lors d'une frappe israélienne, après l'expulsion forcée de la famille de leur maison, dans le quartier de Sheikh Redwan, à Gaza.
"Il est parti nous chercher de l'eau et de quoi manger, mais il n'est jamais revenu. Des amis ont retrouvé son corps dans la rue et nous ont dit : 'Israël l'a tué'. Ce fut la pire et la plus insoutenable nouvelle de ma vie", a déclaré Amani.
Un nom parmi des milliers
Selon l'UNICEF, l'agence des Nations unies pour la protection de l'enfance, les statistiques du ministère palestinien de la Santé de début septembre révèlent que 2 596 enfants ont perdu leurs deux parents, et que 53 724 autres ont perdu soit leur père (47 804), soit leur mère (5 920) depuis le début du génocide commis par Israël.
Le Bureau central palestinien des statistiques (PCBS) a qualifié cette situation de "plus grande crise d'orphelins de l'histoire moderne".
Traumatisme psychologique
"Abood peut passer des heures entières à fixer le mur en silence. Il dort mal et a du mal à se concentrer, même sur les tâches les plus simples. Il oublie presque immédiatement ce que je viens de lui dire et ne se souvient pas de ce qui s'est passé l'instant d'avant",
confie Amani à Quds News Network. Son fils orphelin souffre d'un traumatisme psychologique depuis le meurtre de son père par Israël.
Les deux années d'attaques israéliennes contre Gaza, marquées par la famine, les bombardements et les déplacements incessants, en plus des près de 17 ans de blocus, ont traumatisé des milliers d'enfants, abandonnés à leur sort comme Abood. Les séquelles psychologiques infligées à cette génération d'enfants de Gaza sont immenses, même pour ceux dont la famille est préservée.
Abood, comme tous les enfants de Gaza, est terrifié, en colère et inconsolable. Beaucoup d'adultes aussi. "C'est déjà insupportable pour des adultes, alors imaginez pour ces enfants", a ajouté Amani.
Dalia Talaa, psychologue à Gaza, estime que
"la santé mentale des enfants de Gaza ne s'est pas seulement détériorée, elle a été anéantie. On constate un effondrement psychologique total après deux ans d'extermination par Israël".
Elle explique que même avant le début de l'offensive,
"les enfants de Gaza vivaient dans des conditions de santé mentale particulièrement désastreuses, dues aux attaques incessantes d'Israël et aux répercussions du blocus, notamment la restrictions de liberté de mouvement, l'accès limité aux nécessités vitales et le marasme économique".
Mais aujourd'hui, a-t-elle ajouté, parlant d'expérience,
"les enfants souffrent d'une aggravation dramatique de leur santé mentale, bien pire que lors des offensives précédentes. Ils sont en proie à une peur intense, à de l'anxiété, aux troubles alimentaires, à l'énurésie, à une hypervigilance et à de graves troubles du sommeil, mais aussi à l'agressivité et l'hyperactivité".
Doa'a Saeed, mère de trois enfants, affirme que
"les enfants de Gaza ont tout enduré : les bombes, la mort, la famine. Ils comprennent, ressentent et voient tout. Aujourd'hui, mon fils arrive même à distinguer les divers types d'explosifs utilisés, il sait faire la différence"."Qu'un enfant soit confronté aux horreurs que les enfants de Gaza ont vécues est intolérable. En esquivant les bombes et les balles, en s'enfuyant dans des rues jonchées de gravats et de cadavres, en dormant à la belle étoile, privés de nourriture et de l'eau potable dont ils ont besoin pour survivre, les enfants de Gaza subissent de plein fouet la violence et le deuil dans une ampleur sans précédent",
témoigne Jason Lee, directeur de l'ONG Save the Children pour les territoires palestiniens occupés.
Selon l'Organisation mondiale de la santé,
"les enfants de Gaza souffrent de traumatismes, notamment de dérégulation émotionnelle, de dépression, de deuil et l'aggravation de troubles préexistants. Les enfants ont été exposés à de nombreux facteurs de stress, comme les déplacements forcés, le deuil, les blessures physiques et la pénurie de services de santé mentale, à cause du génocide perpétré par Israël".
En juin 2024, l'UNICEF a ainsi estimé que la quasi-totalité des 1,2 million d'enfants de Gaza auraient impérativement besoin d'un soutien psychologique et psychosocial.
Et les enfants ne cessent de demander :
"Où est mon papa ?"
Traduit par Spirit of Free Speech