05/12/2025 investigaction.net  8min #298073

La France, fer de lance de la lutte pro-coloniale

Julie Jauffrineau

AFP

Du discours du chef d'état-major de l'Armée française, au projet de rétablir un  service militaire volontaire - qui devrait rapidement devenir obligatoire -, il ne fait plus aucun doute : la France entre en guerre. Mais dans quelle guerre nos « représentants » nous plongent-ils ?

Le chef d'état-major comme le Président de la République désignent la Russie comme notre ennemi. Cet immense pays menacerait de vouloir contrôler l'Europe, menacerait la souveraineté européenne, cette « souveraineté » d'ores et déjà sacrifiée au parapluie sécuritaire américain.

Mais cette guerre est plus complexe qu'il n'y paraît. L'opposition actuelle entre les puissances occidentales et la Russie s'apparente en effet, à plus large échelle, à une opposition entre colonialisme et anticolonialisme.

Etape 1 : La fabrique de l'ennemi

L'étape numéro 1 consiste à fabriquer un ennemi pour faire accepter les plans d'austérité à la population, tout en poussant, progressivement, les jeunes générations à s'engager dans l'armée. Cet ennemi est tout trouvé, c'est la Russie. Elevée au rang d'ennemi par la mise en œuvre d'une propagande de guerre intarissable dans les médias, la Russie fait l'objet d'une même propagande dans le discours du chef d'état-major français.

Dans son discours , le chef d'état-major a occulté tout un pan de l'Histoire relatif à l'origine du conflit Russie-Ukraine. Pas un mot sur ces plus de 13000 morts qui ont précédés l'intervention russe en Ukraine. La guerre contre le Donbass, provoquée par le gouvernement ukrainien, au lendemain du Maïdan, est effacée. L'Histoire a astucieusement été réduite à trois dates, décontextualisées : « quand on regarde ce film : 2008, 2014, 2022, il n'y a aucune raison d'imaginer que c'est la fin de la guerre sur notre continent », affirme Fabien Mandon. Un film oui, car il s'agit bien d'une fiction. Une fiction destinée à pousser la population aveuglément sur le front.

Un autre ressort de propagande consiste à diaboliser l'ennemi en le faisant passer pour fou. Fabien Mandon explique : « [la Russie] est convaincue que son ennemi existentiel c'est l'OTAN, c'est nos pays ». Il sous-entend que les craintes russes sont infondées. L'OTAN est pourtant une alliance militaire. Ses bases militaires s'étendent sur l'ensemble des territoires européens. Et, ces dernières années, l'OTAN n'a cessé de s'étendre à l'Est de l'Europe, contrevenant aux engagements des Etats-Unis envers l'URSS. N'est-il donc pas légitime pour les Russes de percevoir l'OTAN comme un ennemi ?

Quoi qu'il en soit, les techniques de propagande déployées permettent d'inscrire dans les esprits la nécessité de la guerre. De plus, la Russie n'étant pas un pays isolé, cet ennemi russe va également permettre de faire émerger tout un réseau d'ennemis à travers les BRICS et le Sud Global.

Etape 2 : Le réseau d'ennemis, construction à double standard

L'étape numéro 2 consiste à forger le réseau d'ennemis. Durant son discours devant les maires, le chef d'état-major n'a pas seulement pointé du doigt la Russie. Il s'est également attardé sur la situation au Sahel et en Asie de l'Ouest afin de désigner le réseau d'ennemis de la France et de l'Occident.

Pour ce faire, au Sahel comme en Asie de l'Ouest, la menace terroriste a permis au chef d'état-major d'appuyer ses propos bellicistes et de gagner l'adhésion des auditeurs (sur la lutte antiterroriste). Mais qui désigne-t-il véritablement ?

Le chef d'état-major a dénoncé le terrorisme au Sahel pour mieux reprocher aux gouvernements du Sahel de ne pas combattre efficacement le terrorisme. Quelle ironie face à  l'échec de l'opération Barkhane : huit ans d'insuccès de la France au Sahel. Il a ainsi critiqué sans détour les gouvernements du Mali, du Niger et du Burkina Faso, qu'il nomme avec mépris : « juntes de pillards qui volent les richesses du pays ». Il faut donc comprendre que, selon le chef d'état-major et nos « représentants », ces gouvernements qui luttent pour leur souveraineté sont plus dangereux que des terroristes. Et pour cause, la France perd des intérêts économiques.

Face aux multiples actes de terreur perpétués en Asie de l'Ouest, la palette de terrorisme est large. Dès lors, quels terroristes ont été désignés comme tels par le chef d'état-major français ? S'agit-il du régime terroriste israélien qui poursuit son  génocide des Palestiniens à Gaza,  fusille des enfants, y compris en Cisjordanie, s'empare de territoires syriens comme libanais, bombarde le Yémen et l'Iran et continue de violer impunément le droit international ? Ou s'agit-il plutôt de groupes terroristes tels que Daech, Al-Qaida ou HTS qui sévissent en Syrie, entre autres, et multiplient les carnages et les  assassinats sommaires ? Ni l'un ni l'autre. En effet, le chef d'état-major a désigné comme terroriste un soutien du peuple gazaouï contre le génocide en cours, le  mouvement de résistance Ansarallah, au Yémen. Ceux-là, il les a nommés « terroristes qui menacent la circulation du flux économique mondial ». Pour lui comme pour son supérieur et chef des Armées, le Président français Emmanuel Macron, les pertes humaines sont futiles par rapport aux pertes commerciales.

La notion de « terrorisme » est donc à double standard. Le sens même de cette notion est fourvoyé : le mot « terroriste » dessert une propagande de guerre. D'ailleurs, le point commun entre les ennemis désignés par le chef d'état-major n'est pas le terrorisme in fine, mais l'émancipation. C'est ainsi que se dessinent les contours d'un conflit global entre les pays du Nord et les pays du Sud. Une guerre entre colonialisme et anticolonialisme.

Le véritable ennemi : l'émancipation des peuples

Le véritable ennemi au cœur du discours du chef d'état-major français est l'émancipation des peuples du Sud Global. Le mouvement décolonial et d'anti-impérialisme, porté par les peuples de Palestine, comme de l'Alliance du Sahel, est au centre des préoccupations des empires coloniaux occidentaux.

La France est en train de perdre ce qu'il lui reste d'influence coloniale. La Françafrique se désagrège, le Franc CFA est remis en question. De même, l'Europe et les Etats-Unis risquent de perdre leur bastion colonial au cœur de l'Asie de l'Ouest, bastion qui permet à l'hégémon états-unien le contrôle du canal de Suez, comme le contrôle des ressources pétrolières et gazières qui abondent dans la région.

C'est pourquoi, on ne s'étonne plus de voir l'espace aérien français violé, en toute liberté, par le fugitif Netanyahou, poursuivi par la Cour pénale internationale mais accueilli à bras ouverts par ses alliés du bloc occidental. Et on rit lorsque Fabien Mandon, pour rassurer la population française, nous explique  : « [nous avons] des armées extraordinaires [...] les aviateurs veillent aux écrans toutes les nuits pour éviter que notre espace aérien soit violé ». Ou bien ces militaires sont incompétents, ou bien on leur a mis des œillères. En l'occurrence, la deuxième option semble la plus probable.

En effet, le chef d'état-major a ménagé de façon très claire les massacres de son allié : « la terrible attaque du 7 février contre Israël, de la barbarie à l'état pur. Pardon, le 7 octobre, la barbarie la plus absolue ». Puis, on passe à la voix passive pour ne pas tâcher l'honneur de l'allié génocidaire : « et s'ensuit un combat qui s'est étendu progressivement de Gaza à l'ensemble de la région avec des bombardements et des tirs de missiles entre l'Iran et Israël ». La salve de missiles avec laquelle Israël a attaqué l'Iran, en dehors du droit international, est sinistrement éludée. Et surtout, pas un mot sur le génocide en cours.

A l'inverse, lorsque le chef d'état-major diabolise la Russie pour en faire l'ennemi, il s'attaque également aux BRICS, dont fait partie la Russie, ainsi qu'à l'ensemble des pays du Sud Global qui n'appliquent pas les sanctions anti-Russie. Il s'attaque à ceux qui cherchent l'émancipation. Il s'attaque à ces hommes et femmes qui luttent pour leur liberté, en Asie de l'Ouest comme en Afrique. Il ne prend pas le droit international pour boussole mais le « droit fondé sur des règles », droit à la carte, droit colonial, droit du non-droit pourvu qu'il soit décrété par les puissances occidentales néo-coloniales. Ce discours, plus que d'alerter le peuple français est un avertissement aux peuples qui s'émancipent : « la France poursuivra sa lutte pro-coloniale ».

Dès lors, comment interpréter le discours du chef d'état-major lorsqu'il affirme que Taïwan pourrait être envahi par la Chine ? La Chine souhaite-t-elle envahir Taïwan, ou bien les Etats-Unis, appuyés par l'OTAN, souhaitent-ils déclencher une guerre en mer de Chine ? Après tout, les Etats-Unis arment Taïwan depuis des décennies.

Sommes-nous vraiment prêts à sacrifier nos enfants pour mater tous les peuples qui veulent s'émanciper de notre joug, pour mener une lutte pro-coloniale ?

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