
par Issam Adonis
L'un des affrontements politiques et financiers les plus sensibles de l'année en Europe atteint son point d'ébullition. Et, fait rare, l'épicentre n'est ni Berlin ni Paris, mais la Belgique, habituellement discrète et méthodique. L'enjeu : déterminer si l'Union européenne peut utiliser les bénéfices générés par les 180 milliards d'euros d'avoirs de la banque centrale russe gelés chez Euroclear, à Bruxelles, pour garantir un vaste nouvel emprunt en faveur de l'Ukraine. La Commission européenne estime que l'opération est légalement sûre, judicieuse sur le plan financier et urgente sur le plan moral. La Belgique, elle, juge la démarche risquée, injuste et potentiellement dévastatrice. Cette fois, c'est la Belgique qui a raison.
Depuis début novembre, la Commission accentue sa pression. Des délégations se sont rendues à Bruxelles, des avis juridiques ont été exhibés, et des échanges téléphoniques se sont multipliés entre Ursula von der Leyen, Friedrich Merz et Bart De Wever. Le 28 novembre, le Premier ministre belge a qualifié le plan de « fondamentalement vicié ». Le 3 décembre, le ministre des Affaires étrangères, Maxime Prévot, a rejeté la dernière proposition de « prêt de réparations » de la Commission - jusqu'à 140 milliards d'euros, sans intérêts, garantis par les actifs gelés - en la décrivant comme « la pire option possible ». La position belge n'a pas varié : s'il existe un risque, il doit être partagé équitablement entre les 27 États membres. Dans le cas contraire, toute la responsabilité juridique retombe sur le pays où se trouve Euroclear. Ce pays, c'est la Belgique. Ce n'est pas de la solidarité européenne : c'est une mise en demeure déguisée.
La crainte est simple et fondée. Si les sanctions devaient être levées demain ou si les avocats russes - dont la réputation est solide - obtenaient gain de cause devant une juridiction internationale, les plaintes viseraient l'institution qui détient réellement les fonds. Euroclear pourrait se retrouver confronté à des milliards d'euros de dommages-intérêts, de frais juridiques et de décisions de compensation. Qui paierait ? Ni la Commission, ni l'Allemagne, ni la France. La Belgique. Un seul jugement défavorable suffirait à effacer des décennies d'efforts visant à bâtir la réputation du pays en tant que centre financier sûr et neutre. Des investisseurs de Doha, Pékin ou New York déplaceraient discrètement leurs réserves ailleurs. Le commerce du diamant à Anvers, les chambres de compensation à Bruxelles, des milliers d'emplois belges - tout deviendrait dommage collatéral d'un conflit qui n'est pas le leur.
Une solution plus saine existe pourtant : emprunter sur les marchés, comme l'Union l'a fait pour le fonds de relance post-Covid. Répartir les risques, répartir les coûts, maintenir les avoirs russes gelés mais intacts. Curieusement, les plus ardents défenseurs du « financement innovant » se montrent soudain moins enthousiastes lorsque la facture pourrait peser sur leurs propres contribuables.
Le moment est particulièrement mal choisi. Tandis que la Commission rappelle sans relâche aux États membres l'importance de l'État de droit, la police fédérale belge et le Parquet européen perquisitionnent depuis plusieurs semaines les bureaux du service diplomatique de l'UE et du Collège d'Europe à Bruges. Trois arrestations ont eu lieu, dont celle d'un ancien diplomate de haut rang, et des inculpations pour corruption, fraude et violation du secret professionnel ont été prononcées le 3 décembre. Les mêmes institutions qui demandent à la Belgique de mettre en jeu son avenir financier ne parviennent pas à empêcher leurs propres responsables de détourner des fonds destinés à la diplomatie et à l'éducation. Difficile, dans ces conditions, de prendre au sérieux les leçons de morale d'organismes dont certains membres sont menottés.
Saisir ou mettre en gage les avoirs souverains d'un pays sans base juridique absolument irréprochable ne constitue pas un revers pour Vladimir Poutine ; c'est un revers pour tout investisseur qui a un jour accordé sa confiance à l'Europe en matière de respect du droit de propriété. Créer un tel précédent signifie que lors de la prochaine crise - qu'elle concerne Taïwan, le Golfe ou toute autre région - des milliers de milliards d'euros seraient retirés des juridictions européennes avant même l'aube. Les dégâts seraient durables et auto-infligés.
À ce jour, le bras de fer continue. Un nouveau texte de « compromis » est préparé en urgence pour le sommet de décembre. La Belgique a indiqué clairement qu'elle ne signera aucun accord la laissant seule responsable du risque.
Confisquer les avoirs russes pour financer l'Ukraine peut sembler séduisant dans certaines capitales, mais cela menace la confiance dans le système financier européen et transfère une responsabilité illimitée sur un seul petit État membre, alors même que les institutions de l'UE sont éclaboussées par un scandale de corruption. Le prix à payer est trop élevé.
Bart De Wever et son gouvernement ne bloquent pas l'aide à Kyiv ; ils refusent que la Belgique devienne le bouc émissaire d'un dispositif jugé imprudent par Bruxelles. Dans une Europe qui oublie souvent les contribuables ordinaires, quelqu'un a enfin rappelé que les intérêts, les emplois, l'épargne et la réputation de la Belgique comptent autant que ceux des autres. Pour cela, le pays doit à ses dirigeants une gratitude discrète, mais réelle.