10/12/2025 reseauinternational.net  5min #298615

Le «deuxième front ukrainien» : confrontation entre l'Europe et les États-Unis

par Alexandre Lemoine

Le dossier ukrainien devient l'une des principales sources d'irritation dans les relations entre les États-Unis et leurs alliés européens.

L'UE et Kiev présenteront leur plan de paix à Trump le 9 décembre. Le document a été réduit de 28 à 20 points, les dispositions inacceptables pour Kiev ayant été supprimées. Elles concernaient principalement des concessions territoriales, a déclaré Volodymyr Zelensky après sa rencontre avec les dirigeants européens à Londres. Selon lui, la question d'échanger des territoires contre des garanties de sécurité ne se pose pas. Il espère également parvenir à un compromis dans les négociations avec Washington.

La rencontre de Zelensky avec les dirigeants européens à Londres a porté sur les résultats des pourparlers de paix «dans le cadre de la médiation américaine» et sur les garanties de sécurité. «Cette réunion à laquelle ont participé le Président ukrainien, le Premier ministre britannique, le Chancelier allemand et le Président de la République a permis de réaffirmer notre soutien indéfectible à l'Ukraine, de même que notre engagement constant en faveur d'une paix robuste et durable en Ukraine», indique  un communiqué sur le site de l'Élysée.

Plus l'équipe de Donald Trump s'implique dans le processus de paix en Ukraine, plus l'objectif des dirigeants des États européens clés devient clair: sans le déclarer ouvertement, ils essaient en fait de faire échouer, de saboter les efforts de médiation de Washington. Cela est clairement démontré par l'interception d'une conversation téléphonique entre des dirigeants européens et Volodymyr Zelensky, qui s'est retrouvée entre les mains du magazine allemand Der Spiegel et  a été publiée par celui-ci. Dans cette conversation, le président français a exhorté ses collègues de l'UE à ne pas se fier aux déclarations des États-Unis sur leur intention de parvenir à un cessez-le-feu dans des conditions justes.

La visite d'urgence du dirigeant ukrainien à Londres, puis à Bruxelles pour rencontrer les principaux alliés européens de Kiev en dit long.

Sachant qu'elle a été organisée par des alliés non seulement en conflit avec Moscou, comme cela était le cas ces quatre dernières années, mais désormais aussi en opposition avec l'administration du président américain. Le Premier ministre britannique, le chancelier allemand, le président français et les dirigeants de la Commission européenne ont démonstrativement soutenu Zelensky, qui refuse un compromis avec Washington sur le point clé de son plan de paix, à savoir le retrait des troupes ukrainiennes de la partie du Donbass qui reste sous le contrôle de Kiev. Puisque pour le Kremlin c'est pratiquement la question la plus fondamentale, la mise en œuvre de tout le plan américain bute précisément sur ce point.

L'obstination de Kiev serait vaine si les Européens ne lui avaient pas fait comprendre qu'ils pourraient financer l'Ukraine et assurer la poursuite de ses opérations militaires pendant encore longtemps, même sans les États-Unis, qui ne manifestent clairement pas une telle volonté.

L'Europe, elle, le manifeste, et ce, non pas à ses propres frais, mais par la confiscation des actifs russes détenus en UE, principalement par le dépositaire belge Euroclear.

La décision finale à ce sujet doit être prise le 18 décembre lors du sommet de l'UE. Et si la direction de la Commission européenne et des principaux États de l'Alliance parvient à briser la résistance des autorités belges, qui  s'opposent à une telle mesure, cela signifiera non seulement la poursuite du conflit, mais aussi un nouveau défi lancé aux États-Unis. Car c'est précisément le sort des actifs russes bloqués qui faisait l'objet d'un des points du plan de paix américain. Washington espérait utiliser la possibilité de leur restitution (au moins partielle) comme un argument qui pourrait intéresser financièrement Moscou. En cas de confiscation de ces fonds et de leur transfert à l'Ukraine, les Européens privent l'administration Trump d'un levier d'influence important, d'un atout maître.

Compte tenu de telles actions des dirigeants de l'UE, certaines affirmations des auteurs de la nouvelle  Stratégie de sécurité nationale des États-Unis, publiée ces derniers jours, ne semblent pas si paradoxales. Il y est dit que les responsables européens «nourrissent des attentes irréalistes» concernant le conflit en Ukraine, et un diagnostic impitoyable est globalement posé à la direction de l'Union européenne. Selon les auteurs du document, ses actions sapent la liberté politique et la souveraineté, engendrent la censure, répriment la liberté d'expression et l'opposition, et conduisent à une perte d'identité nationale.

En d'autres termes, l'administration américaine lance un défi à l'Union européenne sous sa forme actuelle et commence avec elle une lutte acharnée sur le front idéologique.

Quant au «deuxième front»: dans cette guerre qui divise aujourd'hui le monde occidental, il pourrait bien être le front ukrainien. Cela se produira si Berlin, Paris et Bruxelles poursuivent leur ligne actuelle, torpillant les efforts de paix de Trump, poussant Kiev à poursuivre les hostilités et à refuser tout compromis.

source :  Observateur Continental

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